La livre turque n’en finit plus de chuter, la Turquie dans une situation de plus en plus instable
Par ELisabeth Studer
Blog finance
Information grandement ignorée de bon nombre de medias occidentaux et qui pourrait pourtant avoir d’importantes conséquences géopolitiques : la livre turque a de nouveau atteint un plus bas historique sur les marchés des changes mercredi. Les mesures prises par la Banque centrale ne semblent pas permettre d’endiguer le phénomène, les incertitudes politiques et la série d’attentats meurtriers qui ont récemment frappé la Turquie n’arrangeant rien à l’affaire.
Depuis le début de l’année, la monnaie turque a d’ores et déjà perdu près de 10% de sa valeur contre le dollar. Sa chute ne fait que s’accélérer depuis le début de l’examen par le Parlement, lundi, d’un projet de réforme constitutionnelle renforçant les pouvoirs du président Erdogan, la situation rendant en effet les marchés nerveux particulièrement nerveux.
Mercredi, la livre a perdu près de 3,54% de sa valeur contre le dollar, s’échangeant à 3,93 contre la monnaie US en fin d’après-midi, un nouveau record à la baisse. Face à la monnaie européenne, la livre a dépassé mercredi le seuil de 4 livres contre un euro, une première, s’échangeant à 4,11, soit une perte de 2,69% sur la journée.
Lundi dernier, la monnaie avait d’ores et déjà perdu 2,46% de sa valeur en cours de journée. La baisse faisait suite à la publication d’un rapport de l’agence de notation Moody’s prévoyant une importante baisse des bénéfices des banques en 2017 en raison d’une augmentation de prêts dits « non productifs« . Les chiffres de la production industrielle pour le mois de novembre publiés le même jour avaient marqué quant à eux un ralentissement plus important que prévu par rapport au même mois en 2015.
Début janvier, la livre turque avait chuté à un plus bas niveau historique de 3,60 livres contre le dollar après la publication du taux d’inflation de décembre 2016, en hausse de 1,34% par rapport au mois précédent, et de 8,53% par rapport à décembre 2015, bien au-dessus de l’objectif de 5% de la Banque centrale. En novembre, cette dernière avait relevé, pour la première fois depuis janvier 2014, son principal taux directeur (+50 points de base) pour maintenir à flot la devise turque.
« L’inflation en décembre a été pire que nos attentes, et, d’après nos projections, l’inflation pourrait atteindre un nombre à deux chiffres au deuxième trimestre 2017, même si la devise reste stable », a indiqué quant à lui dans une note écrite le cabinet BCG Partners.
Mardi, pour tenter de mettre fin à cette dégringolade, la Banque centrale avait pourtant annoncé dans un communiqué avoir baissé de « 50 points de base le ratio de réserves de change pour toutes les échéances ». « Avec cette révision, des liquidités de l’ordre d’1,5 milliard de dollars seront injectées dans le système financier », avait ajouté l’établissement financier. « D’autres mesures pourraient être prises pour maintenir la stabilité des prix et la stabilité financière », avait également tenu à préciser la Banque centrale.
Les autorités turques ont d’ores et déjà multiplié les efforts pour tenter d’enrayer la chute de la livre, le président Erdogan appelant même ses concitoyens à convertir en masse leurs devises. Mais la mesure n’aura eu que peu d’effet.
Le plus sombre pourrait être à venir, les économistes redoutant que cette chute se poursuive, compte-tenu notamment des incertitudes sécuritaires et de l’instabilité politique. Un éventuel passage à un système présidentiel ne ferait qu’accentuer les tensions dans un pays frappé par différents attentats liés notamment à la rébellion kurde et au groupe Etat islamique (EI / Daesh ). Ces attaques, qui ont fait 41 morts à Istanbul et à Izmir, marquent un début d’année 2017 sanglant pour un pays secoué en 2016 par un putsch manqué et une vague d’attentats sans précédent – qui a notamment mis en difficulté le secteur clé du tourisme – et des indicateurs de croissance dans le rouge.
Les autorités turques se disent quant à elles optimistes sur le plan financier. « Le taux de change n’est pas plus important que le déficit courant, l’emploi, la croissance ou l’inflation », a ainsi déclaré le ministre de l’Economie Nihat Zeybekçi, cité par le quotidien Hürriyet, ajoutant que la chute de la livre n’était que « temporaire ».
Cemil Ertem, conseiller principal du président Erdogan, voit derrière cette dégringolade de la livre turque un complot étranger qui aurait été fomenté pour encourager la spéculation et dévaluer la monnaie turque pendant les débats parlementaires sur la réforme constitutionnelle. « Il y a une opération en cours pour dévaluer rapidement la livre turque. Ce n’est pas une théorie conspirationniste. C’est une réalité très claire », a-t-il déclaré à Hürriyet.
Sources : AFP, AWP, presse turque
Elisabeth Studer – 11 janvier 2017 – www.leblogfinance.com