Trump vs. Iran : trois pierres d’achoppement qui pourraient déclencher une guerre
Par Shahir Shahidsaless
Middle East Eye
L’effondrement de l’accord sur le nucléaire poussera inévitablement l’administration Trump à entrer en conflit avec l’Iran
Il est simpliste de supposer qu’un quelconque accord nucléaire entre l’Iran et les États-Unis puisse perdurer tandis que les relations entre Washington et Téhéran sont en crise et que d’autres sujets de conflit entre les deux pays restent actifs et non résolus.
L’Iran et les États-Unis devraient s’appuyer sur l’accord sur le nucléaire et initier un processus de détente. Sinon, ce n’est qu’une question de temps avant que l’accord ne s’effrite sous le poids d’hostilités profondément enracinées.
Le guide iranien ne peut pas paraître faible devant les Américains. Il n’a d’autre choix que de défier les États-Unis
Mais outre la question du nucléaire, il reste encore trois pierres d’achoppement entre l’Iran et les États-Unis.
L’Iran met en échec les efforts américains
Premièrement, l’Iran a contesté agressivement l’hégémonie américaine dans la région. Les Américains ont déployé des efforts incessants au cours des quatre dernières décennies, se servant de tous les moyens – à l’exception d’une guerre – pour affaiblir l’Iran et y provoquer un changement de régime, depuis le soutien à Saddam Hussein dans sa guerre sanglante contre l’Iran (1980-1988) aux opérations secrètes, cyberattaques et soutien à des groupes d’opposition armés dans le pays, sans compter les sanctions paralysantes.
Les États-Unis n’ont jamais manqué une occasion d’empêcher le gouvernement iranien d’étendre son influence dans la région ou de chercher à renverser entièrement le système. Toutefois, Téhéran a toujours été en mesure de prendre le dessus.
C’est on ne peut plus évident en Irak, qui devait tomber dans la sphère d’influence américaine après l’invasion de 2003, et en Syrie.
Par exemple, en 2014, tous les pays de la région ont été invités à des négociations de paix pour la Syrie à Genève. L’Iran en a été exclu en raison de l’opposition américaine.
Mais depuis, la situation a changé radicalement en Syrie. En janvier de cette année, une nouvelle série de discussions sur la Syrie a eu lieu au Kazakhstan après la chute d’Alep en décembre – une défaite pour les rebelles et une grande victoire pour l’Iran. Cette fois-ci, cependant, ni les États-Unis ni aucun de leurs alliés régionaux n’ont été invités aux négociations de paix. Téhéran s’est opposé à leur participation.
Objectifs révolutionnaires
Deuxièmement, les conservateurs (faction politique dominante en Iran dirigée par l’ayatollah Ali Khamenei, le guide suprême) insistent pour conserver le caractère révolutionnaire du système politique iranien. Il vise à modifier le statu quo dans la région.
L’Iran a mis sur pied une force paramilitaire massive en Syrie, à proximité d’Israël. Ces milices sont susceptibles de rester là, même dans l’ère post-Assad
Cela a le potentiel de déstabiliser les régimes qui sont des alliés des États-Unis, en particulier les territoires sous l’autorités de cheikhs conservateurs dans le golfe Persique, notamment l’Arabie saoudite. Riyad se sent menacé par Téhéran parce que la population chiite saoudienne se concentre principalement dans sa province orientale, qui abrite Ghawar, le plus grand champ pétrolier au monde, et à cause des Houthis, le mouvement chiite zaydite du Yémen, avec lesquels ils sont actuellement en guerre au sud des frontières saoudiennes.
Depuis la sanglante insurrection chiite à Qatif, dans la province orientale, en 1979, laquelle était inspirée par la Révolution iranienne, on recense plusieurs cas d’affrontements entre les chiites saoudiens et la police et les forces anti-émeute saoudiennes, dont certains ont tourné à la fusillade.
Hostilité envers Israël
Cependant, le troisième – et peut-être le plus important – élément responsable des relations conflictuelles entre l’Iran et les États-Unis est la position hostile du gouvernement iranien envers Israël, en raison de facteurs religieux, historiques, politiques et socio-psychologiques profonds. Cette situation n’a fait qu’empirer avec le succès de l’Iran en Syrie.
À l’instar du groupe militant libanais Hezbollah et de ses intermédiaires en Irak, l’Iran a mis sur pied une force paramilitaire massive en Syrie, à proximité d’Israël. Ces milices sont tout à fait susceptibles de rester là, même dans l’ère post-Assad. C’est une menace réelle pour la sécurité d’Israël, laquelle constitue l’un des deux piliers qui déterminent la politique américaine dans la région – l’autre étant la nécessité que le pétrole du Moyen-Orient puisse circuler sans interruption.
À ma connaissance, l’opposition du public n’a jamais pu empêcher les gouvernements de faire la guerre
Alors que les États-Unis sont sur la défensive, le gouvernement iranien a renforcé sa position en étendant son programme de missiles balistiques et son soutien inébranlable au Hezbollah au Liban.
Toutefois, Washington a les mains liées. Il faudrait soit arrêter l’Iran, soit le forcer à payer un lourd tribut pour ses politiques. Le principal obstacle ? L’accord sur le nucléaire.
Comme cela a été expliqué dans une précédente analyse, si les Américains veulent affronter l’Iran, ils doivent imposer de nouvelles sanctions à l’encontre de Téhéran ou violer l’accord sur le nucléaire en refusant de renouveler les dérogations aux sanctions existantes sous un prétexte inventé ou exagéré.
Le résultat le plus probable de ces approches est l’effondrement de l’accord sur le nucléaire. Et sous la présidence de Donald Trump, qui a qualifié à plusieurs reprises l’accord de « pire accord jamais négocié », ce n’est qu’une question de temps avant que l’une de ces deux approches soit adoptée.
Scénarios de tension
Deux scénarios peuvent se produire.
Premièrement, les Européens peuvent ne pas être d’accord avec les États-Unis si l’Iran reste fidèle à l’accord sur le nucléaire. Il y aurait alors des tensions importantes entre l’Europe et les États-Unis si l’administration Trump commençait à pénaliser les entités européennes qui font affaire avec l’Iran.
Même si les Européens pourraient s’irriter de la position des États-Unis et de l’effondrement de l’accord, il est très peu probable qu’ils s’engageraient dans une guerre économique avec Washington sur l’Iran.
Le deuxième scénario, et le plus vraisemblable, verraient les Européens mécontents succomber à la pression américaine et se retirer du lucratif marché iranien sans imposer leurs propres sanctions à l’Iran, comme ils l’avaient fait en 2011.
À un moment donné, Washington manquera de patience et une opération militaire impliquant des forces aériennes, des missiles et des drones pourrait devenir inévitable
La réaction de représailles iranienne face à une telle éventualité serait une expansion immédiate de son programme nucléaire. Il y a quelques jours, le responsable iranien du nucléaire, Ali Akbar Salehi, a déclaré à la chaîne canadienne CBC News : « Nous pouvons très facilement revenir à la normale et en arrière… non seulement là où nous étions, mais à une position beaucoup plus élevée sur le plan technologique. »
Il a ajouté : « Je ne veux pas voir ce jour. Je ne veux pas prendre de décision en ce sens, mais nous sommes prêts. »
La réalité est que le guide iranien, décideur ultime en matière de politique étrangère, ne peut pas paraître faible devant les Américains. Il n’a d’autre choix que d’affronter les États-Unis. L’expansion du programme nucléaire s’accompagnerait du développement du programme de missiles balistiques du pays.
D’aucuns pourraient soutenir que s’engager dans une guerre contre l’Iran serait contre la doctrine isolationniste préconisée par Donald Trump.
Un conflit inévitable ?
Toutefois, la question se pose : l’Iran peut-il avancer et étendre indéfiniment les deux programmes ci-dessus et espérer que Trump se pose en simple spectateur ?
De fait, à un moment donné, Washington sera à court de patience et une opération militaire impliquant des forces aériennes, des missiles et des drones peut devenir inévitable.
Comment, et à quelle échelle, l’Iran va-t-il réagir reste obscur.
Mais une chose est claire : l’Iran réagira durement et avec détermination. Une guerre émergera, laquelle, comme l’a souligné le secrétaire à la Défense, Leon Panetta, en 2011, « pourrait consumer le Moyen-Orient. »
Le 16 janvier dernier, le président américain sortant Barack Obama a, à juste titre, exhorté son successeur à se rappeler que l’accord sur le nucléaire iranien avait empêché « une autre guerre au Moyen-Orient ».
En attendant, n’oublions pas que le président américain non-interventionniste Woodrow Wilson, après avoir résisté à s’engager dans la Première Guerre mondiale pendant trois ans, avait finalement été contraint de le faire et le Congrès de voter pour déclarer la guerre à l’Allemagne.
Entraîner le peuple dans la guerre
De nombreux observateurs pourraient soutenir qu’après les expériences de l’Afghanistan et de l’Irak, le peuple américain n’a pas d’appétit pour une autre guerre.
Mais quand, dans l’histoire des États-Unis, le peuple a-t-il pu empêcher le gouvernement d’entrer en guerre, surtout au cours des cinquante dernières années, alors que le pays a été constamment engagé dans des conflits de petite et grande envergure ?
Même dans le cas de la guerre du Vietnam, le peuple fit pression sur le gouvernement pour qu’il mette fin à la guerre. Mais à ma connaissance, l’opposition du public n’a jamais été un facteur capable d’empêcher les gouvernements d’entrer en guerre.
La désinformation, la propagande et les campagnes de fausses informations peuvent convaincre le public que la guerre est nécessaire.
Hermann Goering, l’un des dirigeants du parti nazi, fit les remarques suivantes lors d’une conversation avec le psychologue américain Gustave Gilbert lors des procès de Nuremberg en 1946.
« Naturellement, le commun de la population ne veut pas de guerre ; ni en Russie, ni en Angleterre, ni en Amérique, ni, en ce qui nous concerne, en Allemagne. C’est bien entendu. Mais, après tout, ce sont les dirigeants d’un pays qui en déterminent les lignes d’action, et c’est toujours une question simple que d’entraîner le peuple, que ce soit dans une démocratie, une dictature fasciste ou une dictature communiste. [...] Qu’il ait une voix ou pas, le peuple peut toujours être converti à la cause des dirigeants. Cela est facile. Tout ce qu’il suffit de faire, c’est de leur dire qu’ils sont attaqués et dénoncer les pacifistes pour leur manque de patriotisme qui expose le pays au danger. Cela marche de la même manière dans tous les pays. »
- Shahir Shahidsaless est un analyste politique et journaliste indépendant irano-canadien qui écrit sur les affaires intérieures et étrangères de l’Iran, le Moyen-Orient et la politique étrangère américaine dans la région. Il est coauteur de l’ouvrage Iran and the United States: An Insider’s View on the Failed Past and the Road to Peace. Il contribue à plusieurs sites consacrés au Moyen-Orient ainsi qu’au Huffington Post. Il écrit également de façon régulière pour BBC Persian. Vous pouvez le contacter par mail (shahir.shahidsaless@gmail.com) ou le suivre sur Twitter : @SShahisaless.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : le président américain Donald Trump (au centre) parle à la presse avant de signer la confirmation des nominations du général James Mattis en tant que secrétaire américain à la Défense et du général John Kelly comme secrétaire américain à la Sécurité intérieure, sous l’œil du vice-président Mike Pense et du chef de cabinet de la Maison-Blanche Reince Priebus (à droite), dans le Bureau ovale le 20 janvier 2017 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.