L’Expression:«La colonisation a été un crime contre l’humanité», a déclaré Emmanuel Macron à Alger. Et malgré la levée de boucliers, notamment en France, Macron persiste et signe. Ce discours est-il révélateur d’une rupture générationnelle totale dans les relations algéro-françaises ou s’agit-il d’une déclaration personnelle d’un homme politique porté sur les scandales?

Tewfik Hamel: Emmanuel Macron adopte une position équilibriste sur la colonisation. Auparavant, il a reconnu le rôle positif de la colonisation dans l’une de ses interventions faites en France, je dis en France devant un public français. Trois dimensions à prendre en compte dans son discours: émetteur (source du message), le moyen de transmission et la cible visée (ici les Algériens particulièrement les Franco-Algériens). Voici les questions à se poser: qui communique (citoyens, le candidat)? Pour dire quoi? Dans quel but? Susciter une réaction ou simplement transmettre une information? A qui s’adresse-t-il précisément? Par quel moyen? Média, hors-média ou les deux? Quel budget? Et quel résultat? Un tel exercice était plus facile par le passé. On pouvait dire des choses à un public et dire le contraire à un autre. Mais avec la connexion, la compression du temps et l’espace, grâce aux médias et moyens de communication, il est devenu de plus en plus difficile. Donc le candidat cherche à positionner en fonction du public en face. Il ne faut pas trop tenir compte des promesses faites par les candidats, souvent elles ne sont pas respectées une fois président surtout sur des questions aussi fondamentales.

Certains observateurs algériens considèrent que l’histoire de la reconnaissance des crimes de la France en Algérie et des excuses y afférentes est «une affaire franco-française». Est-ce bien le cas?

Oui et non. L’Algérie, avec une élite intellectuelle et dirigeante francophone déterminée à réorganiser l’État le long des lignes modernes, est le pays où l’héritage de la colonisation est plus profond, mais également c’est là où la volonté de s’en débarrasser s’est manifestée violemment par la suite. L’histoire post indépendance fut une suite de rejets répétitifs de la greffe coloniale. C’est la position fragile de l’Algérie qui en fait une question franco-française. Après tout, quels moyens Alger a pour soutenir sa vision et revendication sur la colonisation.?

Aucune réaction officielle au discours de Macron n’a été enregistrée de la part de l’Algérie. Une réaction positive de l’Algérie aidera-t-elle à dépasser cette «guerre des mémoires» entre les deux pays?

La visite de Macron a probablement été arrangée. L’Algérie a intérêt à rester neutre dans la campagne présidentielle. Rien n’est sûr. Le Maroc a exprimé son soutien à Hillary Clinton et finalement c’est Trump qui a été élu. Même si Alger a quelques préférences pour tel ou tel candidat, elle a intérêt à garder la même distance vis-à-vis de tous les candidats. Peut-être, c’est la raison pour laquelle les dirigeants ne se sont pas exprimés sur la question. C’est une question franco-française. S’exprimer sur le sujet pourrait même avoir des effets contraires. Après tout, Alger a toujours refusé que l’on s’implique dans ses affaires intérieures. Position subtile.

Reconnaître aussi solennellement les crimes commis par la France coloniale en Algérie constitue-t-il une rupture qui peut permettre à la France officielle, même dans le cas où Macron n’est pas élu président, de revoir en profondeur sa relation avec l’Algérie?

Macron ne fait que reconnaître une réalité historique, amère pour les Algériens. Dès 1833, une commission parlementaire française a rapporté que «nous avons dépassé en barbarie les barbares que nous sommes venus civiliser». Faut-il encore que les populations autochtones soient vraiment des barbares. Ses déclarations pourraient contribuer quelque part à avancer le débat, sans pour autant le régler. Il s’agit d’un sujet passionnel qui échappe à la rationalité scientifique.

Propos recueillis par 

Tewfik Hamel, est consultant international, chercheur en Histoire militaire et études de défense à l’université Paul Valéry, en France; chef de la Rédaction d’African Journal of Political Science et Membre du Conseil consultatif de Strategia http://www.stractegia.com/fr/about/