Le chercheur au King’s College, Vincent Hiribarren, raconte son casse-tête pour accéder aux archives françaises sur l’assassinat de l’ex-chef d’Etat burkinabé.
Thomas Sankara a été assassiné le 15 octobre 1987. Presque trente ans plus tard, l’identité de son meurtrier est toujours inconnue. En tuant Sankara, le ou les coupables ont cherché à étouffer les idées d’un homme devenu une figure emblématique de la révolution en Afrique. Les suspects ne manquent pas : Blaise Compaoré, des mercenaires du Liberia, des Libyens, des Ivoiriens ou encore des Français. Au Burkina Faso, une enquête a déjà été ouverte et des personnes inculpées. Par ailleurs, François Yaméogo, un juge d’instruction burkinabé, a lancé une commission rogatoire pour demander la levée du « secret défense » en France.
Un secret bien gardé par la France
La France pourrait bien avoir sa part de responsabilité dans cet assassinat. Après tout, les relations entre François Mitterrand et Thomas Sankara étaient tendues depuis le voyage présidentiel français au Burkina Faso en novembre 1986. La question de la dette semblait en particulier se trouver au centre des divergences entre les deux dirigeants. Le discours de Sankara à Addis-Abeba trois mois avant sa mort révélait au grand jour les divergences entre l’ancien colonisateur et le Burkina Faso sur ce point précis. Cependant, les pistes parfois contradictoires se heurtent à la difficulté d’obtenir des sources crédibles sur cet assassinat qui a transformé le Che Guevara africain en un martyr de la lutte anticoloniale.
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Journalistes, historiens et enquêteurs ont cherché à identifier le ou les assassins mais, faute de preuves concluantes, le rôle précis de la France n’a jamais pu être déterminé. Le problème principal est qu’en théorie les documents produits par l’administration française ne peuvent être lus par les chercheurs que cinquante ans après leur création si ceux-ci « porte [nt] atteinte au secret de la défense nationale, aux intérêts fondamentaux de l’Etat dans la conduite de la politique extérieure, à la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la protection de la vie privée », selon l’article L213-2 du Code du patrimoine.
On voit dans quelle mesure cette loi sert à protéger des personnes, en particulier dans l’exercice de leurs fonctions. Quand un événement comme l’assassinat de Sankara a des conséquences historiques indéniables, des chercheurs peuvent obtenir une dérogation, c’est-à-dire le droit de consulter des documents quand ceux-ci peuvent présenter un intérêt historique majeur. En tant qu’historien spécialiste de l’Afrique, j’ai effectué une demande de dérogation en avril 2015 pour consulter les documents disponibles aux archives nationales de France sur Sankara...