La cruelle légende de David Rockefeller, Patriarche de l’État Profond.
Par William F. Engdahl
New Eastern Outlook
Traduction par Jean-Maxime Corneille, pour Réseau International, article original paru dans New Eastern Outlook.
La mort de David Rockefeller, le patriarche de fait de l’Etablissement américain, à l’âge de 101 ans, a été accueillie par les médias de l’Etablissement avec louanges pour sa philanthropie alléguée. J’aimerais contribuer ici à donner une image un peu plus honnête de sa personne…
Le Siècle Américain de Rockefeller.
En 1939, avec ses quatre autres frères (Nelson, John D. III, Laurance et Winthrop), David Rockefeller ont financé avec leur Fondation Rockefeller le « Projet d’Etude Guerre et Paix [War & Peace Studies Project]», mené sous l’égide du Conseil de New York pour les Relations Etrangères [New York Council on Foreign Relations – CFR] qui était alors le cercle d‘influence [think-tank] le plus influent en matière de politique étrangère américaine, lui-même également contrôlé par les Rockefeller[1].
Toute une collection d’universitaires américains se rassembla avant même le déclenchement de la Deuxième Guerre Mondiale, afin de planifier un empire mondial qui serait celui de l’après-guerre, ce que l’initié de la revue Time-Life Henry Luce, devait appeler plus tard le Siècle Américain. Ils réalisèrent là un brouillon de la future conquête d’un empire global né de l’Empire britannique en banqueroute, mais avec prudence ils décidèrent de l’appeler autrement qu’un empire. Au lieu de cela ils parlèrent donc de “répandre la démocratie, la liberté, et la libre entreprise à la façon américaine”.
Leur projet s’intéressait à la carte géopolitique du monde, planifiant comment les États-Unis remplaceraient l’Empire britannique en tant qu’Empire dominant de facto. La création des Nations Unies en était une composante clé. Les frères Rockefeller firent don du terrain qui abriterait à Manhattan les Quartiers Généraux de l’ONU (et au passage réalisèrent des milliards de dollars de plus-value dans l’accroissement du prix de l’immobilier jouxtant ce terrain, qu’ils possédaient également). Voici ce qu’était la “philanthropie” des Rockfeller en tant que méthode : chaque concession donnée était calculée afin d’augmenter la richesse et le pouvoir de la famille.
Après la guerre, David Rockefeller domina la politique étrangère américaine, et les guerres innombrables menées en Afrique, en Amérique latine, en Asie… La faction Rockefeller créa la Guerre froide entre l’Union Soviétique et l’OTAN, afin de garder une Europe de l’Ouest convalescente sous le statut de vassal américain. Comment ils le firent? Je l’ai expliqué en détail dans mon livre : “Les dieux de la monnaie [The Gods of Money]”. Ici je me contenterai de donner quelques exemples des crimes commis contre l’humanité par David Rockefeller.
La recherche biologique de Rockefeller : « Contrôlez le peuple… »
Si la philanthropie devait être motivée par l’amour de notre prochain, alors on peut considérer que les donations réalisées par la Fondation Rockefeller n’en sont pas. Prenons par exemple la recherche médicale : durant la période jusqu’à 1939 et la guerre, la Fondation Rockefeller finança la recherche biologique du Kaiser Wilhelm Institut de Berlin. Il s’agissait là d’eugénisme nazi : comment concevoir une race supérieure, et comment tuer ou stériliser ceux qui étaient considérés comme “inférieurs”. Rockefeller finança donc l’eugénisme nazi.
La Standard Oil des Rockefeller viola également les lois américaines afin d’approvisionner en secret l’Armée de l’air nazie avec de l’essence rare durant la guerre [essence d’aviation à haut indice d’octane]. Après la guerre, les frères Rockefeller s’arrangèrent pour que les scientifiques nazis principaux qui avaient été impliqués dans d’atroces expérimentations humaines, soient exfiltrés aux USA et au Canada sous des identités expurgées, afin de continuer leurs recherches eugéniques. Nombre d’entre eux travaillèrent ensuite pour le projet top secret MK-Ultra de la CIA.
Durant les années 1950, les frères Rockefeller fondèrent le “Conseil de Population [Population Council]“ afin d’avancer les recherches géniques, déguisés en recherches sur la population sur les questions du contrôle des naissances. Les frères Rockefeller furent responsables durant les années 1970, du projet top secret du Gouvernement américain dirigé par le Conseiller à la Sécurité Nationale des Rockefeller, Henry Kissinger : le Memorandum NSSM-200 intitulé : « Implications d’une croissance de la population mondiale sur les intérêts sécuritaires et extérieurs des États-Unis [Implications of Worldwide Population Growth for US Security and Overseas Interests] ».
Il argumentait qu’une importante croissance de la population dans les pays en développement, disposant de matières premières stratégiques comme le pétrole ou les autres minerais, constituerait une « menace pour la Sécurité Nationale » des États-Unis, du fait que l’accroissement de ces populations supposerait une croissance économique nationale, utilisant ces ressources de façon interne (sic!). Le NSSM-200 subordonnait des programmes de réduction de la population des pays en développement, en tant que préconditions de l’aide américaine. Durant les années 1970, la Fondation Rockefeller de David Rockefeller finança également aux côtés de l’OMS, le développement d’un vaccin spécial contre le tétanos qui participait à la limitation de la population, en rendant les femmes incapables de supporter un état de grossesse, ce qui attentait directement au processus même de la reproduction humaine.
La fondation Rockefeller créa le champ tout entier de la manipulation génétique, à travers sa propriété sur la Société Monsanto, et en finançant les recherches biologiques universitaires afin de créer le “canon à gène”, et d’autres techniques qui devaient être utilisées afin d’altérer artificiellement l’expression génétique d’une plante donnée. Le but des OGM, depuis que les Rockefeller ont autorisé le désastreux projet du Riz Doré des Philippines [Golden Rice project], a été d’utiliser les OGM afin de contrôler la chaîne alimentaire humaine et animale. Aujourd’hui plus de 90 % de tout le soja cultivé aux États-Unis est OGM, et plus de 80 % du maïs et du coton. Pourtant il n’est pas étiqueté comme tel en magasin.
Les chocs pétroliers : « Contrôlez le pétrole »…
La fortune des Rockefeller est basée sur le pétrole, autour de compagnies telles que ExxonMobil, Chevron et autres. Henry Kissinger, le conseiller politique de David Rockefeller depuis 1954, fut impliqué dans chaque projet majeur des Rockefeller. Kissinger manipula secrètement la diplomatie du Moyen-Orient en 1973, afin de déclencher ce qui fut connu comme l’embargo pétrolier des pays arabes de l’OPEP.
Les chocs pétroliers de 1973-74 furent en effet orchestrés par une organisation secrète que David Rockefeller créa durant les années 1950, connue sous le nom de Groupe Bilderberg. En mai 1973, David Rockefeller et les autres dirigeants des “Majors”, les grandes compagnies pétrolières principalement anglo-américaines, se réunirent en effet à Saltsjöbaden, en Suède, pour la Réunion annuelle du Bilderberg [Bilderberg Meeting], afin de planifier les chocs pétroliers. Le blâme devait en être porté par les « cheikhs pétroliers arabes avides ». Or ces chocs pétroliers sauvèrent le dollar américain vacillant, et propulsèrent les banques de Wall Street, incluant la Chase Manhattan de David Rockefeller, au rang des plus grandes banques du monde. L’auteur [William Engdhal] a en sa possession le protocole “confidentiel” de cette réunion, à l’occasion de laquelle la stratégie d’augmentation des prix fut décrite six mois avant la guerre israélo-arabe du Kippour. Les détails additionnels sont racontés dans mon livre : « Pétrole une guerre d’un siècle »[i]. Durant les années 1970, Kissinger résuma la stratégie mondiale de David Rockefeller : « si vous contrôlez le pétrole, vous contrôlez des nations entières ; si vous contrôlez la nourriture, vous contrôlez le peuple ; si vous contrôlez l’argent, vous contrôlez le monde entier ».
Les chocs monétaires : « Contrôlez l’argent »…
David Rockefeller fut le Président de la Chase Manhattan Bank, la banque de la Famille. Il fut responsable pour avoir fait du Vice-président de la “Chase“, Paul Volcker, le Président de la Réserve Fédérale sous le Président Carter, afin de mettre en place la thérapie de choc monétaire par les taux d’intérêt qui une nouvelle fois, comme le choc pétrolier en son temps, sauva le dollar américain vacillant et les profits des banques de Wall Street, incluant ceux de la Chase Manhattan, ceci au détriment de l’entière économie mondiale.
La “thérapie de choc” par les taux d’intérêts de Volcker, en octobre 1979, soutenu par les Rockefeller, créa ce qui fut connu durant les années 1980 comme la “Crise de la Dette du Tiers-monde [Third World Debt Crisis].” Rockefeller et Wall Street utilisèrent cette crise de la dette afin de forcer aux privatisations des entreprises d’État, et à des dévaluations drastiques des devises nationales dans des pays comme l’Argentine, le Brésil ou le Mexique. Rockefeller et ses amis comme George Soros, s’emparèrent ensuite des joyaux de la couronne de ces mêmes pays : Argentine, Brésil, Mexique notamment, à vil prix.
Le modèle de ce qui fut alors mis en place, ressemblait davantage à celui que les banques britanniques avaient utilisé naguère dans l’Empire ottoman après 1881, lorsqu’ils prirent de fait le contrôle des finances du Sultan, en contrôlant tous les revenus fiscaux à travers l’Administration de la Dette Publique Ottomane (ADPO [Ottoman Public Debt Administration – OPDA]). Les intérêts des Rockefeller utilisèrent la crise de la dette des années 1980, afin de voler la plupart des pays d’Amérique latine endettée et des pays africains, utilisant le FMI comme s’il s’était agi de leur propre gendarme. David Rockefeller était un ami personnel de certains des plus sauvages dictateurs militaires d’Amérique latine, incluant le Général Jorge Videla en Argentine, ou Pinochet au Chili : ces deux-là devaient d’ailleurs leur poste à des coups d’État de la CIA arrangés par celui qui était alors le Secrétaire d’État américain, Henry Kissinger, au nom des intérêts de la famille des Rockefeller en Amérique latine.
À travers des organisations comme la Commission Trilatérale, Rockefeller fut le principal architecte de la destruction des économies nationales, et de la marche en avant de la soi-disant “Mondialisation“ : une politique qui bénéficie avant tout aux grosses banques de Wall Street et de la City de Londres, et à des Firmes Multi-Nationales [FMN] mondialisées sélectionnées – les mêmes qui sont des membres régulièrement invités de sa Commission Trilatérale. Rockefeller créa en effet la Commission Trilatérale en 1974, et donna à son ami proche Zbigniew Brzezinski, le poste consistant à choisir ses membres en Amérique du Nord, au Japon en Europe.
Si nous devons donc parler d’un réseau puissant et occulte que certains appellent l’”État Profond [Deep State]“, alors nous devons dire que David Rockefeller s’est vu lui-même comme le Patriarche de cet État Profond. Le véritable aspect de ses actes et de son œuvre, mérite d’être vu honnêtement pour ceux qui le furent : misanthropique mais certainement pas philanthropique.
NB : les détails du sourçage des affirmations ici, sont tous donnés dans différents livres de l’auteur, dont deux seulement sont aujourd’hui traduits en français : « Pétrole une guerre d’un siècle » (Editions Jean-Cyrille Godefroy, 2007), et « Les semences de la destruction » (Editions Jean-Cyrille Godefroy, 2008).
William F. Engdahl est consultant en risques stratégiques et conférencier, titulaire d’un diplôme en Sciences Politiques de l’Université de Princeton. Il est l’auteur de plusieurs livres à succès sur le pétrole, la géopolitique et les OGM.
Traduction par Jean-Maxime Corneille, pour Réseau International, article original paru dans New Eastern Outlook.
[1] « Continuing the Inquiry – War and Peace » (site officiel du CFR) : http://www.cfr.org/about/history/cfr/war_peace.html
[i] Editions Jean-Cyrille Godefroy, 2007.