Lire :
- Sarkozy : "vous m'accusez d'avoir fait tuer Monsieur Kadhafi, ai-je compris cela ?" (Vidéo)
- Le parlement britannique remet en cause les raisons de la guerre en Libye de Sarkozy
Libye. Benghazi. Radio Sarkozy ment, France TV désinforme
Nous présentons la retranscription intégrale de l'interview de Sarkozy par David Pujadas et Léa Salomé dans l'Emission politique (sur France 2, le 15.09.16, cf la vidéo ci-dessus et la transcription complète en bas de l'article) concernant son action en Libye et ses justifications. Si l'on peut saluer l'audace de Pujadas qui questionne Sarkozy sur sa responsabilité dans l'assassinat de Kadhafi - l'ex-chef de guerre étant d'ailleurs bien en difficulté pour réfuter les accusations relativement bien étayées de Pujadas si ce n'est en traitant le leader panafricain de "fou", de "dictateur sanguinaire" comme ultime forme de légitimation - on ne peut qu'être surpris par la désinformation des journalistes à l'antenne qui continuent à prétendre que l'intervention française s'est faite pour éviter un "massacre de civils" à Benghazi en n'intégrant pas les informations récentes solidement étayées prouvant que les civils n'ont jamais été sérieusement menacés par le pouvoir de Kadhafi à Benghazi. Cette information délivrée par Pujadas permet à Sarkozy de justifier son action coloniale et militaire en Libye en la faisant passer pour une guerre à visée humanitaire alors qu'il n'en était rien. A plusieurs reprises, Pujadas déclare que l'action française et de l'OTAN était légitime au regard de la menace qui pesait sur Benghazi alors que ce n'était pas le cas selon de nombreuses sources que malheureusement Pujadas n'a pas encore intégré. Rappelons nous qu'à l'époque le gouvernement Sarkozy-Fillon visait à alarmer les populations sur la possible survenue d'un massacre à Benghazi. « La situation sur le terrain est plus alarmante que jamais. Il nous reste très peu de temps, c’est peut-être une question d’heures. » déclarait Alain Juppé, Ministre des Affaires étrangères de Sarkozy.
Nous allons aborder les nombreuses sources que Pujadas pourrait se procurer ainsi que Léa Salamé qui reste silencieuse (as usual sur les sujets de politique étrangère française en Afrique) durant toute l'intervention de l'ex-chef de guerre sur la Libye. Des sources d'informations anciennes et plus récentes que la rédaction de France 2 devrait également se procurer notamment le récent rapport de la commission d'enquête parlementaire britannique mettant sérieusement à mal les justifications de Cameron et Sarkozy pour entrer en guerre en Libye (nous y reviendrons). Mediapart dans un article intitulé "Le parlement britannique remet en cause les raisons de la guerre en Libye de Sarkozy" évoque l'éventualité d'un "grand mensonge d'Etat". Pujadas et Salamé peuvent-ils cautionner cela dans le P.A.F ?
Premièrement, le président du CNT (Conseil national de transition libyen) déclare lui même sur Chanel One que Kadhafi n'est pas à l'origine de la fusillade de Benghazi. Il s'agit de Mustapha Abdu Jalil haut responsable de la "révolution libyenne".
"Kadhafi n'a pas ordonné la fusillade qui a été à l'origine de la fausse révolution en Libye. Maintenant, après la destruction de la Libye, Jalil avoue au monde sur Channel One que les manifestants qui ont été tués à Benghazi qui ont été le prétexte fourni à l'ONU et à l'OTAN pour attaquer la Libye ont été tués par un groupe d'espions et de mercenaires qui n'étaient pas de Libye. Il admet qu'il savait la vérité à l'époque mais cela a été fait pour abattre le gouvernement libyen et briser l'Etat. Il admet qu'il a été informé à l'avance que cela allait se produire et que les gens de la Libye n'ont pas reconnu les manifestants morts parce qu'ils portaient des vêtements civils et qu'il n'y a eu personne qui est venu à leurs funérailles comme ils n'avaient pas de parents ou d'amis en Libye."
Les allégations selon lesquelles Kadhafi aurait réprimé son propre peuple à Benghazi émanent du responsable de la Ligue libyenne des Droits de l'homme, le Dr Slimane Bouchuiguir (membre également du CNT et en lien étroit avec la FIDH), qui a fini par reconnaître qu'il n'avait aucune preuve quant à ce qu'il alléguait. Pourtant ces allégations ont été instrumentalisées par la France, la Grande-Bretagne, les USA, Israël devant le conseil de sécurité de l'ONU pour justifier sans preuve une guerre humanitaire contre le pouvoir de Kadhafi et la Libye.
Le journaliste d'investigation Julien Teil explique dans les vidéos ci-dessous, comment des opposants au colonel Kadhafi s'étaient déguisés en ONG pour intervenir au Conseil des Droits de l'Homme à l'ONU, et comment la Cour pénale internationale a cautionné une guerre déjà en cours avec une accusation contre Kadhafi basée sur les même mensonges. En réalité, les affirmations selon lesquelles le colonel Kadhafi s'apprêtait à commettre un massacre à Benghazi, où que l'aviation libyenne avait bombardé des rebelles à Tripoli même, étaient des pures inventions que certaines personnes bien informées avaient reconnues comme tels au moment des faits.
Mais plus récemment, c'est un rapport parlementaire britannique qui a sérieusement mis en cause les motivations humanitaires avancées par Cameron et Sarkozy pour légitimer leur guerre en Libye en 2011. Selon le rapport de la Commission des affaires étrangères britanniques (Libya: Examination of intervention and collapse and the UK's future policy options), l’opération était basée sur « des postulats erronés » et « une analyse partielle des preuves ». Le gouvernement britannique « n’a pas pu vérifier la menace réelle que le régime Kadhafi faisait peser sur les civils (à Benghazi et à Tripoli, ndlr) et a échoué à identifier les factions islamistes radicales au sein de la rébellion ». Le rapport ajoute, que "la stratégie britannique a été fondée sur des suppositions fausses et une compréhension incomplète de la situation".
Cette récente Commission qui a publié son rapport le 14 septembre 2016 (qui visiblement n'a pas encore rejoint les bureaux de France Télévision) accepte aujourd'hui comme sans fondement au paragraphe 32 du rapport, les allégations selon lesquelles Kadhafi aurait massacré son propre peuple à Benghazi. Le rapport déclare qu'aucune preuve n'existait que Kadhafi allait massacrer des civils. De plus, le Washington Times révélait que les services de renseignement US, contrairement à ce que prétendait Hillary Clinton, n'ont rassemblé aucune preuve spécifique d'un génocide menaçant en Libye au printemps 2011. L'article du WT précise même : "Le fort plaidoyer pour l'intervention contre le régime libyen a reposé plus sur des arguments spéculatifs de ce qui pourrait arriver aux civils que sur des faits rationnels et vérifiés".
Le rapport britannique ajoute, quant à lui, que ce sont les efforts diplomatiques de la France qui ont ouvert la voie aux opérations militaires en Libye. Et Nicolas Sarkozy aurait poussé à l'intervention afin, dit la commission, d'«accroître l'influence française en Afrique du Nord» mais aussi d'«améliorer sa situation politique en France». Pour arriver à cette conclusion explosive, les parlementaires s'appuient sur des échanges de 2011 entre les services secrets français et la secrétaire d'Etat étatsunienne, une certaine Hillary Clinton. Ils ont aussi épluché les mails échangés entre cette dernière et l'un de ses conseillers, Sidney Blumenthal, rémunéré 10 000 dollars par mois, non pas par le gouvernement étatsunien mais par la désormais célèbre Fondation Clinton.
Selon des courriels d'Hillary Clinton, les rebelles libyens auraient été formés par les services secrets français, informations également évoquées par une source de la CIA. D'après ces courriels, les services secrets français - "ont commencé une série de réunions secrètes" avec Abdu Jalil et le général Abdul Fatah Younis dans Benghazi fin février en leur donnant de "l'argent et des conseils" pour configurer le conseil des rebelles (CNT), dont la formation a été annoncée le 27 février. Des officiers, "parlant sous ordres [de Sarkozy] ont promis qu'aussitôt que [le conseil] serait organisé, la France le reconnaîtrait comme le nouveau gouvernement de la Libye." "En échange de leur aide, "les officiers de la DGSE ont indiqué qu'ils s'attendaient à ce que le nouveau gouvernement de la Libye puisse favoriser les sociétés françaises et les intérêts nationaux, particulièrement quant à l'industrie pétrolière en Libye."
Début de l'entretien sur France 2
Retranscription intégrale de l'interview de Nicolas Sarkozy par David Pujadas sur la Libye lors de l'Emission Politique sur France 2, le 15.09.16. Nous avons surligné en gras les allégations fausses reprises par Sarkozy et Pujadas concernant la menace que faisait peser Kadhafi sur Benghazi.
David Pujadas : Cela m'amène à ma dernière question et cela sera la conclusion de l'émission. La Libye. Regrettez-vous d'être intervenu, non pas pour sauver Benghazi d'un massacre annoncé comme vous avez pu le faire avec le soutien, rappelons le, avec un mandat de l'ONU, avec le soutien de l'OTAN, avec le soutien du monde entier en fait, y compris l'opposition en France - mais d'avoir outre passé en quelque sorte ce mandat et d'être aller jusqu'à tuer, ou de fait faire tuer, livrer le colonel Kadhafi à la rébellion ? Des années après ...
Nicolas Sarkozy : Vous perdez votre raison M. Pujadas...
D.P : ... (Des années après), un Etat disloqué, un Etat disloqué, des djihadistes qui trouvent des refuges et qui ont bénéficié des armes et une vague migratoire.
N.S: Monsieur Pujadas, vous m'accusez d'avoir fait tuer Monsieur Kadhafi, ai-je compris cela ?
D.P. : Ce n'est pas une accusation si la France n'avait pas aidé la rébellion, elle n'aurait pas pu tuer le colonel Kadhafi.
N.S: Attendez, excusez-moi, enfin êtes-vous...
D.P. : Son convoi a été bombardé au moment précis où il a été tué...
N.S. : Monsieur Pujadas, j'ai été très marqué, jeune responsable politique dans les années 1990, quand 8000 musulmans ont été assassinés à Sebrenica devant une communauté internationale qui n'a pas levé le petit doigt.
D.P. : Benghazi c'était une noble cause.
N.S: Et quand ce dictateur sanguinaire, ce fou de Kadhafi a dit je vais faire couler des rivières de sang à Benghazi, un million d'habitants (habitent à Benghazi).
D.P. : Ca c'est un point réglé (?).
N.S: Les Nations-Unies ont donc donné un mandat à une vingtaine de pays plus la Ligue arabe qui nous avait demandé d'intervenir pour que nous protégions Benghazi. Et je vais vous faire une coïncidence. Peut-être que le jour le plus émouvant de ma vie internationale, c'est quand je suis arrivé avec David Cameron à Benghazi et pour une fois j'ai vu la rue arabe, les jeunes Arabes, ils ne criaient pas mort aux Juifs, ils criaient pas mort aux Américains, ils disaient merci la France, on veut la démocratie. Et quand il y avait les avions avec la cocarde tricolore dans le ciel de Benghazi, je me suis dit depuis Lawrence d'Arabie on a évité un drame entre l'Orient et l'Ocident.
D.P. : On a évité un drame mais on a pas joué aux apprentis sorciers de la démocratie ensuite.
N.S.: Enfin, vous plaisantez. C'est la Méditerranée, c'est notre mer. La Méditerranée est large, au plus large de plus de 1600 kms. On peut s'interroger sur la légitimité d'aller intervenir en Afghanistan, en Irak ou au Koweit comme M. Mitterrand pas d'intervenir sur les bords de la Méditerranée. Tunis est à 720 kms de Nice, si on les aide pas vous croyez que cela ne viendra pas chez nous ?
D.P. : Oui mais on a de fait renverser un régime et ça a tourné au chaos.
N.S. : Ce n'est pas vrai, c'est un mensonge. En 2012, il y a eu des élections législatives en Libye. Juillet 2012. Pouvez-vous me dire quelle était la participation ?
D.P. : La participation était importante mais la Cyrénaïque avait déjà fait sécession, le pays était déjà en train de se disloquer.
N.S. : Pardon Monsieur, soyez précis, plus de 60% de participation. Qui a gagné les élections de législative de juillet 2012, les modérés. Et pour la première fois ces malheureux libyens avaient le droit de voter sur la Méditerranée et les modérés avaient gagné.
D.P. : Mais le pays était déjà disloqué.
N.S. : Qu'est-ce qui s'est passé M. Pujadas ? Pour des raisons politiciennes, on a laissé tombé la Libye pour s'occuper d'autres choses.
D.P. : Qu'aurait-il fallu faire, envoyer des troupes au sol ?
N.S. : La Libye c'est 6 millions d'habitants. Il fallait aider cette jeune démocratie libyenne.
D.P. : Mais comment ?
N.S. : Il fallait les encadrer.
D.P. : On a jamais réussi à aider l'Irak !
N.S. : Enfin, vous n'allez pas comparer l'Irak et la Libye qui ne sont absolument pas de la même dimension.
D.P. : Mais (inaudible) a échoué
N.S.: La Libye est devenue un chaos. On a envoyé les soldats français au Mali. Peut-être était-ce nécessaire mais sur un espace grand comme trois fois la France, envoyer 3000 soldats français pour établir l'ordre, je me demande encore quelle est encore leur mission.
D.P.: Ils ont évité que le Mali tombe aux mains des djihadistes.
N.S. : On a dit aux Français que cela ne durerait que quelques semaines, j'ai toujours pas compris quelle était la mission et combien de temps nous allions y rester. Donc l'intervention en Libye était justifiée, nous avions un mandat des Nations Unies, nous avons réussi, les élections avaient eu lieu et ce fut une grande erreur diplomatique que de laisser tomber la Libye.
Léa Salamé : Merci David, c'est le moment de retrouver Karim pour un moment important...