Malgré le soutien massif des médias, de l’establishment, du patronnat, des universitaires, le résultat d'Emmanuel Macron à l'élection n'est pas spectaculaire et une forte opposition se prépare, explique l'essayiste Jean Bricmont.
RT France : Comment voyez-vous le quinquennat d’Emmanuel Macron qui vient d’être élu à la présidence de la République ?
Jean Bricmont (J. B.) : La seule chose que l’on puisse commenter pour le moment, c’est la façon dont il a été élu. Il a été élu avec le soutien massif des médias dès le premier tour, et au deuxième tour, avec celui, quasi-intégral, de l’establishment, du patronnat, des intellectuels, des universitaires, etc. Les présidents des universités ont même envoyé des courriers aux étudiants en leur demandant de voter pour Emmanuel Macron ce qui donne une idée de la mobilisation pro-macronienne et de la violation des principes démocratiques. Les médias étaient tout à fait partisans. On a eu droit à un Blitzkrieg médiatique.
Les souverainistes ont perdu une bataille mais ils n’ont pas perdu la guerre.
Est-ce que 62% peut être perçu comme une victoire ? Considérant l’abstention, considérant les votes blancs, nuls et le vote Le Pen, on est loin de la majorité ! Surtout quant on pense au déferlement médiatique qui s’était abattu sur le pays ! S’il s’agit, pour reprendre le propos de François Hollande, d’un référendum sur l’Europe – et c’est le cas puisqu’il y a en France une forte opposition entre les mondialistes (les européistes) et les souverainistes – les souverainistes ont perdu une bataille mais ils n’ont pas perdu la guerre.
RT France : Quel regard porter sur le taux d’abstention et de vote blanc, tous deux énormes ?
J. B. : Il y a en effet un certain nombre de gens qui ont appelé à l’abstention. Rappelez-vous que la plus grande abstention du XXe siècle, en France, remonte à 1969. Le Parti communiste français, à l’époque très puissant, avait appelé à l’abstention puisqu’il fallait choisir entre Georges Pompidou et Alain Poher qui était centriste. Dans le cas présent, l’appel à l’abstention a été un phénomène marginal. Le fait que les gens se soient abstenus dénote d’ores et déjà l’éveil d’un esprit critique par rapport à l’injonction, surréaliste à mon sens, de voter Macron. Les attaques contre Jean-Luc Mélenchon qui n’a ni appelé à l’abstention, ni donné de consigne de vote ont, elles aussi, été surréalistes.
Le résultat peut paraître spectaculaire mais il ne tient qu’au fait qu’on ait encore fait mousser la menace Le Pen
Il a été conspué d’une manière inouïe ! Je n’ai vécu ce genre d’expérience qu’en 2002 avec la campagne contre le père [de Marine Le Pen, Jean-Marie Le Pen], à l’époque encore plus stalinienne, j’ai vécu ça en 1991, aux USA, lors de la première guerre du Golfe quand le Blitzkrieg médiatique était un phénomène nouveau et que tous les médias, toute la population, toutes les universités étaient mobilisées, je le vis aujourd’hui avec cette élection. Le résultat peut paraître spectaculaire mais il ne tient qu’au fait qu’on ait encore fait mousser la menace Le Pen de deux façons différentes. D’une part, en prétendant qu’elle aurait un score élevé. D’autre part, en prétendant que sa victoire serait celle du fascisme et qu’elle pourrait gouverner. Non seulement Madame Le Pen n’est pas fasciste, mais en plus, elle ne pourrait pas gouverner. Par conséquent, les résultats ne sont pas spectaculaires et une forte opposition se prépare.
Les Républicains et les socialistes rebaptisés En Marche! vont de nouveau occuper la majorité des sièges à l’Assemblée nationale
RT France : Quelles sont vos prévisions pour les législatives ?
J. B. : Je ne suis pas devin. J’ai vu des centaines de sondages disant qu’En Marche! décrocherait la majorité. Il est très clair que ce mouvement va recycler une bonne partie des socialistes. Il y aura certainement une recomposition. J’ai l’impression que les Républicains et les socialistes rebaptisés En Marche! vont de nouveau occuper la majorité des sièges à l’Assemblée nationale. Les élections sont relativement locales, tous les barons locaux sont là, les traditions locales jouent leur rôle et il y aura de nouveau un barrage médiatique en faveur des deux partis principaux, et notamment d’En Marche! : on portera l’accent sur le fait qu’ayant été élu, il faut absolument une majorité à Emmanuel Macron. En outre, il pourrait très bien gouverner seul ou avec le restant du Parti socialiste.
Macron est un Obama français. La question est de savoir qui sera le Trump français dans cinq ou dix ans
RT France : Quid de La France insoumise ?
J. B : On ne lui promet pas d’énormes scores. Ses membres sont en train de se disputer avec les communistes, avec les Verts, etc. Ce n’est pas si simple. Je ne m’attends pas à un grand résultat de La France insoumise. Je pense que s’il y a un aspect positif dans cette campagne, c’est qu’elle a éveillé une certaine insoumission à travers tous ceux qui ont refusé le mot d’ordre de faire barrage, qui ont refusé de suivre le mot d’ordre de l’appareil d’Etat, des médias, etc. Je n’ai pas voté parce que je ne suis pas Français mais si je l’avais été, je me serais abstenu pour ne pas suivre la meute et sachant très bien que Marine Le Pen n’allait pas être élue. Pour résumer, on pourrait dire que Macron est un Obama français ce dernier était aussi inconnu avant d’être élu et a été, de la même façon, soutenu par les médias. La question est de savoir qui sera le Trump français dans cinq ou dix ans.