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Guerre hybride 8. La guerre hybride peut causer des ravages à travers l’Afrique de l’Ouest 2/4 (Oriental Review)

par Andrew Korybk 2 Mai 2017, 05:14 Tchad Guerre hybride Terrorisme Boko Haram Déstabilisation Guerre civile Afrique

Guerre hybride 8. La guerre hybride peut causer des ravages à travers l’Afrique de l’Ouest 2/4


andrew-korybko

Par Andrew Korybko – Le 24 mars 2017
Oriental Review

Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par xxx pour le Saker Francophone

Guerre hybride 8. La guerre hybride peut causer des ravages à travers l’Afrique de l’Ouest 2/4 (Oriental Review)
Le premier des quatre principaux pays à explorer dans l’analyse de la guerre hybride d’Afrique de l’Ouest est le Tchad, un État peu peuplé situé à un carrefour trilatéral entre l’Afrique de l’Ouest du Nord et du Centre. Un regard rapide sur la carte révèle la signification géostratégique de ce pays, mais il le présente également de manière erronée comme un état désertique au milieu de nulle part. Bien que cela soit partiellement vrai, il est injustifié de simplifier le Tchad à ces descriptions de base, car ces termes généraux ne révèlent pas la richesse de la diversité et les vulnérabilités à la guerre hybride à l’intérieur de ses frontières. De plus, présenter le Tchad comme un terrain perdu au milieu de l’Afrique n’explique pas non plus pourquoi son armée est l’une des plus ambitieuses et des plus entraînées sur tout le continent, ni pourquoi le pays est tellement important pour les plans de la nouvelle route de la soie en Chine. Par conséquent, une approche globale est nécessaire de manière urgente afin de mieux comprendre la dynamique interne et externe du Tchad qui, à son tour, peut aider les observateurs et les stratèges à identifier les scénarios de déstabilisation les plus susceptibles d’affliger cet état très important.

 

L’analyse du Tchad commence par analyser la situation géo-démographique du pays avant de passer à la façon dont c’est lié à son histoire du militantisme au nord et à ses frontières. Après cela, la recherche souligne le rôle irremplaçable que jouent les militaires en agissant comme la « superglu » qui réunit ensemble cet l’État, ainsi que son implication directe dans la promotion du leadership régional du Tchad. Après avoir décrit la position du pays dans les affaires africaines, l’article continue ensuite pour expliquer comment il s’inscrit dans les conceptions de la Nouvelle Route de la Soie chinoise, concluant avec une enquête sur les scénarios de la guerre hybride les plus probables qui pourraient se développer ou être fabriqués depuis l’extérieur contre le Tchad.

 

Dynamique géo-démographique

La manière la plus simple de décrire la situation géo-démographique du Tchad est de mettre en évidence la division du pays entre le nord et le sud, mais même cette dichotomie en elle-même n’est pas complètement exacte. Alors que la majeure partie du nord du pays est peuplée par des musulmans, c’est aussi la cas d’une grande partie de la région du sud, surtout dans le sud-est du Tchad, près de la frontière soudanaise. Le coin sud-ouest du Tchad entre la frontière camerounaise et la rivière Chari est lui principalement habité par des chrétiens. Dans l’ensemble, le CIA World Factbook affirme que les musulmans représentent environ 58% de la population tandis que les chrétiens sont 34%. Les deux communautés, cependant, sont également pauvres et la Banque mondiale reconnaît que ces populations sont parmi les plus pauvres du monde. Le Tchad compte ignominieusement parmi les pays les moins avancés et les plus enclins à la faim. Ces trois faits, plus le taux d’analphabétisation de 65%, rendent raisonnablement les citoyens tchadiens impatients et sensibles à des sentiments anti-gouvernementaux.

En extrapolant davantage sur le plan géo-démographique, la plupart des musulmans du pays vivent sur un terrain de brousse desséché ou sec (Sahel) facilement traversable, tandis que les chrétiens habitent la savane, les zones humides et les prairies. Ceci est pertinent en raison de l’effet que cela a sur la situation militaire interne dans le pays, à savoir la facilité avec laquelle les rebelles musulmans du Nord peuvent se déplacer dans « leur » partie du Tchad, ce qui a grandement contribué au militantisme du Nord qui sera décrit dans la section suivante. Les chrétiens, cependant, sont généralement des personnes sédentaires et n’ont aucune histoire récente de déplacement de forces rebelles dans tout le pays. Cela n’a rien à voir avec la religion de l’un ou l’autre groupe, mais c’est un facteur intéressant qui devait être commenté pour acquérir une conception plus solide de la dynamique géo-démographique du pays. En creusant plus profondément et en éliminant les couches de différences qui existent avec les deux catégories trop simplifiées de citoyens tchadiens, il convient de remarquer que le Tchad possède une population exceptionnellement diversifiée qui comprend plus de 200 groupes ethno-linguistiques. 44% de la population est âgée de moins de 15 ans, ce qui indique qu’un boom de la population peut être attendu dans un proche avenir. Cela pourrait plus que doubler les 14 millions de citoyens actuels du Tchad pour les faire passer à plus de 35 millions de personnes au milieu du siècle. Cette population doublerait encore pour atteindre 68 millions au tournant du siècle prochain.

Étant un pays enclavé avec un terrain principalement inhospitalier comme le Tchad, on peut considerer comme significatif que le gouvernement deviendra encore plus dépendant des routes commerciales extérieures qu’il ne l’est aujourd’hui et que les nouveaux membres de la population pourraient se rapprocher des régions agricoles productives du pays.  Concernant ce dernier point, on pourrait voir un afflux de musulmans du nord dans les terres chrétiennes du sud, qui, en dehors du sectarisme « civilisateur » qui pourrait éclater entre elles, pourrait même conduire à des tensions « tribales ». Ces deux couches de déstabilisation pourraient se combiner de telle sorte que le gouvernement aurait des difficultés extraordinaires à maintenir la paix et l’ordre, ce qui pourrait contribuer au nettoyage ethnique et au génocide dans le cas où les autorités perdraient le contrôle total (même temporairement) au cours d’un conflit lié à l’identité. La seule solution préventive à une telle calamité est le renforcement de l’État et son institution militaire de soutien, une tendance qui a été menée depuis des décennies déjà et qui ne montre aucun signe de faiblesse. Si quelque chose arrivait pour affaiblir l’un ou l’autre de ces deux piliers liés à la stabilité (comme l’introduction [forcée] de la « démocratie » du style occidental), il est presque certain que les différences identitaires du Tchad provoqueraient inévitablement son implosion.

 

 

Militants du nord et de la frontière
Première guerre civile tchadienne

Les conflits civils ne sont pas étrangers au Tchad, car le pays a été impliqué dans toute sortes d’insurrections depuis son indépendance. La première guerre civile tchadienne a été lancée par les résidents musulmans contre le premier leader, François Tombalbaye, un ressortissant chrétien, immédiatement après l’indépendance du pays. C’était la seule fois dans l’histoire du Tchad qu’il était dirigé par quelqu’un de cette région et de cette confession, ce qui revient à la règle de la minorité (chrétienne) sur à la majorité (musulmane). Cela explique la ferveur avec laquelle les musulmans du nord se sont battus, puisqu’ils croyaient que les politiques de Tombalbayne étaient discriminatoires envers eux et qu’elles élevaient injustement les ressortissants chrétiens à des postes importants à leurs frais. Après des années de combats et de mauvais calculs politiques en ostracisant sa propre base de puissance et l’armée, le président a été renversé lors d’un coup d’état en 1975 et exécuté, après quoi l’armée a brièvement gouverné le pays pendant une courte période de transition.

 

Deuxième guerre civile tchadienne et conflit de police libyenne-libyenne

La Seconde Guerre civile tchadienne a éclaté dans les années 1980 parmi les gens du Nord mécontents qui voulaient renverser leur compagnon nord-musulman qui avait pris la place Tombalbaye. La lutte contre le président Hissène Habré est rapidement devenue internationale alors que la Libye a commencé à parrainer les rebelles et que les forces françaises déjà stationnées au Tchad ont mis tout leur poids derrière N’Djamena [capitale du Tchad, NdT]. Il y a même eu une période où les forces libyennes entrèrent officiellement au Tchad pour appuyer à la fois leurs proxys et les revendications de Tripoli sur la bande d’Aozou riche en uranium, ce qui a provoqué une intervention française plus importante après que la Libye et ses représentants aient entrepris une blitzkrieg dans le désert vers la Capitale. La guerre tchado-libyenne est devenue un grand point d’éclat de la guerre froide en Afrique, entre l’Ouest et la Libye, Tripoli visant à créer un État tampon amical vers son sud tandis que l’Ouest voulait utiliser son état client traditionnel comme base proxy pour déstabiliser le sud de la Libye. Le conflit a pris fin lorsque les forces libyennes ont été expulsées du pays à la fin des années 1980, bien que ce soit finalement une victoire à la Pyrrhus pour Habré parce qu’il a été renversé par le président actuel Idriss Déby en 1990.

 

 

Troisième guerre civile tchadienne et les débordements du Darfour

Déby a voulu solidifier cette règle tout au long de la décennie suivante, mais n’a pas réussi à purger complètement le pays des groupes rebelles. Le problème était que certains d’entre eux étaient soutenus cette fois par le Soudan. Le conflit au Darfour a commencé à se répandre par delà la frontière et a évolué vers une plus grande guerre par proxy entre tchadien et soudanais dans l’un des terrains les plus stériles de la planète, menée entre deux des États les plus démunis et déjà déstabilisés de l’intérieur. Cela a déclenché ce qu’on pourrait appeler la troisième guerre civile tchadienne, qui a eu lieu en 2005-2010 avant que N’Djamena et Khartoum ne signe un accord de paix dans lequel ils ont convenu de patrouiller conjointement leur frontière mutuelle et de normaliser leurs relations politiques. La restauration de liens positifs entre ces voisins sahraouis a largement contribué à stabiliser leurs deux situations internes, la guerre au Darfour diminuant rapidement peu après et le Tchad devenant de plus en plus pacifique. L’accord historique de 2010 a également ouvert la voie à des projets communs entre les deux parties, dont le plus ambitieux est le chemin de fer proposé par les Chinois qui, malheureusement, n’a pas encore été construit, mais conserve un potentiel infini pour l’amélioration de la région.

 

Boko Haram

Sur le côté ouest de la frontière tchadienne, un nouveau conflit s’est développé précisément au moment où celui à l’est près du Darfour se refroidissait. Boko Haram a commencé à gagner du terrain dans le nord-est du Nigeria et a élargi son territoire de manière agressive, ce qui a permis de lancer des raids transfrontaliers contre tous les pays du bassin du lac Tchad quelques années plus tard. Le Tchad est très sensible à ce groupe terroriste parce que sa capitale de N’Djamena se trouve à proximité immédiate de la patrie nigériane du nord-est de Boko Haram, et si la ville devait être considérablement déstabilisée par les militants, cela secouerait l’équilibre du pouvoir au Tchad lui-même et créer un espace pour que ses propres insurgés lancent une Révolution de couleurs ou a un coup militaire par des généraux mécontents et rebelles. Par conséquent, le Président Déby a mobilisé les forces armées tchadiennes pour être l’acteur d’avant-garde de la coalition régionale anti-Boko Haram, sachant que si l’armée du Tchad – la plus forte de la région – n’avait pas pris l’initiative, les terroristes continueraient à se développer à un rythme croissant et finalement deviendraient une menace totalement impossible à gérer et existentielle contre l’état lui-même.

 

Résumé

La tendance dominante est que les rebelles du Nord sont généralement les principaux coupables en ce qui concerne la déstabilisation militarisée interne du Tchad, mais les problèmes dans les régions frontalières de l’est et de l’ouest ont récemment dominé les problèmes de sécurité du pays. Que ce soit le débordement du conflit du Darfour sur les frontières du Tchad ou la propagation de Boko Haram, N’Djamena est conscient que les menaces extérieures pourraient avoir un impact très réel sur la catalyse des conflits internes, le pire des scénarios étant un mélange de relations internationales et de facteurs domestiques qui se déclencheraient de telle sorte que l’armée soit submergée par tous les cotés. Cela ne semble pas être probable dans les plus brefs délais, tant que, bien sûr, les militaires restent efficaces pour éliminer toutes les catégories de menaces à mesure qu’elles émergent. Cet impératif pressant explique pourquoi l’armée est l’institution la plus importante dans la préservation de l’unité tchadienne et pourquoi elle a joué un tel rôle actif à l’étranger pour intervenir dans plusieurs conflits au cours des deux dernières années.

Le Tchad en tant que champion régional

Le Tchad s’est positionné comme l’acteur principal pour résoudre les problèmes militaires régionaux, ayant de manière intéressante un rôle beaucoup plus fort et plus direct dans les affaires de l’Afrique de l’Ouest que celui de l’Hégémon présumé de la région, le Nigeria. Cela peut être attribué à une confluence de deux facteurs mutuellement favorables, le premier étant les impératifs stratégiques militaires expliqués ci-dessus vis-à-vis de la sécurité existentielle de l’État tchadien (soutenu par la France) et le second étant la corruption catastrophique et les défis intérieurs innombrables auxquels le Nigeria est en proie depuis des décennies. Ces deux facteurs ont empêché qu’il puisse être le leader légitime trans-régional. Comme exemple parfait pour illustrer à quel point les forces armées tchadiennes sont ambitieuses et efficaces par rapport à leurs homologues nigérianes, il suffit de regarder les interventions de N’Djamena en République centrafricaine (2012-2014), au Mali (2013) et même sporadiquement dans le nord-est du Nigeria lui-même contre Boko Haram (de 2015 à aujourd’hui).

L’implication ratée du Tchad chez son voisin du Sud avait pour but de soutenir le gouvernement face à une attaque des rebelles mais elle s’est plus tard transformée en une mission de maintien de la paix visant à mettre fin à la violence entre chrétiens et musulmans, alors que son opération le long du Sahel était d’aider les troupes françaises alors qu’elles libéraient le nord Mali de Ansar Dine, une filiale terroriste de l’AQMI qui a pris le contrôle des 2/3 du pays grâce a l’attaque étonnamment réussie des Touaregs après la chute de Kadhafi. Quant au Nigeria, il a déjà été expliqué dans la section précédente pourquoi le Tchad est tellement intéressé à mettre un terme au terrorisme transfrontalier de Boko Haram. Au total, les mouvements de N’Djamena soulignent l’ambition de son leadership de créer une sphère régionale d’influence et de positionner son pays comme le champion des tentatives de règlement de tous les conflits.

République centrafricaine

Le Tchad partage une frontière extrêmement poreuse avec son voisin du sud, un état des choses qui est resté constant depuis l’indépendance, mais a finalement présenté une menace de sécurité urgente pendant la crise en République centrafricaine (RCA) fin 2012. Il y a eu un moment où un débordement du style Darfour a été effroyablement proche, c’est pourquoi N’Djamena n’a pas tenu compte de la demande de Bangui d’intervenir pour aider le gouvernement à éviter l’avancée des rebelles. C’était quelque peu ironique si on pense au cadre de la politique identitaire, mais parfaitement compréhensible dans un pragmatisme réaliste, puisque les autorités tchadiennes dirigées par des musulmans essayaient de lutter contre des rebelles musulmans qui avaient l’intention de renverser un gouvernement chrétien. Mais les autorités de la RCA étaient en très bonnes relations avec le Tchad à ce moment-là, et il aurait été désavantageux pour N’Djamena de les laisser se faire évincer avec succès. Bien sûr, l’angle musulman-chrétien est une simplification majeure de la situation et l’auteur ne croit pas que de telles descriptions superficielles puissent expliquer de manière satisfaisante la profondeur de ce qui s’est passé effectivement à ce moment-là. Mais la raison pour laquelle cette grille de lecture est mentionnée en premier est liée à la menace future d’un « Choc de Civilisation«  qui échapperait au contrôle de la République centrafricaine et s’étendrait au sud du Tchad, avec des populations crédules dans les deux pays pour une approche sectaire de type « nous contre eux » finissant en un conflit chrétien-musulman.

Le Tchad semble également avoir été conscient de la facilité avec laquelle ce scénario pourrait se réaliser lorsqu’il a décidé de contribuer aux troupes de maintien de la paix en République centrafricaine, mais il les a retirées plus tard en 2014 après avoir été fortement critiqué pour avoir organisé une attaque non provoquée contre des civils sur l’un des principaux marchés de la capitale. Comme Al Jazeera l’a noté à l’époque, il y avait des accusations antérieures selon lesquelles les forces tchadiennes étaient favorables aux musulmans qui, pour le rappeler au lecteur, comprenait la plupart des rebelles Séléka résidant dans l’Est qui ont renversé le président Bozizé en 2013. En RCA, comme il a été souligné dans le chapitre pertinent sur la Ceinture des États faillis, de nombreux musulmans vivent dans les savanes peu peuplées de l’Est du pays, alors que la plupart de la population est chrétienne vit dans l’intérieur occidental plus forestier. Le « choc des civilisations » qui a eu lieu dans le pays (après la victoire de la Séléka) était dû en partie aux vigilants anti-balaka essentiellement chrétiens menant des représailles meurtrières contre les musulmans, ce qui s’est vite transformé en une période brève mais très intense de guerre civile motivée par des aspects identitaire.

Du point de vue du Tchad, il s’agissait d’un dilemme sérieux, car son gouvernement dirigé par les musulmans s’est senti obligé de protéger ses confrères co-confessionnels malgré le fait que leurs dirigeants rebelles avaient été responsables de la chute du gouvernement et, par inadvertance, d’un nettoyage ethnique ultérieur. De plus, il y a des craintes inhérentes à ce qu’un afflux massif de réfugiés dans le sud du Tchad puisse altérer grandement l’équilibre fragile dans le pays, en particulier si les communautés chrétiennes et musulmanes en fuite de la RCA se retrouvent du « mauvais côté » de la frontière, ce qui signifierait que les chrétiens se retrouvent dans le sud-est du Tchad majoritairement musulman et que les musulmans finissent au sud-ouest principalement chrétien. Cela pourrait conduire à des conflits communaux domestiques à l’intérieur de l’État et devenir une instance d’armes de migration de masse. Le Tchad a actuellement sa population chrétienne du Sud sous contrôle et ne veut pas mettre en danger la stabilité de cette région. C’est pourquoi il est si sensible à un « Choc de Civilisation » en RCA conduisant à un effet domino qui encouragerait ce phénomène démographique à augmenter. Après avoir perdu son influence sur l’intégralité du territoire sud de son voisin après son effondrement, devenant un état failli, le Tchad a encore le potentiel de cultiver le soft power et, le cas échéant, de choisir d’intervenir dans la partie orientale de la RCA pour protéger les indigènes musulmans là-bas, gérant ainsi son influence sur une partie de sa périphérie sud.

Mali

La mission de soutien du Tchad au Mali, pour laquelle il a envoyé quelques milliers de troupes, a été très influente pour obtenir une couverture médiatique positive pour le pays et pour renforcer son prestige mondial, malgré sa sombre situation économique intérieure et ses critiques répandues au niveau des « droits de l’homme ». En outre, N’Djamena a renforcé ses relations stratégiques avec Paris et a rappelé à son ancien maître impérial et à son unique faiseur de Roi pourquoi le leadership actuel est utile pour promouvoir les intérêts communs de la « Françafrique ». Cela pourrait donc être interprété comme un mouvement proactif de la part de Déby pour prévenir tous les futurs schémas de changement de régime que la France pourrait être tentée de faire éclore, que ce soit de sa propre initiative ou soumise à des pressions dans le cadre de l’alliance transafricaine américano-française qui a été active au cours des dernières années.

D’un point de vue plus intéressant, le Tchad a pu démontrer résolument son engagement à lutter efficacement contre le terrorisme et a également montré la portée de son action militaire. Le fait de pouvoir transporter environ 2 000 soldats sans préavis par le Sahel nigérien aux frontières de l’est du Mali a été un exploit impressionnant, rendu encore plus frappant par le fait que le Nigeria n’a pas encore démontré cette capacité. De plus, d’un point de vue stratégique majeur, le Tchad a montré qu’il avait des relations très étroites avec le Niger et le Mali afin de déployer son armée, démontrant ainsi que l’influence de N’Djamena dépasse ses frontières tout le long de la frontière nord du Nigeria. Cela ne signifie pas que le Tchad fait tout cela avec des intentions anti-nigérianes explicites à l’esprit, mais il ne peut être exclu qu’Abuja puisse l’interpréter de cette manière, comme un jeu à somme nulle signifiant que son voisin est « en train de prendre le meilleur dans sa propre sphère d’influence de la CEDEAO ».

Coalition anti-Boko Haram

Grâce au mécanisme de coordination multilatérale contre la menace commune qu’est Boko Haram, le Tchad a pu formaliser quelque peu son rôle hégémonique régionale autour du bassin du lac Tchad. Cela ne signifie pas qu’il exerce un contrôle total sur chacun des pays avec lesquels il est allié, mais qu’il détient réellement le pouvoir en ce qui concerne les prouesses militaires dans leurs régions frontalières connexes. N’Djamena n’est pas prêt à abuser de cela, cependant, puisqu’il ne veut pas isoler ses alliés nigériens et camerounais dont il dépend pour une grosse part de son commerce international. le Tchad veut plutôt établir une sorte de région tampon dans le nord-est du Nigeria qui empêcherait de manière proactive un Nigeria rajeuni de devenir toujours plus confiant dans la région frontalière. Pour rappel au lecteur, la raison pour laquelle le Tchad est particulièrement sensible à cela est que sa capitale se trouve très près du Nigeria, séparée seulement par un couloir très mince, une région du Grand Nord du Cameroun. Étant le pouvoir militaire fort vers lequel il a progressivement évolué, le Tchad a les capacités et la volonté nécessaires pour faire respecter sa vision régionale à son voisin nigérian beaucoup plus peuplé et riche, en dépit de l’optique particulière d’un pays aussi petit et très pauvre qu’est le Tchad  capable d’avoir un bras militaire stratégiquement plus fort que celui de son rival beaucoup plus grand et riche de son pétrole.

En allant encore plus loin, il pourrait y avoir une logique tournée fortement vers l’avenir dans ce que le Tchad essaie de faire. Beaucoup d’observateurs conviennent que le Nigeria est profondément divisé entre son nord musulman et son sud chrétien, chaque région étant loin d’être homogène et affligée par ses propres conflits locaux (tels que Boko Haram contre les autres musulmans dans le Nord ou le MEND / « Avengers » contre leur équivalent chrétien du sud). Bien que le Nigeria soit désormais divisé en dizaines d’États et que cette dichotomie Nord-Sud ne soit plus aussi clairement définie ni formalisée administrativement, comme dans les années qui ont suivi l’indépendance, il est indubitable que ce sentiment identitaire d’opposition ne reste jamais très loin et qu’il a même pu provoquer le renforcement ces deux dernières années des Boko Haram et MEND / « Avengers ». Par conséquent, l’implication active du Tchad dans les combats contre Boko Haram, en sauvant notamment des civils musulmans de sa terreur, lui donne une responsabilité qui incomberait normalement au gouvernement national nigérian, s’il ne s’était pas agit du dysfonctionnement absolu des autorités à bien des égards. Cela a eu une influence considérable dans la réchauffement des sentiments de cette population du Nord pour les avances de N’Djamena en terme de soft power, ce qui pourrait lui être très utile pour sa politique étrangère dans le cas où la division nigériane Nord-Sud deviendrait plus prononcée et entraînait l’émergence d’états quasi indépendants à l’avenir.

Une équipe tchado-angolaise ?

La montée du Tchad en tant que poids lourd régional dans le bassin du lac Tchad et dans les territoires environnants se produit en même temps que l’Angola devient plus important dans les affaires africaines. Comme cela a été expliqué dans le chapitre approprié sur ce pays, l’Angola et le Nigeria semblent être sur un chemin de collision stratégique pour devenir des rivaux non déclarés, alors qu’Abuja craint l’influence effervescente de Luanda dans le golfe de Guinée et le long des gisements d’énergie nigérians. D’un point de vue continental dans le sens cardinal opposé, le Tchad est également en concurrence avec le Nigeria et semble être du côté gagnant pour l’instant. Si l’on prend pour acquis la supposition que les États plus petits se regroupent généralement en équilibre contre les plus forts (que ce pays soit actuellement fort ou ait le potentiel de l’être à l’avenir), il serait logique que l’Angola et le Tchad coordonnent leurs actions complémentaires dans un cadre stratégique pour « contenir » le Nigeria.

L’Angola est déjà en concurrence avec le Nigeria dans le domaine de l’énergie et a une influence croissante sur les zones maritimes et côtières qu’Abuja croit constituer sa sphère d’influence exclusive, alors que le Tchad a prouvé qu’il est beaucoup plus fort militairement que le Nigeria et qu’il a plus de poids dans le monde francophone voisin que l’état anglophone n’en aura jamais. Luanda et N’Djamena ont donc des avantages conjoints qui pourraient s’entremêler harmonieusement entre eux pour garder le Nigeria en échec. L’auteur ne défend pas cette idée, mais veut attirer l’attention des lecteurs et les sensibiliser à son existence possible. L’Angola et le Tchad ont certainement un intérêt commun à garder le Nigeria dans son état actuel, affaibli. De plus aucun de ces partenaires stratégiques potentiels n’est physiquement assez proche de l’autre pour permettre à une rivalité d’interférer avec leurs intérêts respectifs. L’Angola est principalement préoccupé par l’énergie et les affaires maritimes potentielles vis-à-vis de ses partenaires insulaires et côtiers, tandis que le Tchad se concentre sur le bassin du lac Tchad et les communautés musulmanes de la région. Si les deux pays s’accordent, de manière officielle ou informelle, pour « contrer » le Nigeria et conspirent constamment pour le maintenir dans une position de défense stratégique, cela pourrait évoluer vers une véritable menace asymétrique pour Abuja qui pourrait même être exploitée un jour par des puissances unipolaires comme la France et les États-Unis.

 

 

Nouvelle connectivité de la Route de la soie

Résultat de recherche d'images pour "carte cameroun tchad douala"Le Tchad est un peu étonnamment devenu l’axe régional des plans de Nouvelle Route de la Soie de la Chine, bien que pour des raisons géopolitiques compliquées expliquées dans le chapitre introductif précédent. Jusqu’à récemment, le seul intérêt de la Chine dans le pays était le pétrole, dont le Tchad est largement pourvu dans sa région sud, chrétienne. Il y a également d’importante source de pétrole dans le bassin du lac Tchad, mais ce sont les réserves du sud qui ont attiré l’attention internationale. Exxon Mobil s’est associée à Chevron et Petronas pour construire le pipeline tchado-camerounais en 2003 qui reliait les champs de pétrole de Doba avec le port atlantique de Kribi qui est le seul port de haute mer de l’Afrique centrale et est financé par la banque chinoise Export-Import Bank. La Chine a fini par acquérir des droits d’extraction sur plusieurs champs voisins, mais a eu des problèmes avec les autorités au sujet de la réglementation environnementale en 2012-2013, ce qui a permis au gouvernement d’annuler cinq de ses permis en 2014. Il est probable que ce scandale a été bien exagéré et que les alliés français et / ou américains du Tchad ont pu faire pression sur N’Djamena pour rendre l’environnement commercial très difficile pour les entreprises énergétiques chinoises, mais ce point noir semble avoir été résolu un an plus tard lorsque le gouvernement tchadien et ses partenaires de la CNPC ont renégocié un accord de participation aux bénéfices en 2015.

Alors que les liens énergétiques sont en effet l’ancrage de la relation tchado-chinoise, les liens mutuels entre les deux partenaires ont lentement commencé à prendre une forme plus large. The Globalist écrit que « la Chine a créé une puissance africaine » au Tchad en achetant une grande partie de son pétrole ce qui a contribué à alimenter l’expansion militaire de l’État. Cela a également été intéressant pour la France quand il s’est agit de « passer contrat » avec les forces de N’Djamena pour leur participation au Mali et en République centrafricaine. Les Chinois envisagent également que le Tchad fonctionne comme un État de transit crucial pour le pétrole nigérien et le commerce intercontinental en général, le Niger étant lié aux plans d’un pipeline prospectif Niger-Tchad à travers le pays pour se connecter avec celui Tchad-Cameroun, tandis que le Tchad serrait connecté par la route de la soie CTS (Cameroun-Tchad-Soudan) vers le port camerounais de Douala. Le Tchad se classe constamment au sommet de la liste lors de l’évaluation des pays les plus pauvres et les plus démunis du monde, de sorte que même une expansion comparativement minimale du commerce réel sur son territoire pourrait avoir pour effet d’améliorer grandement le niveau de vie de ses citoyens et d’avoir une visibilité tangible des effets sur le pays.

L’autre observation est que plus l’interconnexion entre le Tchad et le monde extérieur augmente, surtout dans le cadre de la Nouvelle Route de la Soie, plus dépendante, elle devient du Cameroun, qui constitue sa porte d’entrée vers une augmentation de son commerce. Plus précisément, la sécurité nationale tchadienne ne se termine plus aux frontières du pays ou à ses environs proches (comme le Darfour, le nord-est du Nigeria ou le nord de la RCA), mais s’étend maintenant jusqu’aux ports atlantiques camerounais de Douala et de Kribi. Cela signifie que le pays a maintenant un regard sur les enjeux bien réels sur tout ce qui se passe chez son voisin du sud-ouest, qui est devenu son partenaire le plus stratégique. C’est en partie pour cette raison qu’en plus d’être directement intéressé par la sécurité de N’Djamena, le Tchad est directement intervenu dans la région du Grand Nord du Cameroun et a aidé Yaoundé à expulser Boko Haram de son territoire. L’effet de cette situation a été très bénéfique pour le renforcement du partenariat stratégique tchado-camerounais et montre au Cameroun qu’il peut dépendre de son voisin beaucoup plus fort militairement tant qu’il continue à fournir à ce dernier un accès illimité à la mer au moyen de ses installations portuaires.

À l’avenir et si tout se passe selon le plan avec la route de la soie CTS, le Tchad va se diversifier et réduire sa dépendance vis-à-vis du Cameroun en élargissant ses liens commerciaux avec le Soudan. Il ne semble pas possible que le Tchad en vienne à compter sur la Libye comme un vecteur commercial au Nord en raison de la pénurie totale d’infrastructures facilitant les échanges entre les deux pays et de la situation perpétuellement non sécurisée dans l’ancienne Jamahiriya. Du point de vue occidental, il ne serait pas logique que le Tchad passe par Cotonou au Bénin comme le Niger le fait et N’Djamena n’a pas l’argent pour investir dans les routes appropriées pour que cela se produise. Bien que la solution théorique soit d’utiliser le Nigeria comme principale voie d’accès au marché mondial, pour des considérations stratégiques et de sécurité, ce n’est pas quelque chose qui soit viable ou attrayant pour les dirigeants du Tchad. Devenir dépendant du Nigeria renverserait complètement la stratégie de Tchad de s’affirmer elle-même comme un acteur indépendant vis-à-vis du poids lourd régional potentiel (mais pas réel), et même si une telle détermination était finalement faite dans l’intérêt supérieur du pays, la situation de sécurité fragile du Nigeria rend irresponsable pour les décideurs tchadiens d’accorder trop d’espoir à un transit sûr sur son territoire.

Par conséquent, le partenariat stratégique tchado-camerounais est l’option la plus fiable de N’Djamena pour la réalisation de la nouvelle connectivité de la route de la soie, bien que cela serait beaucoup mieux équilibré si cette route faisait des progrès physiques dans sa partie CTS et permettait au Tchad de commencer à intégrer son économie plus étroitement avec celle du Soudan, comme la Chine l’y encourage.

 

Guerre hybride dans le « Heartland » africain du centre nord

Il est maintenant temps d’explorer la poignée de scénarios de guerre hybride qui pourraient se produire de manière réaliste au Tchad. Toutes les possibilités suivantes sont liées et s’appuient sur les observations et les conclusions antérieures dans la recherche. La pertinence de cette partie de l’étude est d’identifier les forces motrices qui pourraient contribuer à refaire du Tchad un état totalement défaillant comme au début des années 1980, lorsque les seigneurs de la guerre abondaient et que les puissances étrangères avaient un accès libre dans les affaires du pays. L’implosion du Tchad dans un trou noir de chaos compléterait le processus de destruction transsaharienne déclenché par l’effondrement infligé par l’Occident a la Libye, ce qui rendrait presque impossible tous les projets d’infrastructure conjoncturelle multipolaires fiables pour traverser ses territoires. En effet, cela empêcherait l’intégration supra-équatoriale est-ouest du continent et rendrait encore plus difficile le succès des projets d’intégration trans-régionaux grandiose en Afrique. Outre le risque civilisationnel inhérent du « tribalisme » violent qui  pourrait se développer parmi les plus de 200 groupes ethniques séparés du pays (mais seulement dans le cas d’une détérioration antérieure du contrôle de l’armée et de l’État), les scénarios les plus susceptibles de la guerre hybride face au Tchad sont les suivants :

Révolution de couleurs

La méthode traditionnelle de changement de régime asymétrique qui a été déployée pour la première fois dans l’ancien bloc communiste puis perfectionnée lors du « Printemps arabe » est également applicable au Tchad, d’autant plus que 65,1% de la population est âgée de moins de 25 ans et est donc susceptible de participer à ces événements. Il existe deux contextes à travers lesquels une révolution de couleur pourrait se produire dans le pays, et ils peuvent être divisés selon la question de savoir si Déby est toujours en vie et qui dirige le pays s’il décède. Le premier scénario pourrait se produire si une situation de guerre hybride naissante se développe dans le Cameroun côtier qui finit par perturber les routes dont dépend le Tchad pour la plupart de ses échanges. Il a été remarqué plus tôt que cela pourrait conduire à une hausse soudaine des prix en même temps que des pénuries de produits qui, ensemble, aggraveraient les sentiments anti-gouvernementaux déjà existants dans certaines régions du pays et pourraient même pousser les chrétiens du Sud à la révolte, surtout si la réponse du gouvernement est de manière vraisemblable interprétée comme favorisant les musulmans du Nord à leurs frais. Une variation de ce scénario serait un « soulèvement islamique » qui pourrait s’emparer du pays, que ce soit en cas de crise économique aggravée ou du à ses conséquences. Le gouvernement a fait un excellent travail pour éviter que cela ne se produise, allant même jusqu’à interdire la burka pour des raisons de sécurité, mais on ne peut pas ignorer que des cellules terroristes fondamentalistes islamiques pourraient déjà être dormantes dans le pays, attendant le bon moment pour se mettre en action.

En ce qui concerne le deuxième contexte par lequel une révolution de couleur pourrait se produire, ce serait immédiatement après le décès de Déby, qui pourrait s’avérer être un événement déclencheur pour lancer cette sorte de déstabilisation. Le gouvernement devrait veiller à ce que l’incertitude entourant son successeur soit résolue le plus tôt possible, comme l’a fait le Turkménistan et récemment l’Ouzbékistan, étant donné que, plus longtemps les luttes entre élites perdurent, plus l’État dans son ensemble est vulnérable devant une déstabilisation d’acteurs non étatiques, qu’il s’agisse de révolutionnaires de couleur, de terroristes ou de leur manifestation combinée en tant que guerriers hybrides. Sur une note connexe, l’armée est incontestablement l’institution la plus puissante dans le pays, de sorte qu’elle finirait par avoir le dernier mot sur le successeur de Déby. Si elle est mis à l’écart de quelque façon que ce soit, ou qu’une division irréconciliable émerge ou soit mise en lumière par la mort du président, il pourrait être possible qu’un coup militaire puisse être tenté par les segments insatisfaits de ce bloc. Pour le moment, cependant, ce ne sont que des spéculations analytiques sur des scénarios théoriques, car il est extrêmement difficile d’obtenir des informations sur l’état de l’armée et son unité, mais il est important pour les observateurs de se rendre compte au moins de ces possibilités improbables pour ne pas les perdre de vue en cas de problème.

Violation de la frontière

Le prochain scénario connexe qui pourrait transpirer pour contrer la stabilité interne du Tchad serait que des conflits frontaliers reprennent sur sa périphérie et finissent par se répandre sur son territoire. Le problème avec Boko Haram est le plus pressant pour le moment, et il ne semble pas qu’il disparaisse bientôt. C’est pourquoi l’armée tchadienne reste régulièrement en veille pour contrer des raids sporadiques transfrontaliers au Niger, au Nigeria et au Cameroun. Le Tchad ne peut pas du tout permettre à Boko Haram de faire des progrès sur son territoire en raison de la position géographiquement vulnérable de sa capitale juste à côté des lignes de front de cette guerre, ce qui entraînerait une catastrophe régionale et très probablement une crise mondiale si jamais elle tombait. Cela ne se produira probablement pas en raison de la nature endurcie par la guerre des forces armées tchadiennes par rapport aux militants beaucoup moins expérimentés de Boko Haram, mais le problème pourrait venir si les terroristes enfreignaient la frontière de manière asymétrique et non conventionnelle, par exemple par l’attrait de leur idéologie parmi la population. Tandis que le Tchad pourrait facilement se défendre d’une invasion transfrontalière conventionnelle par ce groupe, il aurait beaucoup plus de difficulté à contrer une agression idéologique, qui pourrait jeter les germes pour de nombreuses cellules dormantes dans tout le pays. L’État aurait du mal à répondre au soulèvement coordonné de multiples réseaux terroristes dans tout le pays, surtout si cela se produisait dans le contexte d’une transition de leadership incertaine après le décès de Déby, par exemple, ou si l’armée était fortement surprise par cette situation. Cela pourrait alors créer une ouverture pour les groupes rebelles pour progresser sur la capitale comme ils l’ont fait en 2008.

L’autre conflit périphérique qui pourrait facilement se répandre au Tchad serait la reprise des combats au Darfour, même si N’Djamena n’a rien à voir avec cela. Cependant on ne s’attend pas à ce que Khartoum réponde comme il l’a fait au milieu des années 2000 en soutenant ses équivalents proxy au Tchad. En fait, le Tchad et le Soudan pourraient être en mesure de travailler ensemble dans un esprit de bon voisinage renouvelé pour contrer conjointement toutes les tentatives extérieures de fomenter la violence dans leur région frontalière partagée, ce qui pourrait alors finir par rendre les deux partenaires encore plus proches qu’ils ne l’ont fait jamais été auparavant. Cependant, si une atmosphère de méfiance revient troubler cette relation bilatérale (qu’elle soit « organique » ou par l’interférence d’un acteur tiers comme les États-Unis ou la France), les chances de nouvelles crises au Darfour pourraient fortement augmenter, la première victime métaphorique étant la Route de la soie CTS. Par rapport à une flambée du conflit transfrontalier avec Boko Haram, cependant, un conflit continu au Darfour ne serait pas aussi déstabilisateur pour le Tchad en raison de la distance avec le centre de gravité du pays situé le long de la périphérie ouest-sud. Les conséquences pourraient donc être plus facilement contenues avec des réfugiés devenant des « armes de migration de masse » et des points de contrôle armés pour se prémunir contre les infiltrations d’insurrection.

En donnant un aperçu complet de toutes les menaces frontalières qui pourraient affecter le Tchad, il est nécessaire d’écrire quelques mots sur celles qui émanent de la Libye et de la République centrafricaine. L’État nord-africain est un désordre dysfonctionnel et sa côte méditerranéenne est contrôlée par un mélange toujours changeant de groupes terroristes et de rebelles. La région du Fezzan au sud, proche du Tchad est nettement moins déstabilisée, mais ce n’est que par comparaison. Des dizaines de milliers de migrants économiques traversent la frontière tchado-libyenne en route vers la côte nord sur leur voie finale vers l’UE, mais pour l’instant au moins, il n’y a pas de flux significatif dans l’autre sens (bien qu’il y en ait eu dans l’immédiate après guerre menée par l’OTAN en Libye). Cela s’explique surtout par le fait que les terroristes n’ont aucun contrôle sur cette partie du pays parce qu’ils s’intéressent davantage à la proximité opérationnelle de l’Europe, au contrôle des terminaux pétroliers et à l’administration des zones peuplées et économiquement actives dont ils pourrait exiger des « taxes » (argent contre protection). En outre, tout comme avec la frontière orientale du Tchad avec le Darfour au Soudan, le nord avec la Libye est pour une grande part déserte et facile à gérer, ce qui signifie que toute activité transfrontalière menaçante telle que la propagation conventionnelle de Daesh pourrait être rapidement traitée. Ainsi, en tout état de cause, la Libye ne pose pas beaucoup de danger à la sécurité nationale du Tchad en ce moment, bien que les autorités seraient plus tranquilles si leur voisin ne s’était pas transformé en un tel nid de terroristes, et bien que les diverses forces soient surtout concentrées à l’extrême nord du pays.

Armes de migration de masse

De tous les voisins du Tchad, c’est la République centrafricaine (RCA) qui présente les scénarios de débordement les plus dangereux. On a déjà expliqué comment la RCA est répartie entre les chrétiens et les musulmans, et comment un « choc des civilisations » à petite échelle a joué à un niveau génocidaire sur son territoire et a provoqué une intervention de la France et de l’Union africaine. Les citoyens du pays sont principalement restés à l’intérieur de leurs frontières et n’ont pas participé à des sorties de réfugiés à grande échelle chez leurs voisins, mais un retour à la violence à la suite du retrait du Tchad en 2014 et du futur retrait de la France à la fin de 2016 pourrait être catastrophique et conduire à cette éventualité, auquel cas et selon un scénario de conflit spécifique et sa dynamique de déploiement, cela pourrait conduire à des chrétiens basés à l’ouest allant vers le Cameroun et des musulmans du nord fuyant vers le Tchad. La raison pour laquelle cela est discuté dans le cadre des possibilités de guerre hybride contre le Tchad est que le futur pays hôte possède un équilibre interne très délicat entre ses 200 ethnies et la rivalité Nord-Sud entre musulmans et chrétiens. En outre, la partie sud du pays est l’endroit où se trouve la majeure partie du pétrole exporté à l’étranger, ce qui lui confère un rôle stratégique encore plus élevé pour l’État.

Dans une région aussi importante et fragile, l’afflux massif de réfugiés séparés par leur religion créerait sans aucun doute un problème de sécurité pour l’État. Beaucoup d’individus qui arriveraient au Tchad auraient fui leur cible parce qu’ils étaient ciblés en raison de leur identité, ce qui les rendait conscients et sur leurs gardes lorsque les habitants de la religion « rivale » (comme ils l’interpréteront après avoir eu à fuir des foules maraudeuses de la confession opposée). La tension évidente que cela créerait en soi, multipliée par les contraintes sociales et économiques qui se dérouleraient bientôt après leur arrivée, pourrait suffire à pousser les chrétiens du Sud à la frontière à basculer dans une rébellion ouverte, que ce soit contre les réfugiés, le gouvernement ou les deux. Ce scénario démographique est bien à l’esprit des forces armées tchadiennes qui ont réussi à maintenir des sentiments autrement plus tendus sous contrôle pendant les dernières décennies, mais dans une situation désespérée où ils sont déjà en colère de ne pas recevoir ce qu’ils pensent être leur juste part de nature des revenus des ressources naturelles provenant de «leur» sol, confrontés à des défis socio-économiques soudains tels que la pénurie alimentaire et l’inflation en raison de l’afflux de réfugiés qui résulterait de cette sur-consommation et confrontés à des éléments hostiles et quelque peu terroristes en leur sein. Il serait compréhensible que les chrétiens du Sud profite de ces conditions pour recourir à des moyens d’agitation (révolution de couleurs, guerre non conventionnelle) pour résoudre cette situation critique.

Choc de civilisations

Enfin, l’événement de guerre hybride le plus débilitant qui pourrait se produire au Tchad serait un « choc des civilisations » comme en République centrafricaine entre les musulmans du nord et les chrétiens du sud. L’auteur tient à souligner qu’il détesterait que cela se produise et que tous les citoyens tchadiens s’identifient idéalement par leur nationalité inclusive et composée et non par des étiquettes ethniques, tribales ou religieuses exclusives séparatistes, mais que c’est un fait de la vie que beaucoup de personnes – en particulier les personnes pauvres et sans éducation, dont le Tchad est composé malheureusement de manière pléthorique – sont souvent enclins à ces types d’auto-identifications simplistes et divisibles, ce qui en fait des cibles privilégiées pour les agresseurs provocateurs qui tentent de causer des problèmes. Après avoir clarifié cela, les chrétiens du Sud semblent être les plus démographiquement en risque de se retourner en masse contre le gouvernement, étant donné qu’ils pourraient être amenés à croire qu’ils partagent les mêmes griefs collectifs malgré leurs différences tribales. Comme cela a été mentionné dans le scénario précédent et plus tôt dans le texte, il s’agit d’une animosité sur ce qu’ils pourraient être amenés à croire, c’est a dire la dispersion injuste des revenus tirés des ressources provenant de leur « sol » et la perception que le gouvernement musulman soutient le plus souvent les intérêts musulmans au nord en général.

L’armée puissante, la seule véritable force d’intégration (coercitive) à l’intérieur du pays, a permis de maintenir cette région et sa population en échec et a empêché un véritable soulèvement, mais si les gens sont forcés au désespoir par le biais des « armes de migration de masse » et / ou si l’armée est déstabilisée de quelque manière que ce soit en raison d’une rupture frontalière inattendue et intense (comme par de multiples occurrences simultanées venant de directions opposées) ou d’une transition de leadership incertaine a cause des luttes entre élites, l’espace pourrait s’ouvrir pour que cela se produise. Encore une fois, ce n’est pas de le prédire qui fera advenir ce scénario, mais simplement d’identifier les faits qui devraient être en place pour qu’il se produise, ce qui donne aux observateurs certains indicateurs pour suivre la progression de ce scénario. Bien qu’il soit peu sûr, c’est vraiment une éventualité à risque élevé, c’est pourquoi il doit être sérieusement discuté et évalué par des experts et des décideurs compétents. Ce modèle de conflit est tellement perturbant en raison de la rapidité avec laquelle il pourrait générer une couverture médiatique internationale et une intervention extérieure immédiate, qu’il s’agit du type de scénarios qui pourrait être mené par la France et ses forces militaires dans le pays (éventuellement comme « casques bleus » en coordination conjointe avec l’Union africaine) ou une opération de couverture de terroristes salafistes et des acteurs étatiques hostiles / favorables tels que le Soudan (selon les circonstances de la relation bilatérale à ce moment-là).

Une révolte chrétienne du Sud contre les musulmans du Nord pourrait rapidement se transformer en une guerre civile qui pourrait se transformer rapidement en une guerre internationale si le « génocide » (réel, imaginé ou exagéré) se produit et / ou la faillite de l’état suit. L’éruption d’un autre front dans le « choc des civilisations » (juste un plan pour la façon dont les États-Unis envisagent de diviser et de gouverner l’hémisphère oriental dans l’après-Guerre froide) pourrait avoir un effet de démonstration pour encourager des conflits similaires chez les voisins du Tchad, conduisant potentiellement à une zone transnationale de déstabilisation et à une expansion de la Ceinture des États faillis dans la région du Sahel-Sahara.

Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides: l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride. Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.

Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par xxx pour le Saker Francophone

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