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L’histoire de la prise de contrôle par les néocons sur les États-Unis (Truthdig)

par Paul Fitzgerald et Elizabeth Gould 29 Mai 2017, 14:40 Néocons USA Contrôle Impérialisme Trotkysme Guerre

L’histoire de la prise de contrôle par les néocons sur les États-Unis (2/4)
Par Paul Fitzgerald et Elizabeth Gould
L’article original est paru sur Truthdig

Traduit par Diane, vérifié par Julie, relu par nadine pour le Saker francophone

 

Un dessin humoristique de 1898 représente les éditeurs de journaux Joseph Pulitzer et William Randolph Hearst, habillés comme des personnages de caricature du jour, une satire du rôle de leurs articles dans le rabattage de l’opinion publique américaine en faveur de la guerre, par Leon Barritt (Wikimedia)


 

Partie 2 – Comment les néocons poussent à la guerre en trafiquant les livres

La plupart des Américains extérieurs aux cercles politiques de Washington ne connaissent pas le Groupe B, d’où il est venu, ni ce qu’il a fait, ni ne sont conscients de ses racines dans la Quatrième Internationale, l’aile trotskyste de l’Internationale communiste. Lawrence J. Korb, chercheur principal au Center for American Progress (Centre pour le progrès américain) et secrétaire adjoint à la Défense de 1981 à 1985, a attribué au Groupe B l’échec du renseignement représenté par le 9/11, et a déclaré ce qui suit, dans un article de 2004 pour le Los Angeles Times.

« Les racines du problème remontent au 6 mai 1976, lorsque le directeur de la CIA, George H.W. Bush, a créé le premier groupe B. […] Le concept d’une « analyse concurrentielle » des données, réalisée par une équipe alternative, avait suscité l’opposition de William Colby, le prédécesseur de Bush à la direction de la CIA et professionnel de carrière. […] Bien que le rapport du Groupe B ait contenu peu de données factuelles, il a été reçu avec enthousiasme par des groupes conservateurs comme le Committee on the Present Danger (Comité sur le danger actuel). Mais le rapport s’est révélé grossièrement inexact. […] Le Groupe B avait raison sur un point. L’estimation de la CIA était en effet erronée. Mais elle était erronée dans l’autre sens. »

 

Partie 1

Korb expliquait ensuite qu’en 1978, une Commission du Sénat sur l’examen du renseignement concluait que « la sélection des membres du Groupe B avait produit une composition erronée des points de vue et des biais ». Et un examen de 1989 évaluait que la menace soviétique avait été « considérablement exagérée » dans les estimations annuelles de la CIA en matière de renseignement […] Pourtant, l’échec du Groupe B en 1976 n’a pas dissuadé les tenants de la ligne dure, de contester les jugements de la CIA pendant les trois décennies suivantes.

Aujourd’hui oubliées depuis longtemps, les origines du « problème » du Groupe B remontaient effectivement aux positions et aux préjugés politiques radicaux de James Burnham, à son association avec le communiste révolutionnaire Léon Trotsky et à la création de puissants groupes ad hoc de l’establishment à l’Est, du Comité sur le danger actuel et du Conseil de sécurité américain. Dès le début de la Guerre froide, à la fin des années 1940, une étrange coalition de radicaux ex-trotkystes et d’associations d’affaires de droite avaient fait de lourdes pressions en faveur de systèmes d’armement sophistiqués et d’une action agressive à l’égard du communisme soviétique. Le Vietnam était destiné à prouver le génie de leurs théories, mais comme l’a décrit l’écrivain Fred Kaplan, « le Vietnam a fait apparaître au grand jour le côté sombre de presque tout le monde, au sein de la machine de sécurité nationale américaine. Et il a mis en évidence quelque chose de sordide et de troublant, sur l’entreprise même des intellectuels de la défense. Il a révélé que le concept de force sous-tendant toutes leurs formulations et leurs scénarios était une abstraction, pratiquement inutile en tant que guide pour l’action. » (Wizards of Armageddon, page 336) Kaplan termine en écrivant : « Pour certains, la désillusion a été presque totale. » Le Vietnam a représenté davantage qu’une simple défaite stratégique, pour les intellectuels de la défense de l’Amérique ; il a représenté un échec conceptuel dans la bataille d’un demi-siècle pour contenir le communisme de style soviétique, mais pour le Groupe B, cette désillusion a représenté la chance d’une vie.

 

Les intellectuels trotskystes deviennent les intellectuels de New York qui deviennent les intellectuels de la défense

Formée d’une classe consanguine d’anciens intellectuels trotskystes, l’approche du Groupe B a représenté une transformation radicale de la bureaucratie de la sécurité nationale américaine, devenant un nouveau genre de culte élitiste. Dans les années 1960, les chiffres et les statistiques de Robert McNamara justifiaient de mauvaises décisions politiques ; maintenant les agendas personnels et les rancunes ethniques transformeraient la politique étrangère américaine en une croisade idéologique. Aujourd’hui, ceux qui contrôlent cette croisade luttent désespérément pour maintenir leur emprise, mais c’est seulement en décryptant l’évolution de ce « double gouvernement » secret, qu’on peut comprendre l’inexorable dérive post-Vietnam de l’Amérique, dans le despotisme de ces 40 dernières années.

Enracinée dans ce qui ne peut être décrit que comme une pensée de secte, l’expérience du Groupe B a détruit ce qui restait de l’objectivité professionnelle de la CIA avant le Vietnam, en la soumettant à la politisation. Plus tôt dans la décennie, le Bureau de recherche stratégique (OSR dans son sigle anglais) de la CIA avait été mis sous pression par Nixon et Kissinger, pour qu’il modifie son analyse afin de justifier des dépenses de défense croissantes, mais l’accent idéologique et la couleur partisane du Groupe B ont tellement exagéré la menace, que le processus ne pourrait jamais revenir à la normale.

La campagne a été menée par la cabale néoconservatrice russophobe qui comprenait Paul Wolfowitz, Richard Pipes, Richard Perle et une poignée de vieux anti-soviétiques purs et durs, comme Paul Nitze et le général Danny Graham. Elle a commencé avec un article de 1974 dans le Wall Street Journal, du célèbre stratège nucléaire et ancien trotskyste Albert Wohlstetter, dénonçant la supposée vulnérabilité nucléaire de l’Amérique. Elle a pris fin deux ans plus tard, avec une effusion de sang rituelle à la CIA, signalant que l’idéologie, et non l’analyse basée sur des faits, s’était imposée dans la bureaucratie américaine.

L’idéologie appelée néoconservatisme peut revendiquer de nombreux parrains et marraines. La réputation de Roberta Wohlstetter, en tant qu’éminente combattante de la Guerre froide de la RAND, égalait celle de son mari. Les fêtes tristement célèbres du couple, dans leur maison de Santa Monica, agissaient comme une sorte d’initiation pour la classe montante des « intellectuels de la défense ». Mais le titre de père fondateur serait mieux appliqué à James Burnham. En tant que membre converti venant du cercle intime du communiste révolutionnaire Léon Trotsky, les ouvrages de Burnham de 1941, The Managerial Revolution et de 1943, The Machiavellians: Defenders of Freedom, défendaient la prise de pouvoir anti-démocratique se produisant alors dans l’Allemagne nazie et dans l’Italie fasciste, tandis qu’il changeait d’admiration en 1945 dans Lenin’s Heir, si seulement c’était ironique, passant de Trotsky à Staline.

George Orwell a critiqué la vision élitiste cynique de Burnham, dans son essai de 1946, Second Thoughts on James Burnham, écrivant : « Ce que Burnham est principalement soucieux de montrer [dans The Machiavellians], est qu’une société démocratique n’a jamais existé et, pour autant qu’on puisse le voir, n’existera jamais. La société est par nature oligarchique, et le pouvoir de l’oligarchie repose toujours sur la force et la fraude… Le pouvoir peut parfois être gagné et maintenu sans violence, mais jamais sans fraude. »

On dit qu’Orwell aurait modelé son roman 1984 sur la vision de Burnham de l’État totalitaire à venir, qu’il décrivait comme « un nouveau genre de société, ni capitaliste ni socialiste, et probablement basé sur l’esclavage ».

Étudiant anglais formé à Princeton et Oxford (un de ses professeurs à Balliol College était J.R.R Tolkien), Burnham a occupé un poste d’écrivain et d’enseignant dans le département de philosophie de l’Université de New York, juste au moment du crash de Wall Street de 1929. Bien qu’initialement désintéressé de la politique et hostile au marxisme, Burnham s’est radicalisé en 1931 par la Grande Dépression et, en même temps que son collègue enseignant de philosophie à l’Université de New York, Sidney Hook, il s’est tourné vers le marxisme.

Burnham a trouvé brillante, l’utilisation par Trotsky du « matérialisme dialectique », pour expliquer l’interaction entre les forces humaines et historiques dans son Histoire de la révolution russe. Son analyse ultérieure du livre de Trotsky devait réunir les deux hommes et a commencé alors pour Burnham, une odyssée de six ans dans la gauche communiste américaine qui, dans cette étrange saga, devait le transformer pour finir en agent de sa destruction.

Fondateur de l’Armée rouge et marxiste convaincu, Trotsky avait dédié sa vie à la propagation d’une révolution communiste mondiale. Staline s’opposait aux vues de Trotsky, jugées trop ambitieuses, et la lutte pour le pouvoir qui a suivi la mort de Lénine a divisé le parti. Par leur nature même, les trotskystes étaient experts en matière de luttes intestines, d’infiltration et de perturbation. Burnham s’est révélé dans son rôle d’intellectuel trotskyste et dans les débats sans fin sur le principe fondamental du communisme (le matérialisme dialectique) derrière la croisade de Trotsky. Le Manifeste du parti communiste approuvait la tactique visant à subvertir des partis politiques plus grands et plus populistes (entrisme) et, après l’expulsion de Trotsky du Parti communiste en novembre 1927, ses partisans l’ont exploitée. L’exemple d’entrisme le plus connu a été ce qu’on a appelé le « tournant français », lorsque les trotskystes français sont entrés en 1934 dans le plus grand parti socialiste français, la SFIO [Section française de l’Internationale ouvrière, NdT] avec l’intention de rallier les éléments les plus militants à leur camp.

La même année, les partisans américains de Trotsky dans la Ligue communiste américaine (CLA dans son sigle anglais) ont pris un tournant français dans le Parti des travailleurs américains (AWP dans son sigle anglais), dans un mouvement qui a élevé le James Burnham de l’AWP, au rôle de lieutenant et de conseiller principal de Trotsky.

Burnham aimait la rudesse des bolcheviques et méprisait la faiblesse des progressistes. Selon son biographe Daniel Kelly, « il tirait une grande fierté de ce qu’il considérait comme sa position inébranlable, comparée aux philosophies enracinées dans ‘les rêves et les illusions’ ». Il adorait également les tactiques d’infiltration et de subversion d’autres partis de gauche et, en 1935, « il a lutté infatigablement pour le tournant français » d’un autre parti beaucoup plus grand, le Parti socialiste, fort de 20 000 membres. Les trotskystes avaient l’intention de « capturer son aile gauche et sa section jeunes, la Young People’s Socialist League (YPSL), écrit Kelly, et d’emmener les convertis avec eux lorsqu’ils quitteraient le parti ».

Burnham est resté un « intellectuel trotskyste » de 1934 à 1940. Mais bien qu’il ait travaillé six ans pour le parti, on a dit de lui qu’il n’avait jamais été du parti et au début de la nouvelle décennie, il a renoncé à la fois à Trotsky et à « la ‘philosophie marxiste’, le matérialisme dialectique ». Il a résumé ses sentiments dans une lettre de démission du 21 mai 1940. « Parmi les croyances les plus importantes qui ont été associées au mouvement marxiste, que ce soit dans ses variantes réformiste, léniniste, stalinienne ou trotskyste, il n’y en a pratiquement aucune que j’accepte dans sa forme traditionnelle. Je considère ces croyances comme fausses ou obsolètes ou dénuées de sens ; ou, dans quelques rares cas, comme vraies, au mieux sous une forme si restreinte et si modifiée qu’on ne peut plus les appeler marxistes. »

En 1976, Burnham a écrit à un agent secret légendaire – que le biographe Kelly a mentionné comme « l’analyste politique britannique Brian Crozier » – qu’il n’avait jamais avalé le matérialisme dialectique ou l’idéologie marxiste, mais qu’il avait été simplement pragmatique au vu de la montée d’Hitler et de la Dépression.

Mais étant donné le rôle influent que Burnham serait amené à jouer dans la création de la nouvelle classe révolutionnaire des néoconservateurs, et de leur rôle central dans l’utilisation des tactiques de Trotsky pour faire pression contre toute relation avec l’Union soviétique, il est difficile de croire que l’implication de Burnham dans la Quatrième Internationale de Trotsky n’a été qu’un exercice intellectuel du pragmatisme.

Partie 1 – Partie 3

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