Le discours de Donald Trump au monde musulman était rempli d’hypocrisie et de condescendance
Par Robert Fisk | 23 mai 2017
The Independent
Traduit de l’anglais par : http://sayed7asan.blogspot.fr/
Bien qu’il ait prétendu qu’il ne donnerait pas de leçons, le Président a fait exactement cela, affichant un parti pris anti-iranien flagrant visant à apaiser la nation avec qui il venait de signer un accord d’armes de plusieurs milliards de dollars aux dépens de la vérité.
Ainsi, après avoir inventé les « fake news » (fausses informations), ce dimanche, le Président fou de l’Amérique a adressé aux musulmans du monde un faux discours. Donald Trump a déclaré qu’il n’était pas en Arabie Saoudite pour « donner des leçons » mais a ensuite dit aux prédicateurs islamiques du monde ce qu’ils devaient dire, a condamné le « terrorisme islamiste » comme si la violence était un phénomène exclusivement musulman et a enfin annoncé, tel un Prophète de l’Ancien Testament, qu’il était engagé dans « une bataille entre le bien et le mal. » Il n’y eut aucun mot de compassion, aucun mot de pitié, absolument aucun mot d’excuses pour ses discours racistes et anti-musulmans de l’année dernière.
Encore plus incroyable, il a reproché à l’Iran – plutôt qu’à Daech – d’avoir « alimenté la violence sectaire », exprimé de la pitié pour le « désespoir » du peuple iranien un jour après qu’il ait librement élu un réformateur libéral [Hassan Rohani] pour Président et exigé davantage d’isolement contre le plus grand pays chiite du Moyen-Orient. Le régime responsable de « tant d’instabilité » est l’Iran. Le Hezbollah chiite a été condamné. De même pour les Yéménites chiites. Les hôtes saoudiens sunnites de Trump ont rayonné de bonheur face à une telle sagesse.
Et cela a été résumé par CNN comme un discours de « réinitialisation » avec le monde musulman. Pour « réinitialisation », lisez « réparation », mais la diatribe de Trump dimanche à Riyad n’était en fait ni une « réinitialisation » ni une « réparation ». C’était la leçon qu’il avait assuré qu’il ne donnerait pas.
« Chaque fois qu’un terroriste tue un homme innocent et invoque faussement le nom de Dieu, ce devrait être une insulte pour toute personne de foi », a-t-il annoncé, ignorant royalement – comme il le devait – le fait que l’Arabie Saoudite, et non l’Iran, est la source même de l’extrémisme très salafiste et wahhabite dont les « terroristes » assassinent des « innocents ».
Il a tenté d’éviter son ancien mantra raciste de « l’extrémiste islamique radical » et a tenté de le remplacer par « l’extrémisme islamiste », mais il s’est apparemment emmêlé les pinceaux et a également dit « islamique ». La distinction subtile qu’il essayait de faire en anglais n’était donc pour les musulmans pas plus qu’une variation sur un thème : les terroristes sont musulmans.
Tout cela, rappelons-nous, est venu après que Trump ait encore concocté un autre accord de vente d’armes avec les Saoudiens (110 milliards de dollars ou 84,4 milliards de Livres Sterling) et l’achat proposé par le Qatar de ce que Trump a qualifié de manière obscène de « beaucoup de beaux équipements militaires. » Il semble presque fantastique qu’il fasse une telle remarque seulement deux jours avant de rencontrer le Pape qui, deux semaines auparavant au Caire, a pesté avec le Cheikh musulman d’Al-Azhar contre le mal causé par les marchands d’armes.
« Nous adoptons un réalisme de principes, ancré dans des valeurs communes et des intérêts partagés », a déclaré Trump aux Saoudiens et aux dirigeants d’une cinquantaine de pays musulmans dimanche. Mais quelles sont donc ces valeurs ? Quelles valeurs les Américains partagent-ils avec les Saoudiens coupeurs de têtes, misogynes, antidémocratiques, dictatoriaux, autres que les ventes d’armes et le pétrole ?
Et quand Trump a déclaré que « nos amis ne remettront jamais en question notre soutien, et nos ennemis ne douteront jamais de notre détermination », est-ce que ses amis étaient censés être les Saoudiens ? Ou le « monde islamique », qui devrait certainement inclure l’Iran, la Syrie et le Yémen – et les milices belligérantes de Libye ? En ce qui concerne les « ennemis », parlait-il de Daech ? De la Russie ? De la Syrie ? Ou de l’Iran, dont le Président nouvellement élu veut sûrement la paix avec l’Amérique ? Ou bien, comme une partie du monde musulman le déduira avec de bonnes raisons, déclarait-il son amitié avec les musulmans sunnites du monde et son inimitié envers les musulmans chiites ?
Car c’est de cela, en fin de compte, qu’il s’agissait à cette fête-des-discours de Riyad. Prenez cette petite citation : « Nous allons prendre des décisions basées sur des résultats réels et pas sur une idéologie inflexible. Nous serons guidés par les leçons de l’expérience, et non par les limites de la pensée rigide. Et, chaque fois que ce sera possible, nous chercherons des réformes progressives et pas une intervention soudaine. » Examinons maintenant cette petite horreur. Les « décisions basées sur des résultats réels » signifient un pragmatisme brutal. Les « réformes progressives » indiquent que les États-Unis ne feront rien pour les droits de l’homme et ne prendront aucune mesure pour empêcher les crimes contre l’humanité – à moins qu’ils ne soient commis par l’Iran, la Syrie, les chiites irakiens, le Hezbollah libanais chiite ou les Houthis yéménites chiites.
Il s’agissait de « partenariat », devions-nous croire. Il s’agissait d’une « coalition ». Vous pouvez le pariez. Car l’Amérique ne va pas saigner comme elle l’a fait en Irak et en Afghanistan. Ce sont les Arabes qui doivent saigner en se battant les uns contre les autres, encouragés par leur plus grand fournisseur d’armes. Ainsi, Trump leur a donné des leçons sur leur besoin d’assumer « leur part du fardeau ». Les Arabes seront « unis et forts » en tant que « forces du bien ». Si la bataille se déroule entre des « personnes décentes de toutes les religions » et des « criminels barbares » (« entre le bien et le mal »), comme Trump a conclu, il était significatif, n’est-ce pas, que cette bataille ait dû commencer dans le « pays sacré » de l’Arabie Saoudite sunnite.
Au moment où Trump a atteint la partie de son discours dans laquelle il a menacé les méchants – « si vous choisissez la voie de la terreur, votre vie sera vide, votre vie sera brève et votre âme sera damnée » –, il avait l’air d’un auteur de discours pour Daech. Apparemment – et sans surprise, peut-être – le discours de Trump était en partie le travail de l’homme même qui a écrit sa tentative juridique très ridiculisée (et qui a échoué) de bannir des États-Unis les musulmans de sept nations. Dans l’ensemble, tout à fait une « réinitialisation ». Trump a parlé de la paix mais préparait les Arabes à une guerre sunnites-chiites. Les dirigeants serviles du monde musulman, inutile de le dire, ont applaudi lorsque le Président fou de l’Amérique a fini de parler. Mais ont-ils compris ce que ses mots présageaient vraiment ?