Monsanto en guerre contre le Centre international de recherche contre le cancer (CIRC), deuxième épisode. Le Monde dévoilait la semaine dernière la stratégie d'influence de la multinationale. Dans le second volet de l'enquête, les journalistes Stéphane Foucart et Stéphane Horel se penchent sur "la bataille de l'information" menée par Monsanto, notamment via des articles publiés dans des revues scientifiques. Et avec un coup de main de l'agence Reuters.
Dans l'opération de discrédit du Centre international de recherche contre le cancer (CIRC) par Monsanto, Reuters a joué un rôle important. En avril 2016, l'agence de presse publie un article mettant en cause le CIRC, qui créerait "de la confusion chez les consommateurs". En cause : le système de classement de cancérogénicité des agents testés par l'institution, qui a classé la viande transformée dans la première catégorie (cancérogène certain) "au même titre que le plutonium", un argument utilisé par le lobby américain de la chimie.
Surtout, sur le glyphosate que le CIRC a classé "cancérogène probable" en mars 2015, l'institution serait en proie aux conflits d'intérêts, en raison de la présence parmi les conseillers de l'agence de Christophe Portier, un spécialiste lié à "un groupe de pression américain opposé aux pesticides". Retraité, le scientifique a mené une carrière reconnue dans la santé environnementale et est désormais consultant auprès de ce "groupe de pression", l'Environmental Defense Fund. Et Reuters de citer "des critiques" qui "soutiennent que le CIRC n'aurait pas dû l'autoriser à être impliqué dans l'évaluation du glyphosate." Des "critiques" mystérieuses... qui proviendraient en fait, d'après Le Monde, d'"un ancien lobbyiste de l'industrie chimique", David Zaruk. Ce blogueur a en effet publié 20 billets sur le glyphosate, et s'en prend régulièrement et de manière virulente à Portier, aux ONG et aux journalistes.
Y a-t-il réellement un conflit d'intérêt dans la présence de Portier parmi les experts du CIRC ? Selon Le Monde, le scientifique n'était que "spécialiste invité" par le groupe de travail, et sa parole n'avait donc pas de poids déterminant dans la prise de décision finale du CIRC de classer le glyphosate comme "probablement cancérogène".
Mais Reuters ne s'arrête pas là, puisque l'agence cite dans son article trois scientifiques incriminant le CIRC. Or, toujours d'après Le Monde, ces spécialistes seraient des consultants pour l'industrie, sans que cela ne soit jamais mentionné. Avec la "prestigieuse caution journalistique de Reuters", la dépêche est alors reprise dans plusieurs journaux, dont notamment le Times de Londres, The Australian, ou la National Review aux Etats-Unis.
RECRUTEMENT D'EXPERTS
La dépêche de Reuters tombait bien pour la multinationale, qui met en oeuvre depuis 2015 une stratégie pour sauver le glyphosate. On trouve des traces de cette tactique dans les "Monsanto papers", les documents "que la firme a été contrainte de livrer [...] à la justice" dans le cadre d'une plainte de malades d'un cancer dû selon eux au glyphosate.
Dans un de ces documents, révèle Le Monde, la firme dévoile sa volonté de mener une "«évaluation complète du potentiel cancérigène» du glyphosate «par des scientifiques crédibles», «éventuellement via la formule d'un panel d'experts.»" Dont acte : en septembre 2016, Critical Reviews in Toxicology publie six articles pour exonérer le glyphosate, écrits par des experts recrutés par Monsanto.
Dénigrer le CIRC est une nécessite vitale pour Monsanto, alors que l'Union européenne doit bientôt se prononcer sur la réautorisation pour 15 ans du glyphosate. L'agence est la seule à avoir classé le produit comme "probablement cancérogène". C'est aussi la seule, rappelle Le Monde, à ne fonder ses avis que sur "des études publiées dans des revues savantes", et à exclure les "études commanditées par les industriels."
(Hélène Assekour)