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Patrick de Saint-Exupéry : "Ordre a été donné par la France de réarmer les génocidaires hutus" (Le Point)

par Patrick de Saint-Exupéry, Claire Meynial 29 Juin 2017, 19:50 Rwanda Génocide Françafrique France Collaboration Hubert Védrine Mitterrand néocolonialisme Articles de Sam La Touch

ENTRETIEN. Une enquête de la revue "XXI" révèle qu'au cours de Turquoise, la France a réarmé les Hutus génocidaires. Un ordre appuyé par Hubert Védrine.

C'était en 1990, il revenait du Liberia et se rendait dans le nord du Rwanda, pour y couvrir une « mystérieuse rébellion, avec le contingent français ». Patrick de Saint-Exupéry couvre le Rwanda depuis 27 ans et écrit inlassablement, depuis 1994 sur le génocide des Tutsis, L'Inavouable, du nom d'un livre sur le sujet paru en 2004. Pour son dernier article à paraître dans la revue XXI, qu'il a fondée en 2008, et avant de lancer un nouvel hebdomadaire, il récidive dans le numéro du 28 juin, intitulé « Nos crimes en Afrique ». L'enquête « Réarmez-les » lève le voile sur des archives que l'Élysée avait promis d'ouvrir. Le 6 avril 1994, l'avion du président hutu Juvénal Habyarimana est abattu, déclenchant le génocide. Le 22 juin 1994, la France, dont les militaires ont encadré, de 1990 à 1993 les Forces armées rwandaises (FAR), déclenche l'opération Turquoise : 2 500 soldats français sont envoyés au Rwanda, jusqu'au 21 août. Trop tard, le génocide causera la mort de quelque 800 000 personnes, en grande majorité des Tutsis assassinés par des extrémistes hutus, en 100 jours. Contrairement aux idées reçues, il n'a pas été uniquement perpétré à la machette. Or, selon l'enquête de XXI, au cours de l'opération Turquoise, ordre avait été donné de réarmer ceux qui venaient de commettre le génocide.

 

Le Point Afrique : De quels éléments est partie cette enquête ?

Patrick de Saint-Exupéry : En avril 2015, l'Élysée annonce l'ouverture des archives du Rwanda. Comme souvent, dans la foulée de l'annonce, on se dit que ce serait bien de regarder ce qu'il y a dedans. Deux hauts fonctionnaires les explorent et un peu plus de 80 documents sortent, qui n'ont aucun intérêt. Et tout s'arrête là. Quelques mois plus tard, dans un cercle restreint, l'un des deux raconte son exploration des archives et sa stupeur devant ce qu'il a découvert. Il transmet à la suite son avis, et la boîte de Pandore est refermée.
 

À cause des révélations contenues dans les documents ?

Ce qu'il dit dans ses confidences, c'est « qu'il y avait dans ces cartons des documents sur le rôle de la France au Rwanda avant, pendant et après le génocide... Au cours de l'opération Turquoise, ordre avait été donné de réarmer les Hutus qui franchissaient la frontière » vers le Zaïre, actuelle République démocratique du Congo, pendant la première quinzaine de juillet 1994. Nous sommes un mois et demi après que le Haut-Commissaire aux Nations unies a qualifié les événements de « génocide », et après le vote, le 17 mai 1994, de l'embargo sur les livraisons d'armes au Rwanda. Le haut fonctionnaire poursuit en précisant qu'il y avait « plusieurs documents sur des droits de retrait que des militaires auraient invoqués » pour désobéir aux ordres. Il dit aussi avoir vu « une note dans la marge disant qu'il fallait s'en tenir aux directives fixées », signée de la main d'Hubert Védrine (alors secrétaire général de l'Élysée, de François Mitterrand, NRLD). Le haut fonctionnaire ajoute avoir fermé les cartons et dit qu'il serait très problématique pour les personnes impliquées que ces documents soient publiés.

 

Cela invalide la théorie souvent invoquée, pour disculper la France, d'une mauvaise compréhension des événements sur le terrain…

En effet, c'était clair, comme l'indique un confidentiel-défense de la DAS (Délégation aux affaires stratégiques), du 24 février 1995, qui cite une note de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) du 4 mai 1994, document qui a été très discuté dans toutes les institutions, et qui à l'époque fait toute la clarté sur ce qui est en train de se passer. Elle attire l'attention sur « l'importance des massacres commis, notamment par les forces gouvernementales, et dans une moindre mesure par le FPR » (Front patriotique rwandais, formé par des exilés tutsis en Ouganda et mené par Paul Kagame, l'actuel président du Rwanda, NDLR). La DGSE propose à cette même date une condamnation publique et sans appel de la garde présidentielle (du président rwandais hutu Juvénal Habyarimana) et du colonel Bagosora (alors à la tête des FAR et condamné en décembre 2008 par la CPI à 35 ans de prison pour génocide, crime de guerre et crime contre l'humanité, NDLR). On désigne donc le cerveau du génocide, on vient le dire au politique et on lui demande une condamnation sans appel. Que la DGSE n'ait pas été écoutée, ait été ainsi ignorée, c'est extrêmement rare. Dès le 12 janvier 1994, elle avait alerté dans une note sur la « stratégie de provocation des milices Interahamwe » du président Habyarimana. Il y a un aveuglement du politique, de l'Élysée, une mécanique incroyable. Il fallait qu'il y ait une lecture, une version, la seule, ce qui pose problème quand on parle d'un génocide...

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