Dans le livre La guerre au Mali – Comprendre la crise au Sahel et au Sahara – Enjeux et zones d’ombre, publié à  La Découverte en 2013 sous la direction de Michel Galy, Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou écrit ceci, sous le titre Le nouveau « grand jeu » des puissances occidentales au Sahel :
« […] après l’effondrement du bloc soviétique, l’interventionnisme occidental – théorisé en un « droit d’ingérence » dès 1987 et précisé en une « responsabilité de protéger » en 2001 – se manifesta tous azimuts : en Somalie en décembre 1992 (États-Unis), au Rwanda en juillet 1994 (France), à Haïti en juillet 1994 (États-Unis), au Timor en septembre 1999 (Australie), en Yougoslavie en mars 1999 (OTAN), en Afghanistan en octobre 2001 (États-Unis et Grande-Bretagne), en Côte d’Ivoire en novembre 2004 et en avril 2011 (France), en Libye en mars 2011 (OTAN) et au Mali en janvier 2013 (France). » (page 61)

Terrible liste de crimes dont l’énumération s’achève sur deux pays – la Libye et le Mali – étroitement liés tant que Muammar Gaddhafi a été en vie… c’est-à-dire jusqu’au moment où l’Occident a décidé de s’en saisir et de le mettre à mort.

Ainsi, énorme épine dans le pied de l’Occident depuis 1969, la Libye révolutionnaire a été détruite et son leader massacré, pratiquement en direct, sous les yeux du monde entier, à l’initiative strictement personnelle d’un Sarkozy dont il faut réaffirmer qu’il était le président en exercice de la république française… élu par le suffrage universel en 2007…

Remarquons-le une nouvelle fois : de tout cela, la population française ne paraît guère se soucier. Qu’en son nom, des pays entiers implosent et sombrent dans les plus grands malheurs, elle n’y trouve décidément rien à redire…

Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou ajoute :
« […] les groupes touaregs en exil en Libye rentrent au Mali au lendemain du conflit libyen, forts de leur expérience militaire et nourris d’un esprit revanchard sur un gouvernement malien lui-même affaibli par la perte de l’allié à Tripoli. » (page 67)

Quel prix le Mali a-t-il donc payé en conséquence de la folie meurtrière de la république française, c’est-à-dire de la France capitaliste, colonialiste et impérialiste ?

 

Je prendrai ma réponse dans un document rédigé et diffusé en 2015, sous la responsabilité de trois organismes très officiels :

  • la Banque africaine de développement (BAD) ;
  • L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ;
  • Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).

Les auteurs de ce texte intitulé Mali 2015 sont :

  • Abdoulaye Konaté, économiste pays principal, BAD Mali ;
  • Hamaciré Dicko, macro-économiste, BAD Mali ;
  • Bécaye Diarra , conseiller économique, PNUD Mali.

Ces trois auteurs nous rappellent, tout d’abord, le contexte dans lequel la tragédie suscitée par l’État gangster français en Libye a frappé mon pays – je rappelle que je suis moi-même malien :
« Le Mali était en bonne voie pour atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) suivants à l’horizon 2015 : scolarisation primaire universelle (OMD-2), contrôle du VIH/Sida (OMD-6) et accès à une source d’eau potable (OMD-7). » (page 2)

Conséquence de la guerre survenue dans un Mali complètement déstabilisé par l’effondrement de la Libye :
« Les progrès réalisés ces dernières années ont été fragilisés par les conséquences de la situation sécuritaire et de l’instabilité politique. Malheureusement, l’atteinte de tous les OMD pourrait donc être compromise. » (page 2)

Pire…
« La situation se solde par de graves problèmes d’insécurité alimentaire et de malnutrition, impliquant des besoins urgents d’aide alimentaire (environ 1,7 million de personnes dont 260 000 en situation de crise). » (page 2)

Autre conséquence désastreuse pour les années à venir :
« La crise de 2012 a également eu des effets importants sur l’environnement (sols pollués par les mines antipersonnel et contaminés par les pesticides, déchets produits par les combattants et le personnel déployé par la communauté internationale) avec des populations déplacées (150 000 personnes fin mai 2014 selon l’Office pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) des Nations unies) vers le sud du pays. » (page 10)

Il y a ensuite les ruptures induites à l’intérieur même de la population malienne :
« Le Mali a connu la plus grave crise de son histoire en 2012, avec le coup d’État perpétré le 22 mars 2012 et l’occupation pendant neuf mois, d’avril 2012 à janvier 2013, des régions du nord du pays par des groupes rebelles et/ou djihadistes. » (page 10)

Les Françaises et les Français ne sauront-ils (elles et eux) rien voir de cette politique criminelle que mènent des responsables français au su et au vu du monde entier, et de l’Afrique tout particulièrement ?
« Par ailleurs, la crise multiforme et complexe (alimentaire, nutritionnelle et politico-sécuritaire) qui frappe le Mali depuis le premier trimestre 2012 a affecté la population malienne dans son ensemble, les plus vulnérables en particulier. »

Cette crise, nous la leur devons !
« Elle a engendré des conséquences négatives sur la situation nutritionnelle des enfants de moins de cinq ans et des femmes enceintes et allaitantes, avec un accès limité des partenaires opérationnels au nord du pays, un déplacement de populations à l’intérieur du pays, une interruption de l’offre de soins de la part des structures de santé, une dégradation des infrastructures sanitaires, le départ ou l’absence des autorités sanitaires et agents de santé, une perturbation de la chaîne d’approvisionnement en intrants (nutritionnels et autres médicaments de base) et l’impossibilité de mener des enquêtes nutritionnelles dans les régions du nord. » (page 12)

D’où vient donc cet acharnement qui ne cesse de maltraiter notre avenir après avoir ruiné notre passé ?
« Conséquence directe de l’instabilité politique et de l’occupation des régions du nord, la détérioration d’une situation sociale déjà fragile. Le Mali demeure parmi les pays à développement humain faible. » (page 12)

Et tout à la fois, il est devenu la proie d’une véritable guerre civile…
« L’occupation des régions de Tombouctou, Gao, Kidal et d’une partie des régions de Mopti et Ségou par les groupes armés en 2012 s’est traduite par la destruction massive des édifices publics et privés, des équipements sociaux économiques et des moyens logistiques, le repli des responsables et des agents des services administratifs vers les zones sécurisées au sud du pays et surtout le déplacement de centaines de milliers de personnes à l’intérieur du pays et vers les pays voisins. » (page 14)

Voici l’avenir qui nous fait face, selon les experts de la Banque africaine de développement (BAD), de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) :
« Le retour des personnes réfugiées et déplacées posera des problèmes importants, non seulement de réinsertion, mais aussi de cohésion sociale, aussi bien entre les différentes communautés qu’en leur sein – tant les divisions héritées de la crise s’avèrent profondes. » (page 14)

Sait-on à Paris, à Lyon ou à Marseille, ce que sont les blessures que la folie meurtrière de la France, jetée contre la Libye de Muammar Gaddhafi, a provoquées ici, au Mali ?
« Dans un contexte où les relations traditionnelles intra et intercommunautaires sont en mutation, des individus qu’un grave conflit a opposés il y a peu de temps encore devront réapprendre à vivre ensemble, en évitant que les mêmes causes ne mènent à un nouveau conflit. »

La France bourgeoise ne compte-t-elle pas sur cette nouvelle occasion qui lui permettrait d’offrir mon pays aux appétits de ses alliés européens ? Le peuple français laissera-t-il faire cela ? N’avons-nous pas encore suffisamment souffert de ces ingérences qui n’en finissent plus ?

Et voici où nous en sommes :
« La violence généralisée et les graves violations des droits humains auxquelles la crise de 2012 a donné lieu ont traumatisé la population. Les repères familiaux, les valeurs traditionnelles, l’ensemble des relations sociales ont été fragilisées. Le rétablissement d’interactions communautaires et interethniques normales et confiantes n’en sera que plus difficile. » (page 14)

Mais laissez-nous donc en paix !

Issa Diakaridia Koné