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Jeux politiques avec le destin du monde (Consortium News)

par Alastair Crooke 15 Septembre 2017, 08:26 Trump Méconnaissance Diplomatie USA Russie Poutine Crise Articles de Sam La Touch

La stratégie de sabotage des négociations entre le Président Trump et la Russie, et l’ignorance de sa propre administration des problèmes complexes du Moyen-Orient, se combinent et sont source de graves dangers, écrit l’ex-diplomate anglais Alastair Crooke.

Enfin… le congrès américain a réussi à légiférer, et cela avec un soutien bi-partisan quasi unanime. Seulement, en substance, il ne s’agit pas d’une réflexion profonde sur les intérêts de la politique étrangère américaine, mais plutôt d’un désir d’affaiblir et de neutraliser le président américain lors de futures négociations avec la Russie (peu importe si cela précipite les choses vers un conflit inquiétant avec la Russie, ou tous autres dommages collatéraux).

Le Président Trump débat avec le Président russe Vladimir Poutine lors d’une réunion du sommet du G-20 à Hambourg en Allemagne, le 7 juillet 2017. (Photo de Whitehouse.gov)

Le but est de voir le président Trump ligoté, « enduit de goudron et de plumes » pour son « comportement risqué » vis-à-vis de la Russie. Ce but a tout simplement balayé tout autre considération, comme la probabilité que le reste du monde conclue à l’incapacité de l’Amérique à poursuivre ou même à avoir la moindre politique étrangère dans un contexte de guerre civile interne. C’est une étape clé. Pour une majorité écrasante de membres du Congrès et de sénateurs démocrates et républicains, mettre à terre « Le Donald » est l’unique but, et advienne que pourra des conséquences pour l’Amérique et pour le monde.

La sénatrice Dianne Feinstein (Démocrate de Californie) a clairement fait remarquer que les préoccupations des alliés des États-Unis passent au second plan face au besoin de punir la Russie pour ses interférences lors des élections. Quand on a demandé au sénateur John McCain (Républicain de l’Arizona) si la loi prenait en considération les intérêts de l’Union Européenne, il a simplement répondu : « Pas que je sache, certainement pas dans la partie de la loi dont j’étais responsable. »

Un autre auteur de la loi, Bob Menedez (Démocrate New Jersey), a répondu de façon laconique à la même question : « Très peu, pour être honnête avec vous. »

McCain a ensuite négligemment raillé en substance : « C’est le boulot de l’U.E. de s’adapter à la législation, pas à la législation de s’adapter à l’U.E. «

Le Président américain n’avait guère d’autre choix que de signer cette loi, mais cela ne veut pas dire que la diplomatie est totalement bloquée. Comme attendu, il a signé une déclaration (voir ici) dans laquelle tout en reconnaissant les prérogatives du Congrès, il conteste l’empiétement du congrès sur ses prérogatives (article 2 de la constitution des USA) concernant la politique étrangère. Il se réserve le droit de décider de la manière dont le mandat du Congrès sera mis en place (c.-à-d. en respectant les accords quadrilatéraux sur l’Ukraine). Trump a quelque latitude pour manœuvrer, surtout concernant l’exécution de la loi (ou pas, ce qui pourrait être le cas). Mais certainement pas assez pour apaiser l’Europe, ou de façon plus pertinente persuader la Russie que l’Amérique a des propositions substantielles à faire dès maintenant ; ou que si des propositions aboutissent, elles seront exécutées. En d’autres termes, pour la Russie, les États-Unis sont quasiment dans l’incapacité d’aboutir à des accords.

 

L’analyse de Medvedev

Le Premier ministre russe Dmitri Medvedev a écrit en réponse :

La place Rouge de Moscou avec un festival d’hiver sur la gauche et le Kremlin sur la droite (Photo de Robert Parry).

« La promulgation des nouvelles sanctions contre la Russie par le président des États-Unis amène plusieurs conséquences. En premier lieu, tout espoir d’améliorer nos relations avec la nouvelle administration américaine est anéanti. Deuxièmement, les États-Unis ont juste déclaré une guerre commerciale d’envergure avec la Russie. Troisièmement, l’administration Trump a démontré qu’elle était complètement impuissante, et de la façon la plus humiliante, avec le pouvoir exécutif transféré au Congrès. Cela remodèle les forces des cercles politiques américains. »

« Qu’est-ce que cela veut dire pour les États-Unis ? L’establishment a mis Trump complètement hors jeu. Le Président n’est pas content des nouvelles sanctions, mais il ne pouvait pas ne pas promulguer la loi. L’intérêt de ces nouvelles sanctions est de remettre Trump à sa place. Leur but ultime est d’éjecter Trump du pouvoir. »

La nouvelle disposition clé de la loi est surnommée La Révision de 2017 de la loi sur les sanctions contre la Russie. Elle codifie en loi les sanctions contre la Russie imposées par les précédentes administrations et interdit au Président de les lever sans un accord préalable du Congrès. La loi stipule que le processus de sécurisation de cet accord exige que le Président envoie un rapport préliminaire indiquant et argumentant les bénéfices supposés que les États-Unis retireraient de la levée des sanctions. Le Congrès pourrait alors organiser des auditions sur le rapport du Président et le mérite de ses arguments sur une éventuelle contrepartie justifiant son action. A la lumière de ces auditions, le Congrès pourrait envisager une résolution d’approbation ou de rejet.

Le site influent Lawfare fait remarquer, cependant, que « la disposition est conçue de manière très large pour couvrir des actions qui auraient un effet d’amélioration en cas d’échec de levée des sanctions. Pas exemple, l’aval du Congrès est requis pour une dérogation ’’un accord de licence qui modifie substantiellement la politique étrangère des États-Unis vis à vis de la Fédération de Russie’’ et toute action qui permettrait à la Russie d’accéder à nouveau à ses biens actuellement gelés au Maryland et à New York. » (Souligné dans le texte)

En bref, le Congrès s’est accordé une période de contrôle de 30 jours pour rejeter par le vote tout changement que Trump voudrait apporter en terme de politique étrangère des États-Unis vis-à-vis de la Russie.

 

Offense à l’Europe

Ce sont les mesures principales, mais la loi a d’autres petites fioritures : la législation vise le secteur énergétique russe, en permettant aux États-Unis de sanctionner les sociétés impliquées dans le développement des gazoducs russes. Cela « affecterait presque à coup sûr un projet de pipeline controversé entre la Russie et l’Allemagne connu sous le nom de Nord Stream 2, propriété de Gazprom mais comprenant des enjeux financiers pour des entreprises européennes. Le projet a pour but d’acheminer le gaz naturel russe sous la mer Baltique, s’affranchissant de pays comme l’Ukraine, la Pologne et les États baltes », comme l’indique le New York Times.

Le Président russe Vladimir Poutine se promenant dans le jardin Alexander au Kremlin avec la Chancelière allemande Angela Merkel. 10 mai 2015. (Photo http://en.kremlin.ru)

Certains verront dans ces événements une simple riposte à la prétendue intervention russe dans les affaires intérieures américaines (comme l’a argumenté Feinstein), mais les sondages (même ceux de CNN) indiquent qu’il y a de très évidentes limites politiques à l’utilisation par l’establishment d’un « Russie-gate » comme mécanisme pour mobiliser et élargir un soutien public à l’éviction du Président Trump. Les sondages indiquent que 79 % des Républicains ne sont « pas du tout » ou « pas très » inquiets des liens supposés de Trump avec la Russie, et qu’inversement, précisément la même proportion, 79 % des Démocrates sont précisément « très » ou « un peu » inquiets (55% des Indépendants se tiennent du côté des Républicains avec 37% « pas du tout » et 18% « pas très » inquiets). Le point important ici est que le soutien des Républicains au souhait de Trump d’une détente avec la Russie ne s’est pas érodé d’un pouce, alors que la « préoccupation » des Indépendants et même des Démocrates a un peu diminué.

C’est le point crucial : la clique autour de l’ancien patron de la CIA John Brennan et d’autres ont brandi leur étendard « Russie-gate » pour faire tomber Trump — en criant au scandale. Mais, comme souvent, on récolte ce qu’on a semé. A moins que l’establishment ne puisse garder le rythme des insinuations ou produire de nouvelles révélations, le « Russie-gate » va devenir une fable éventée — ou un sujet de satire. Pire, le mythe pourrait se retourner et mordre les mains qui l’ont nourri. Il pourrait y avoir d’autre cadavres dans les placards, mais imputables à l’autre clan, comme par exemple : qui a payé Fusion GPS [entreprise de recherche et de renseignement stratégique, NdT] (qui a été chargé de produire le « sale dossier » sur Trump) ? L’histoire de Seth Rich, assassiné, pourrait-elle prendre une autre tournure ? [Seth Rich, employé du Democratic National Committee, organe central du Parti démocrate pour les élections, tué par balles en juillet 2016, NdT] Ou encore Imran Awan, ancien responsable informatique en fuite du DNC pourrait-il donner une autre version de l’histoire ? Ou autre chose encore inconnue.

 

Des sanctions confuses

Jusqu’où ira l’usure anti-russe ? L’institut Ron Paul voit dans une section de la loi la possibilité que des sites internet qui prennent position contre les sanctions contre la Russie pourraient être tenus comme faisant le travail du renseignement russe — en cherchant à influencer leurs lecteurs dans le sens souhaité par le renseignement russe. Cela pourrait-il être interprété comme « s’engager dans des transactions » — sur Internet ? (La loi prévoit des sanctions contre les « personnes qui s’engagent dans des transactions avec le renseignement ou les secteurs de la défense du gouvernement de la Fédération russe ».)

L’ancien directeur de la CIA John Brennan s’adressant aux officiels au quartier général de l’Agence à Langley, Virginie. (Photo crédit : CIA)

L’auteur écrit qu’au premier abord, on pourrait penser qu’il lit trop le texte, « »cependant en tant que vétéran après douze ans de pratique de lecture de propositions de loi au Capitole, je peux vous assurer que ces propositions de loi ne sont jamais écrites de façon simple et explicite. Il y a toujours un sous-entendu, et dans ce cas nous devons considérer que les nombreuses occurrences où le directeur de la CIA et autres leaders de la communauté du renseignement américain ont essayé de démontrer que les chaînes d’information étrangères comme RT ou Sputnik News, ne sont pas des organes de presse protégés par le Premier amendement, mais plutôt les outils d’une organisation de renseignement étrangère. »

Alors, les espoirs de Trump d’une détente avec la Russie sont-ils morts ? Je dirais qu’il est trop tôt pour le dire. Medvedev semble catégorique, mais peut-être son sombre pronostic vise-t-il davantage à montrer aux Américains que leurs relations avec la Russie ne sont pas une sorte de « jeu télévisé » national — mais ont en fait des enjeux très sérieux. Pour l’instant, les substantielles relations politiques américaines avec la Russie sont en « grandes vacances ».

La question la plus importante est de savoir si l’État profond américain n’est pas allé trop loin. D’abord, nous avons les sanctions de la loi, et puis l’information selon laquelle le conseiller spécial Robert Mueller, dans le cadre de son enquête sur la campagne de Trump et les possibles négociations avec le Kremlin, utilise un Grand Jury pour ordonner des citations à comparaître. Même si la convocation d’un Grand Jury ne veut pas nécessairement dire qu’une mise en examen est imminente, c’est un outil pour obliger des témoins à témoigner et obliger des gens à livrer des documents sensibles qui pourraient aider les enquêteurs dans leurs investigations.

C’est le signe d’une approche encore plus agressive pour collecter des preuves de l’existence d’un « Russie-gate » — une recherche qui va maintenant inclure toutes les affaires financières de la famille Trump. Aller trop loin ? (Pour l’instant, il n’y a aucune preuve de méfait.)

Comme indiqué auparavant, la base républicaine de Trump (au contraire du soutien de l’establishment républicain) ne s’érode pas, mais devient plutôt irritée et rancunière. Plus les médias mainstream et les élites de la côte Est attaquent les déplorables informations et les sites internet « alternatifs », plus le mouvement de recul est important, semble-t-il. Les divisions en Amérique sont trop aigries maintenant, pour que l’Amérique puisse revenir en arrière et que tout recommence comme si Obama venait de quitter son bureau, comme si l’élection de Trump n’était jamais arrivée.

 

Une incohérence stratégique

Alors que la politique étrangère américaine vis-à-vis de la Russie est tétanisée pour l’instant, le dysfonctionnement de la politique va beaucoup plus loin que la Russie (et ce n’est pas à mettre sur le compte de l’État profond). La politique au Moyen-Orient est tout simplement stratégiquement incohérente.

Le Président Trump participe aux cérémonies de réception avec Mahmoud Abbas, le Président de l’Autorité palestinienne, le 23 mai 2017 à Bethléem. (Photo officielle de la Maison-Blanche par Shealah Craighead)

Mardi dernier, le président Trump, au côté du Premier ministre libanais Saad Hariri, ne tarissait pas d’éloges sur le Liban : « Le Liban est en première ligne dans le combat contre I’EI, al-Qaïda et le Hezbollah », a déclaré Trump. Hariri dut — délicatement — corriger le Président : le Hezbollah est un membre de sa coalition gouvernementale, c’est un membre de son gouvernement, et il est son allié au Parlement. En réalité, le Liban combat I’EI et al-Qaïda en Syrie, précisément via le Hezbollah.

Mais cet incident trivial ne devrait pas être effacé comme une erreur de distraction du Président : c’est davantage symptomatique du niveau de dysfonctionnement de la Maison-Blanche en ce qui concerne le Moyen-Orient. Il semble qu’il n’y a pas de pilote dans l’avion — juste de l’ignorance et des préjugés sans aucun souci d’essayer de comprendre les complexités du Moyen-Orient.

Joe Scarborough résume bien cette situation dans un article où — tout en vantant les qualités personnelles de la famille Trump, il met en garde contre « l’arrogance têtue qui pollue souvent le vainqueur des élections présidentielles ». La victoire de Trump a amené son gendre à croire « qu’il pouvait réinventer un gouvernement comme Al Gore, gérer la Maison-Blanche comme James Baker, et restructurer le Moyen-Orient comme Moïse. La confiance de Kushner semble avoir atteint son point culminant », poursuit Scarborough, « à chaque fois que le sujet tourne autour de la paix au Moyen-Orient. Sa conviction bizarre que le monde a de nouveau commencé le jour de l’élection de Trump est encore clairement apparue cette semaine à l’occasion de la fuite d’une bande audio où l’on entend Kushner dire à des stagiaires de la Maison-Blanche : ’’Nous ne voulons pas de leçon d’histoire. Nous avons lu suffisamment de livres’’. »

Eh bien, peut-être a-t-il besoin de lire quelques livres sur l’Iran, avant de décider de mettre l’Iran en défaut sur le JCPOA (l’accord qui encadre étroitement le programme nucléaire iranien). Il n’a pas besoin d’aimer l’Iran, mais simplement de comprendre que c’est une puissance régionale majeure (avec de véritables « bataillons » sous ses ordres) et qui, contrairement à la plupart des intervenants au Moyen-Orient, est capable d’agir avec intelligence, efficacité et énergie si nécessaire.

 

Une mauvaise gestion de crise

L’impression d’une absence de connaissance stratégique à la Maison-Blanche n’est pas réservée aux adversaires de Trump. L’Iran voit l’accusation des États-Unis de « violation du JCPOA par l’Iran » simplement comme une occasion de sceller dans le ciment sa rapide alliance croissante avec la Russie et la Chine — mais la plainte a aussi trouvé un écho (inattendu) en Israël — par exemple de la part d’un des journalistes les mieux informés en Israël, Ben Caspit :

Le Président Trump et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou lors de la conférence de presse conjointe le 15 février 2017. (Capture d’écran du site Wihtehouse.org)

« L’histoire qui illustre le mieux la situation s’est passée la semaine dernière quand la crise du Mont du temple a menacé de mettre le feu le Moyen-Orient tout entier dans un embrasement global commençant à la mosquée Al-Aqsa. Tout au long de la crise, l’administration américaine avait tout simplement déserté. Bien qu’ils aient tenté de s’accaparer le crédit d’une profonde implication dans les efforts pour trouver une solution, la vérité est que les Américains n’ont pas été des acteurs importants durant les moments les plus durs de la crise, quand on pouvait craindre que le Moyen-Orient tout entier allaient plonger dans une nouvelle spirale de violence.

« Le Président Trump n’a pas été lui-même impliqué dans les événements quand ils se sont déroulés. Son envoyé spécial, Jason Greenblatt, a perdu sa crédibilité en tant que ’’médiateur impartial’’ dans les tout premiers jours de la crise. Une source palestinienne compétente a déclaré à Al-Monitor sous couvert d’anonymat que ’’Greenblatt a choisi son camps et a représenté Netanyahou tout au long de la crise… l’attitude des Américains pendant la crise a seulement renforcé le sentiment prévalant à Ramallah au cours des dernières semaines que Greenblatt et Kushner étaient inutiles’’. »

« Ils n’ont aucune connaissance de la partie adverse » (a déclaré une autre source palestinienne à Caspit). « Ils ne comprennent pas la région, et ils ne comprennent pas de quoi il s’agit. On ne peut pas apprendre ce qui se passe ici au cours d’un séminaire de juste quelques semaines… »

« Un ministre israélien de premier plan, parlant sous couvert d’anonymat, a ajouté : ’’Les Américains ne sont pas vraiment un acteur en présence ici. Ils nous laissent faire ce que nous voulons. Ils ne donnent pas le la, et ils ne dictent pas l’agenda.’’

« Apparemment, cette liberté d’action presque complète devrait être le rêve de la droite israélienne. Mais même dans ses rangs, il y a des personnes qui commencent à exprimer leur crainte devant le déroulement des événements. ’’C’était évident au cours de la crise du Mont du Temple. Il n’y avait aucun adulte responsable dans l’assemblée’’. »

Alastair Crooke est un ancien diplomate britannique qui a été une figure majeure du renseignement britannique et de la diplomatie de l’Union Européenne. Il est le fondateur et le directeur de Conflicts Forum.

Source : Alastair Crooke, Consortium News, 06-08-2017

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.

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