L'ouragan Irma est parvenu à déjouer l’exemplaire Défense Civile cubaine contre les ouragans
Par Maria Peirano
Eldiario.es
Traduit par Jacques Boutard, Tlaxcalla
Ces vingt dernières années, très peu de Cubains sont morts dans les 19 ouragans qui ont secoué l’île. Le système cubain de coopération contre les catastrophes est total et efficace : quand l’alerte cyclonique est déclenchée, chaque Cubain.e sait quoi faire et où aller.
Irma a touché le nord de Cuba comme ouragan de catégorie 5. Photo EFE
La télévision cubaine a annoncé ce lundi qu’il y avait eu au moins dix morts suite au passage de l’ouragan Irma. Pour Cuba, ce chiffre est inhabituel. Ce n’est pas faute d’ouragans (qu’ils appellent des cyclones). La moyenne annuelle sur la façade Atlantique est de 12 tempêtes tropicales et de 6 ouragans de catégorie comprise entre 3 et 5. Bien que Cuba soit très proche de la zone de passage des cyclones, ceux-ci n’y font presque jamais de morts.
La comparaison avec les USA est frappante : l’an passé, l’ouragan Matthew a tué 44 personnes aux USA et aucune à Cuba. Même chose avec Katrina, qui a tué 1 836 habitants des USA. Depuis le début de ce siècle, Cuba a essuyé 29 cyclones tropicaux, dont 10 tempêtes tropicales et 19 ouragans dont 9 de haute intensité. Jusqu’à hier, seulement 54 personnes avaient perdu la vie, dans une île de 11 millions d’habitants.
Comment une île petite et pauvre parvient-elle à sauver plus de vies que le pays le plus puissant au monde ? Ce lundi, le président Raúl Castro louait l’esprit de résistance et de victoire du peuple cubain. La raison en est un système de coopération de masse appelée la Défense Civile cubaine, un programme national exemplaire de prévention, d’évacuation, de sauvetage et de remise en état qui implique toute la population.
Une armée de civils contre la catastrophe
Pour commencer, L’institut National de Recherches Sismologiques cubain entretient 68 stations de surveillance permanente, le système d’alerte précoce qui active le corps de la Défense Civile. Ce qui s’ensuit est un modèle extraordinaire suivant lequel la nation tout entière s’arme contre des intempéries littéralement criminelles.
« À Cuba l’ouragan est traité comme un ennemi impérialiste -nous explique le commissaire et essayiste cubain Iván de la Nuez. –On lutte contre lui militairement et Fidel Castro en personne montait au créneau sur la ligne de front. » Il y a aujourd’hui un chef de l’état-major national de la Défense Civile (le général de division Ramón Pardo Guerra), qui dirige le corps, mais la structure est principalement composée de civils. Il y a des responsables au niveau provincial, municipal et local, mais aussi dans chaque quartier, chaque pâté de maisons et chaque rue.
C'est
une armée entraînée : bien qu’elle ne soit active que pendant les crises, elle s’entraîne constamment. Chaque année depuis 1986, les citoyens cubains de tout âge prennent part à l’Exercice Météore, un programme de formation où l’on met en pratique les mesures de prévention et de maîtrise des risques, et les manœuvres de protection et d’évacuation de personnes, de biens et de ressources économiques. On teste également les dispositifs d’alerte, de communications et d’information et, de manière générale, chaque maillon de la structure au niveau de l’État.
L’exercice a lieu juste avant de la saison des ouragans. Par la même occasion on renforce les systèmes de santé et on rationalise les ressources, comme l’eau, l’énergie et l’alimentation. On organise les travaux de prévention directe, comme l’élagage des arbres qui pourraient constituer un danger lors du passage du cyclone, le nettoyage et le déblayage des grottes, la protection des récoltes, etc.
Un homme renforce une porte à l’arrivée de l’ouragan Irma. Photo Desmond Boylan @GTRES
La communauté comme refuge : coopération entre voisins, priorité aux soins
Quand l’alerte cyclonique es activée, tout le monde sait quelle est sa tâche, où il doit se réfugier et qui il doit y accompagner. Même les enfants : boucher les fissures des fenêtres, emballer la nourriture, stocker des couvertures ou aider les plus vieux à protéger leurs médicaments. Certains font la cuisine, d’autres patrouillent, d’autres encore s’occupent des malades et des personnes âgées.
Les malades, les handicapés et les vieillards sont évacués en premier, avec l’assistance et la collaboration de la communauté médicale. Les touristes sont transférés de leur hôtel ou lieu de résidence à un autre hôtel situé hors de la zone à risque. Tous les animaux sont emmenés en lieu sûr, avec de l’eau et de la nourriture en quantité suffisante. Les habitants qui disposent d’un abri souterrain accueillent leurs voisins. Personne ne peut rester abandonné et sans protection, même s’il le voulait. Pendant les crises, tous les Cubains sont une grande famille, et leur priorité est de sauver des vies, au-dessus de toute autre considération.
Les réseaux de communication diffusent des bulletins d’information sur le cyclone ainsi que les instructions du chef d’état-major. Les chefs de chaque district ont à leur disposition toutes les ressources de l’État. Une fois que le danger est passé, les tâches de remise en état comprennent l’analyse et le signalement des dégâts, le nettoyage et la reconstruction, et une redistribution des ressources en faveur des plus atteints. Les habitants les mieux lotis aident les moins chanceux.
« Chaque phénomène de ce genre constitue une leçon »
Tout a commencé par le passage fatidique de l’ouragan Flora, en 1963. Cet ouragan de catégorie 4 a frappé l’extrémité orientale de l’île avec tant de violence que plus de 1 500 personnes ont péri. C’est la catastrophe qui est à l’origine de la Défense Civile. Pour bien comprendre la façon dont le problème a été abordé, il est intéressant d’écouter l’explication qu’en a donnée Castro lui-même en 1967.
Dans ce discours « a los Compañeros y compañeras de los Comités de Defensa de la Revolución », il explique que « ces phénomènes ne se produisent pas fréquemment, mais nous devons être chaque année toujours mieux préparés pour affronter ces phénomènes naturels : sécheresses, cyclones, inondations. (…) Chacun de ces phénomènes constitue une leçon ». Ce sont des leçons de coopération entre voisins et de responsabilité civique. Leçons d’un pays pauvre qui s’unit contre une catastrophe, tout cela sans Facebook, Twitter ou Slack.
Russel Honoré lui-même, le chef du commandement spécial de la Nouvelle-Orléans en 2005, a affirmé que nous avons tous beaucoup à apprendre de Cuba. « Bien que ce soit un pays pauvre, avec des problèmes économiques de tous ordres, il font un excellent travail de prévention et de gestion des dégâts dus aux ouragans. On pourra dire que c’est parce qu’il s’agit d’un pays communiste dirigiste. Mais on doit reconnaître en même temps que les gens y investissent une somme de temps considérables à se former à la prévention des dommages aux biens et aux êtres humains.