Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Pourquoi la rupture de l’accord iranien pourrait déclencher la prochaine guerre au Moyen-Orient (The National Interest)

par Ross Harrison 3 Septembre 2017, 23:20 Iran USA Accord Crise Israël Guerre Menace Impérialisme

Tir et test d’un missile balistique dans un endroit tenu secret, Iran, le 9 mars 2016. REUTERS/Mahmood Hosseini/TIMA

 

Le JCPOA [Joint Comprehensive Plan of Action : Plan d’action globale conjoint, accord international sur le programme nucléaire de l’Iran, signé en 2015 entre l’Iran, les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité de l’Onu et l’UE, NdT] n’est pas la cause du succès de l’Iran dans la lutte d’influence régionale, et le renverser ne privera pas l’Iran de ses gains.

 

Il y a des signes troublants que l’administration de Trump brûle d’envie de se frotter à l’Iran. Bien que la Maison-Blanche ait récemment affirmé que Téhéran se conformait à l’accord nucléaire, de nouvelles sanctions et des références à peine voilées à un changement de régime devraient soulever la sérieuse inquiétude que l’administration va chercher n’importe quelle excuse pour éviter de certifier à nouveau le respect de l’accord par l’Iran au moment du prochain contrôle en octobre. En fait, le Président Donald Trump a chargé une équipe de la Maison-Blanche de trouver des raisons pour refuser la certification à la première occasion. Et dans une interview du 25 juillet avec le Wall Street Journal, Trump a préjugé du résultat d’octobre en déclarant qu’il s’attendait tout à fait à ce que l’Iran soit déclaré non coopératif.

Rompre l’accord nucléaire, apparemment pour tenir une promesse de campagne, pourrait entraîner Washington sur une pente glissante vers une confrontation militaire avec l’Iran. Le sabotage de l’accord que l’Iran a négocié, non seulement avec les États-Unis, mais aussi avec la Russie, la Chine, le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne, serait interprété par Téhéran comme un signe que Washington se prépare à une intervention militaire, et qu’il doit donc se préparer au pire. Cette voie vers la confrontation sèmerait le chaos dans un Moyen-Orient déjà instable, saperait les intérêts de la sécurité nationale des États-Unis, et mettrait potentiellement en péril la vie de citoyens américains.

Washington a de légitimes raisons de s’inquiéter du comportement de l’Iran. Téhéran a exercé son influence tout au cœur du Heartland arabe en faisant usage de sa force expéditionnaire Al-Qods [forces spéciales des Gardiens de la Révolution Islamique en Iran, NdT] et au travers de son appui à des milices comme le Hezbollah, les unités de mobilisation populaire irakiennes, les Houthis au Yémen et plus de 100 000 miliciens en Syrie. Sa partie de bras de fer avec les États-Unis en Irak a pour but d’amener Bagdad plus complètement dans l’orbite politique de Téhéran et de l’éloigner de Washington. Et il fait étalage de façon provocante de sa puissance en menant des tests de missiles et en arrêtant les Américains en visite en Iran.

Mais il est nécessaire de distinguer les faits de la fiction, particulièrement au milieu des fanfaronnades de la Maison-Blanche et du Congrès. Il est vrai que l’influence de Téhéran est en augmentation constante, particulièrement depuis que la Russie est entrée en Syrie en 2015 pour soutenir le Président Bachar el-Assad, un objectif partagé par l’Iran. Mais il est faux de penser que l’accord nucléaire est d’une manière ou d’une autre responsable du succès de l’Iran dans la lutte d’influence régionale, et que l’annuler privera l’Iran de cette capacité. Ce qui a donné à l’Iran la possibilité d’intervenir n’est pas l’accord nucléaire, mais plutôt le grand vide politique qui existe maintenant en plein milieu du monde arabe. Les guerres en Syrie et en Irak en particulier, ainsi que le conflit au Yémen, ont évidé le centre du monde arabe, créant une faille de sécurité béante qui a attiré l’Iran, mais aussi l’Arabie saoudite et la Turquie dans une sorte de piège conflictuel dans lequel il est plus facile d’entrer que de sortir.

 

L’Iran a attisé ces conflits et les efforts de Washington pour contrebalancer le pouvoir régional de Téhéran sont sensés. Mais il est important de comprendre que la vraie menace contre les intérêts de la sécurité nationale des États-Unis n’est pas l’Iran en soi, mais plutôt le vide créé par les guerres civiles qui permet à Téhéran et à d’autres puissances régionales d’intervenir. C’est l’effondrement de l’ordre régional, avec tous les risques sécuritaires que cela induit, qui est la menace réelle contre les intérêts américains. Par exemple, la guerre civile en Syrie a engendré une nouvelle branche d’al-Qaïda, Hayat Tahrir al-Cham, qui pourrait finalement prendre racine ailleurs dans la région. Les conflits en Syrie, en Irak, au Yémen et en Libye rendent irréalisables les promesses de campagne de Trump d’éradiquer définitivement l’EI. Plus longtemps les guerres continuent, plus le risque est grand que des pays déjà affaiblis comme la Jordanie et le Liban s’enfoncent dans la guerre civile, et plus grande devient la menace d’instabilité pour l’Arabie saoudite. Et de plus, les guerres en cours donnent à la Russie l’occasion de renforcer sa position en tant qu’acteur indispensable au Moyen-Orient, un scénario loin d’être idéal à la fois pour la région et pour les États-Unis.

Ce sont les effets corrosifs des guerres civiles qui représentent la réelle menace pour les intérêts américains. Cela devrait être ce défi primordial, et non une attention exclusive à l’Iran, qui propulserait le rôle de Washington dans la région.

Se retirer de l’accord sur le nucléaire risque d’attiser encore plus ces guerres civiles qui représentent le réel danger pour les intérêts des États-Unis au Moyen-Orient. Voici comment les événements pourraient se dérouler et la situation régionale se détériorer si Washington rompait l’accord nucléaire. Téhéran interprétera toute tentative de saper l’accord comme un coup de semonce contre un changement de régime, et il utilisera tous les moyens à sa disposition, y compris ses atouts en Syrie, en Irak, au Liban et au Yémen pour renforcer ses capacités de dissuasion et de représailles. Sous la menace, l’Iran pourrait attiser l’agitation des chiites au Bahreïn et en Arabie saoudite, accroître son soutien aux Houthis du Yémen, mettre le Hezbollah en alerte sur la frontière du Liban avec Israël, et semer plus de désordre en Syrie et en Irak. Comme ces actions n’auraient pas lieu en Iran, mais dans les zones les plus instables du Moyen-Orient, elles conduiraient probablement à une escalade supplémentaire des guerres civiles et à un plus grand déséquilibre dans la région. Elles pourraient également représenter une provocation suffisante pour pousser l’administration de Trump à agir militairement et à tomber dans le piège du conflit.

Ceux qui préconisent la rupture de l’accord nucléaire pourraient arguer que les États-Unis ont la capacité de parer à toute éventualité négative qui pourrait se présenter en utilisant leur puissance militaire supérieure. Certes, les États-Unis pourraient atténuer certains effets des agissements de l’Iran en infligeant des dégâts considérables aux infrastructures militaires du pays. Mais neutraliser les capacités de représailles et de dissuasion que Téhéran a à sa disposition dans les zones de guerre civile de la Syrie, de l’Irak et du Yémen — et du Liban — ne sera pas si facile. L’Iran pallie ses manques en puissance militaire conventionnelle par ses capacités asymétriques. Téhéran dispose de milices implantées en plein milieu des parties les plus vulnérables du monde arabe, comme protection partielle des menaces américaines et israéliennes. Pour neutraliser ces capacités, les états-Unis ou Israël devraient affronter l’Iran directement sur le terrain en Syrie, une aventure périlleuse étant donné que la Russie opère dans le même espace et soutient l’Iran. Il faudrait aussi probablement se battre au Liban voisin, ce qui pourrait précipiter ce pays dans la guerre civile.

Pire encore pour les états-Unis, dans un scénario où l’accord nucléaire est rompu, la communauté internationale donnerait probablement raison à l’Iran et ferait peser le blâme sur Washington. Ce serait notamment le cas si l’Iran continue à appliquer les termes de l’accord nucléaire malgré le refus américain, faisant de Washington le paria. En fait, se retirer de l’accord nucléaire pourrait cimenter davantage la relation entre l’Iran et la Russie, transformant des liens aujourd’hui fondés sur une convergence tactique d’intérêts en Syrie en quelque chose de plus durable et plus stratégique. Et cela renforcerait certainement la position de la Russie dans le monde, lui donnant une plus grande capacité de contester la domination étasunienne sur la scène internationale.

 

Mais le plus grand risque à long terme que poserait le sabotage de l’accord sur le nucléaire pour la sécurité des états-Unis et des pays du Moyen-Orient serait la perte d’opportunités. L’Iran, avec l’Arabie saoudite et la Turquie, doit être partie intégrante de toute solution visant à mettre fin aux guerres civiles qui menacent la sécurité, les actions antiterroristes et les intérêts énergétiques des états-Unis. La coopération entre les trois principales puissances régionales sera nécessaire pour mettre fin aux guerres et empêcher l’État Islamique de se changer en un nouveau type de menace après la fin des campagnes pour libérer Mossoul et Raqqa. Saper l’accord du nucléaire pourrait inciter l’Iran à être moins coopératif qu’il ne l’est aujourd’hui, et renforcerait les partisans d’une ligne dure dans le gouvernement iranien, lesquels sont enclins à considérer toute coopération avec les États-Unis comme une profanation des principes de la révolution iranienne.

 

Que devraient donc faire les États-Unis? L’utilisation de la menace de la force pour dissuader l’Iran de créer des problèmes régionaux pourrait avoir du sens si cela faisait partie d’une stratégie plus globale qui comprenait aussi la diplomatie. Mais la rupture de l’accord nucléaire gâcherait l’occasion d’essayer les moyens diplomatiques, cela donnerait à l’Iran davantage d’encouragements à jouer le rôle de saboteur dans une région déjà déstabilisée, cela éliminerait la possibilité d’une coopération dans la guerre contre l’État Islamique, et cela serait sûrement interprété par l’Iran comme un acte de guerre. C’est seulement en conjuguant pression et diplomatie, ce qui suppose de maintenir l’accord nucléaire, que Washington peut affirmer le succès de sa politique en Iran et empêcher une crise dans une région si cruciale pour les États-Unis et la sécurité mondiale.

Ross Harrisson est enseignant à l’École des Affaires étrangères à l’université de Georgetown, est chercheur à l’institut du Moyen-Orient et est aussi enseignant dans le département de sciences politiques à l’université de Pittsburgh, où il enseigne la politique du Moyen-Orient. Harrison est l’auteur de « La pensée stratégique en trois dimensions : un guide pour la sécurité nationale, la politique étrangère et les professionnels des affaires » (Potomac Books, 2013) et a coédité avec Paul Salem « Du chaos à la coopération; vers un ordre régional au Moyen-Orient » (Middle East Institute, 2017).

Source : The National Interest, Ross Harrison, 01-08-2017

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.

(c) TIMA

(c) TIMA

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Haut de page