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40eme anniversaire du massacre de l'Université Thammasat (Libérez Somyot)

par Liberez-somyot 6 Octobre 2017, 21:45 Bangkok Massacre Thammasat Thaïlande

40eme anniversaire du massacre de l'Université Thammasat (Libérez Somyot)

Dans l'œil du cyclone. Une interview de Neal Ulevich par Kong Rithdee du Bangkok Post

Lien: http://www.bangkokpost.com/lifestyle/art/1098817/in-the-eye-of-the-storm

Exactement quatre décennies après sa photographie emblématique du massacre de l'Université Thammasat le 6 octobre 1976, Neal Ulevich réfléchit sur les circonstances de l'histoire capturées à travers l'objectif.

La photographie est brutale parce que la réalité est brutale.

Tandis que les souvenirs se fanent et que la vérité demeure dans l'ombre, une photo en particulier a aidé à élargir la réflexion et à témoigner de l'horreur pure. Beaucoup de photographies ont été prises lors de la matinée du 6 octobre 1976, lorsque la police et les milices d'extrême droite assiégèrent et attaquèrent les étudiants à l'Université Thammasat, tuant et brutalisant de nombreux d'entre eux dans ce qui fut l'une des pires effusions de sang de l'histoire moderne de la Thaïlande. Mais il est une photo prise par le photographe de l'AP Neal Ulevich qui encapsule la brutalité insensée, et la folie, de ce matin il y a 40 ans: un cadavre mutilé pendu à un arbre à Sanam Luang tandis qu'un homme est sur le point de frapper le corps sans vie avec une chaise pliante. Sur la photographie, ce qui est encore plus effrayant pour certains, on voit également un garçon parmi les spectateurs en train de rire.

 

La photo d'un milicien d'extrême droite frappant un étudiant pendu avec une chaise prise par Neal Ulevich devant l'Université Thammasat le 6 octobre 1976

La photo d'un milicien d'extrême droite frappant un étudiant pendu avec une chaise prise par Neal Ulevich devant l'Université Thammasat le 6 octobre 1976

L'importance de la photo d'Ulevich comme témoignage historique est immense et l'est devenu encore plus au cours des décennies tandis que la société traversait d'autres affrontements idéologiques, laissant plus de cadavres dans les rues. Aujourd'hui, la photographie de la "chaise" est invariablement utilisé pour illustrer le pire résultat d'un conflit qui devient hors de contrôle après des mois d'intense propagande nationaliste destinée à pousser à la peur et à la haine des ennemis politiques (en 1976, c'étaient les communistes.) La puissance surnaturelle de l'image a également évolué au cours des 40 dernières années: elle a été utilisé comme couverture d'album par un groupe de rock américain (Ulevich n'était pas au courant jusqu'à ce qu'il l'ait vu); elle a inspiré plusieurs productions et des films du cinéma thaïlandais; et a été utilisée dans d'innombrables memes internet satiriques. Le mot kao-ee, ou "chaise" - se référant à la chaise dans la photo - a également acquis une connotation familière dans certains milieux en Thaïlande afin de signifier une menace contre ceux qui ont des pensées anti-establishment.

Ulevich, maintenant âgé de 70 ans, a remporté un prix Pulitzer pour les photographies qu'il a fait. Après avoir travaillé à Bangkok, Pékin et Tokyo, il est retourné aux États-Unis en 1990. Pour l'un de nos articles commémorant le 40eme anniversaire des atrocités du 6 octobre, nous l'avons contacté par e-mail - qu'il préférait à Skype - et lui avons posé des questions sur les événements de ce jour-là. Voici une version révisée de la conversation:

Bangkok Post: À quelle heure êtes-vous arrivé à Thammasat le 6 octobre? Les choses avaient été tendues, en particulier le 5 octobre. Dans les jours qui ont précédé le 6 octobre, avez-vous ressenti à tout moment que les choses pourraient devenir violentes?

Neal Ulevich: Si je me souviens bien - gardez à l'esprit que cela s'est passé il y a quatre décennies - je suis arrivé à environ 7 heures 30 ou 8 heures. Je ne savais pas que cela chauffait depuis déjà de nombreuses heures. Un journaliste thaïlandais de l'AP était sur les lieux et est retourné au bureau assez tôt pour écrire une histoire. Il a appelé le chef du bureau, Denis Gray, pour l'informer de l'évolution.

Denis lui a demandé s'il avait des photographes sur place. La réponse était non. À ce moment le journaliste thaïlandais m'a appelé pour me dire qu'il y avait des problèmes sur le campus - mais n'a pas pris la peine de me dire que cela durait déjà depuis de nombreuses heures. Le photographe thaïlandais de l'AP, Mangkorn Khamreongwong, était également sur les lieux, ayant été prévenu par des amis thaïlandais qu'il y avait des problèmes sur le campus.

À 7 heures 30 tous les deux étaient retournés au bureau, l'un pour écrire et l'autre pour développer son film.

Une fois au courant des troubles, j'ai rassemblé mon équipement et pris un taxi pour le campus. Le manque de communication entre nous a fait que je suis arrivé juste avant que la situation atteigne son paroxysme. J'étais le seul membre du personnel de l'AP sur place. J'étais également conscient des délais, mais la situation était si grave, et potentiellement si meurtrière, que je sentais que ma présence était indispensable et que les délais aillent se faire voir.

Mon collègue respecté de l'UPI, un Thaïlandais, a été blessé par balle au cou dans les minutes qui ont suivis son arrivée. Il a survécu.

 

 

Bangkok Post: Vous souvenez-vous quand cela vous a-t-il frappé que les choses allaient être vraiment horribles?

 

Neal Ulevich: Immédiatement.

Bangkok Post: En tant que photographe, comment avez-vous pu vous positionner physiquement par rapport à l'événement qui se déroulait? Avez-vous eu le temps de choisir consciemment l'endroit où vous pourriez obtenir de bonnes photos?

Neal Ulevich: J'étais du côté du terrain de football ou se trouvaient la police et les paramilitaires. Puisque tous les tirs partaient de là en direction du bâtiment dans lequel les étudiants s'étaient abrités, tout autre lieu semblait ridiculement dangereux. À un moment donné, quand les choses se sont calmées, je me suis déplacé sur le terrain. Mais la fusillade a recommencée et je me suis allongé par terre. À ce moment-là, j'étais sûr que j'allais être abattu. Mais les tirs se sont à nouveau calmés.

Bangkok Post: La police a-t-elle essayé de vous empêcher de prendre des photos?

Neal Ulevich: Non pas du tout. La situation était tout à fait chaotique.

Bangkok Post: Pourriez-vous décrire le moment juste avant que vous ayez pris la photo de la "chaise pliante"? Etiez-vous arrivé sur place après que la foule ait pendu le cadavre de l'arbre ou l'avez-vous vu en train de le faire?

Neal Ulevich: Les étudiants s'étaient rendus - quelques-uns ont pu fuir. Les paramilitaires les firent se coucher sur le sol. À ce moment-là, j'ai décidé que c'était presque terminée et donc de partir avant que quelqu'un me demande mon film. Je me suis déplacé à la porte du campus. Je pouvais voir l'agitation là. Je traçais mon chemin à travers elle et j'ai pris quelques photos au passage - dont l'une de deux policiers escortant un étudiant hors du campus alors qu'il recevait un coup de poing au visage donné par un militant d'extrême droite. Puis je vis la foule grouiller autour de deux arbres à Sanam Luang. Parmi ceux qui se trouvaient dans le chaos à la porte se trouvait un touriste allemand âgé avec une caméra 8mm, qui venait apparemment de l'Hôtel Royal à Sanam Luang. Je lui criais de s'en aller avant qu'il ne soit tué. Il semblait passer un bon moment et m'a ignoré.

Au premier des arbres, j'ai vu l'étudiant pendu que l'on frappait avec la chaise. Je suis resté un moment pour voir si quelqu'un me regardait. Puis j'ai pris quelques photos et me suis dirigea vers l'autre arbre, où un autre étudiant avait été pendu. Je pris la-aussi quelques photos. Après cela, j'ai décidé de rentrer à l'hôtel et j'ai hélé un taxi. Les deux étudiants pendus étaient morts au moment où je les ai vus.

Bangkok Post: La foule vous a vu avec l’appareil photo; les gens n'ont-ils pas réagis à votre présence?

Neal Ulevich: La foule m'a ignoré.

Bangkok Post: Donc, vous n'avez pas pris beaucoup de clichés de cette scène particulière? Y en a-t-il d'autres qui n'ont pas été rendus publics?

Neal Ulevich: [J'en ai pris] quelques-unes. Je n'appuie pas sur le déclencheur par chance. Je savais que la photo allait être légèrement sous-exposée. Je pourrais gérer cela dans la chambre noire. La photo que j'ai choisie était la meilleure des images similaires sans qu'il n'y ait rien de sensiblement différent.

Bangkok Post: Les points majeurs étaient le battement du cadavre, mais aussi le garçon souriant dans la foule. Avez-vous vu cela lorsque vous avez pris la photo, ou plus tard? Vous souvenez-vous de la réaction d'autres personnes se pressant autour de l'arbre?

Neal Ulevich: Comme vous le notez, quelques-uns souriaient. Je voyais cela et l'attribuais soit à la frénésie du lynchage, ou une réponse au fait d'être témoin de quelque chose de vraiment mauvais et désordonné, ou peut-être les deux.

Les aspects rituels ou festifs du massacre ne peuvent pas être ignorés. Je pense que les partisans de l'extrême droite, qui était en train de gagner, devaient se sentir invulnérable.

Bangkok Post: Les journaux thaïlandais n'ont pas publiés votre photo, même lorsque vous avez gagné le Pulitzer. Ce n'est que beaucoup plus tard que les rapports sur le massacre - et vos photos - ont été distribués plus librement. Comment la censure fonctionnait-elle ce jour-là?

Neal Ulevich: Je suis retourné au bureau de l'AP, espérant désespérément d'avoir accès à la technologie de la chambre noire pour développer le film et obtenir la première impression des tirages aux PTT [Postes, télégraphes et téléphones, ou le bureau de poste central] pour la transmission radio photo. J'étais sûr que toutes les communications internationales seraient fermées ou censurés dans quelques heures. A cette époque, nous ne pouvions pas envoyer des images à partir du bureau. Les photos devaient être imprimées, sous-titrées d'une légende et déposées comme un télégramme de PTT.

Au bureau, je donnai à Denis Gray un court exposé de ce que je l'avais vu. Il a été étonné et a commencé à me poser des questions. Je lui ai dit de se tenir à distance jusqu'à ce que ma pellicule soit développée et imprimée. Il a pu voir toutes les photos à ce moment; elles exprimaient plus fort que les mots ce qui s'était passé, comme le font souvent les photos.

Apres avoir terminé de développer la pellicule, j'ai choisi la photo de la chaise et une autre, les ait sous-titrés d'une légende et les ait envoyés par messager aux PTT, dans l'espoir d'être plus rapide que toute fermeture des communications. Ensuite, je suis retourné développer mes autres photos et quelques-unes prises par Mangkorn plus tôt dans la journée.

Quand le messager est revenu, je lui ai demandé si les employés des PTT avaient dit quoi que ce soit suggérant une censure. Il a dit que non, ils avaient juste commentés ces photos étonnantes.

Ce jour-là, nous avons envoyé - je me souviens bien - environ 17 photos, 12 des miennes et le reste des photographes thaïlandais de l'AP. Les autres comprenaient des clichés de corps brûlés. Toutes les photos sont passées avant que le commutateur des communications ne soit mis hors tension. Pour mettre les choses en perspective, envoyer 17 photos dans la même journée était très rare à cette époque, pour des raisons d'effort et de coût. Mais il s'agissait clairement d'un évènement qui méritait d'avoir toutes les ressources à disposition pour être raconté.

Nous avons envoyé ces clichés au bureau de l'AP à Tokyo, où ils ont été automatiquement transmis aux bureaux de New York et de Londres.

Dans la soirée, nous avons appris que la police avait perquisitionné les journaux thaïlandais saisissant les films des événements. Mais les agences étrangères n'ont pas été visitées.

Bangkok Post: Vous aviez couvert Saigon avant Bangkok. La comparaison n'a peut-être pas de sens, puisque le contexte est différent. Mais aviez-vous déjà quelque chose de semblable à ce que vous avez vu le 6 octobre?

J'avais vu de violentes émeutes ailleurs, et bien sûr la considérable bataille en Indochine. Mais cet événement a été marqué par une surabondance de tir sauvage, c'était plus fou que tout ce que j'avais vu auparavant.

Bangkok Post: La photo a inspiré des jeux, des scènes dans les films et récemment des memes internet. Elle a également été utilisée comme couverture d'un album du groupe punk Dead Kennedys. Êtes-vous surpris que la photo continue à vivre et soit interprétée de différentes manières?

Neal Ulevich: Je suis loin de la Thaïlande, mais je suis au courant de de l'impact continu des images, mais pas de tout ce que vous mentionnez. Quelques années plus tard, j'étais à Sydney pour former des journalistes dans l'utilisation des images d'archives de l'AP. Alors que je m'arrêtais au McDonald j'ai vu un adolescent avec le T-shirt des Dead Kennedys [avec l'image de la chaise]. J'étais émerveillé. Je ne l'avais pas vu ça avant. Je lui ai demandé où il l'avait obtenu. Au début, je pense qu'il m'a simplement vu comme un autre adulte posant devant un adolescent. Il m'a montré un magasin de musique dans la rue.

La photo de la "chaise" en couverture d'un album des Dead Kennedys intitulé "Holiday in Cambodia"

La photo de la "chaise" en couverture d'un album des Dead Kennedys intitulé "Holiday in Cambodia"

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