Mikhaïl Gorbatchev : Mon plaidoyer aux présidents de la Russie et des États-Unis
Article originel : Mikhail Gorbachev: My Plea to the Presidents of Russia and the United States
Par Mikhaïl Gorbatchev*
Washington Post, 12.10.17
Traduction SLT, 13.10.17
En décembre prochain, nous célébrerons le 30e anniversaire de la signature du traité entre l'Union soviétique et les États-Unis sur l'élimination des missiles à portée intermédiaire et à plus courte portée. C'est le début du processus de réduction radicale des arsenaux nucléaires, qui s'est poursuivi avec les traités de 1991 et 2010 sur la réduction des armements stratégiques et les accords de réduction des armes nucléaires tactiques.
L'ampleur du processus lancé en 1987 est attestée par le fait que, comme la Russie et les États-Unis l'ont indiqué à la Conférence d'examen du Traité de non-prolifération en 2015, 80 % des armes nucléaires accumulées pendant la guerre froide ont été déclassées et détruites. Un autre fait important est que, malgré la détérioration récente et grave des relations bilatérales, les deux parties se sont conformées aux accords sur les armes stratégiques.
Le Traité sur les forces nucléaires de portée intermédiaire (FNI) est toutefois aujourd'hui menacé. Il s'est avéré être le maillon le plus vulnérable du système de limitation et de réduction des armes de destruction massive. Des appels ont été lancés de part et d'autre pour que l'accord soit abandonné.
Que se passe-t-il, quel est le problème et que faut-il faire?
Les deux parties ont soulevé des questions de respect des obligations, accusant l'autre de violer ou de contourner les principales dispositions du traité. Il est difficile d'évaluer ces accusations, faute d'informations plus complètes. Mais une chose est claire : le problème a un aspect politique et un aspect technique. C'est aux dirigeants politiques d'agir.
C'est pourquoi je lance un appel aux présidents de la Russie et des États-Unis.
Les relations entre les deux pays traversent une grave crise. Il faut trouver une issue, et il existe un moyen éprouvé pour y parvenir: un dialogue fondé sur le respect mutuel.
Il ne sera pas facile de surmonter les problèmes des deux côtés. Mais notre dialogue n'a pas non plus été facile il y a trois décennies. Il avait ses critiques et ses détracteurs, qui essayaient de le faire dérailler.
En dernière analyse, c'est la volonté politique des dirigeants des deux nations qui s'est avérée décisive. Et c'est ce dont nous avons besoin maintenant. C'est ce que les citoyens et les citoyens de nos deux pays attendent des présidents de la Russie et des États-Unis.
J'invite la Russie et les États-Unis à préparer et à tenir un sommet à grande échelle sur l'ensemble des questions. Il est loin d'être normal que les présidents des grandes puissances nucléaires se réunissent simplement "en marge" des rassemblements internationaux. J'espère que le processus de préparation d'un véritable sommet est déjà en cours.
Je pense que la réunion au sommet devrait se concentrer sur les problèmes de la réduction des armes nucléaires et du renforcement de la stabilité stratégique. Car si le système de maîtrise des armements nucléaires devait s'effondrer, comme cela pourrait fort bien se produire si le Traité sur les FNI était abandonné, les conséquences, directes et indirectes, seraient désastreuses.
Plus les armes nucléaires sont déployées près des frontières, plus elles sont dangereuses: il y a moins de temps pour prendre une décision et plus le risque d'erreur catastrophique est grand. Et qu'adviendra-t-il du Traité de non-prolifération nucléaire si la course aux armements nucléaires recommence ? Je crains qu'il ne soit détruit.
Si, toutefois, le Traité sur les FNI est sauvé, il enverra un signal fort au monde entier que les deux plus grandes puissances nucléaires sont conscientes de leur responsabilité et prennent leurs obligations au sérieux. Tout le monde va soupirer de soulagement, et les relations entre la Russie et les États-Unis vont enfin redémarrer.
Je suis convaincu que la préparation d'une déclaration présidentielle commune sur l'engagement des deux pays envers le Traité sur les FNI est un objectif réaliste. Simultanément, les questions techniques pourraient être résolues; à cette fin, la commission de contrôle conjointe prévue par le Traité sur les FNI pourrait reprendre ses travaux. Je suis convaincu que, sous l'impulsion des deux présidents, les généraux et les diplomates parviendraient à un accord.
Nous vivons dans un monde troublé. Il est particulièrement troublant de constater que les relations entre les grandes puissances nucléaires, la Russie et les États-Unis, sont devenues une source sérieuse de tensions et un otage de la politique intérieure. Il est temps de retrouver la raison. Je suis sûr que même les opposants invétérés à la normalisation des relations étatsuno-russes n'oseront pas s'opposer aux deux présidents. Ces critiques n'ont pas d'arguments de leur côté, car le fait même que le Traité sur les FNI soit en vigueur depuis 30 ans prouve qu'il sert les intérêts sécuritaires de nos deux pays et du monde.
Dans toute entreprise, il est important de faire le premier pas. En 1987, la première étape du processus difficile mais d'une importance vitale de débarrasser le monde des armes nucléaires a été le Traité sur les FNI. Aujourd'hui, nous sommes confrontés à un double défi: empêcher l'effondrement du système des accords nucléaires et renverser la spirale ascendante de tension dans les relations étatsuno-russes. Il est temps de faire le premier pas.
* Mikhaïl Gorbatchev a dirigé l'Union soviétique de 1985 à 1991.