Pourquoi les médias étatsuniens ne disent-ils pas la vérité sur ce qui se passe au Venezuela ?
Article originel : Why Won't American Media Tell the Truth About What's Happening in Venezuela?
Par Justin Podur
Alternet, 7 septembre 2017
Traduction SLT, 1.10.17
Une opposition parrainée par Washington et axée sur un changement de régime menace une démocratie fragile.
Plus tôt ce mois-ci, Donald Trump s'est présenté devant les Nations Unies et a appelé à la restauration des "libertés politiques" d'une nation sud-américaine en pleine crise économique. Le pays en question était le Venezuela, mais il aurait tout aussi bien pu décrire l'Argentine, dont le gouvernement de droite a emprisonné Milagro Sala, un politicien indigène, a fait grimper l'inflation à deux chiffres et est en train de réimposer le genre de politiques d'austérité qui ont déclenché une révolte populaire et un défaut de paiement de la dette en 2001.
La description correspond également au Brésil, où le président Michel Temer a été filmé sur une bande vidéo en train de discuter de pots-de-vin tandis que l'appartement de son ancien membre du cabinet, de 51 millions de reais (16 millions de dollars), a récemment fait l'objet d'une perquisition. Temer, qui n'a pris ses fonctions qu'après avoir dirigé la destitution de son prédécesseur, Dilma Rousseff, a également mené un programme d'austérité agressif, détruisant les programmes qui ont permis à des dizaines de millions de Brésiliens de sortir de la pauvreté et de rejoindre la classe moyenne.
Dans les deux pays, les forces de droite ont pris le pouvoir et sapé les normes démocratiques fragiles dans le but d'inverser la modeste redistribution des richesses obtenue sous les administrations de gauche au cours des 15 dernières années. Soutenue par un gouvernement étatsunien qui a une longue histoire de renversement des mouvements de gauche dans la région, et des médias grand public acquis à sa cause, la droite tente aujourd'hui le même exploit au Venezuela.
Comment l'opposition combat un gouvernement populaire
Contrairement au Brésil et à l'Argentine, le Venezuela a été victime d'un certain nombre de facteurs indépendants de sa volonté, mais surtout d'une chute brutale du prix du pétrole, principale source de revenus du pays.
La baisse des prix du pétrole de 2015 a été un phénomène mondial. Depuis la création de l'OPEP dans les années 1970, le Royaume saoudien a pu utiliser ses immenses réserves pour saper les tentatives d'autres pays producteurs de pétrole de maintenir un prix élevé et stable pour le pétrole. Même si tous ces pays devaient s'allier, le Royaume saoudien peut ouvrir ou fermer le robinet et changer l'économie mondiale tout entière au profit de son propre programme géopolitique et de celui de son patron étatsunien. Il l'a fait à la fin des années 1970 pour compenser la baisse de production en Iran après la révolution de 1979. Et il l'a fait à nouveau en 2015, en partie en réponse au succès de l'accord nucléaire entre l'Iran et les États-Unis. Ce n'est pas un mécanisme parfait; la chute des prix a nui à l'économie saoudienne avant que les prix ne remontent lentement. Mais les effets les plus graves ont été ressentis par les ennemis désignés des Etats-Unis: la Russie, l'Iran et le Venezuela.
Depuis 1999, le gouvernement vénézuélien a expérimenté un processus de réforme sociale et économique par des moyens constitutionnels et électoraux. Le président qui a initié l'expérience, Hugo Chavez, l'a appelée la "Révolution bolivarienne", mais pour la plupart, elle s'appelle maintenant simplement Chavismo.
Chavez a occupé le pouvoir de 1999 jusqu'à sa mort en 2013, interrompue par un coup d'État de trois jours en 2002. Au cours de sa présidence, le pays a vu un référendum sur une assemblée constitutionnelle, l'élection de cette assemblée, un référendum pour ratifier la nouvelle constitution, une nouvelle élection en vertu de cette constitution, une tentative d'utiliser une disposition de la constitution pour rappeler Chavez, et deux élections présidentielles supplémentaires, qui ont toutes été remportées par le gouvernement de Chavez. Dire que la popularité de Chavismo et celle de Chavez lui-même ont été testées devant les urnes est un euphémisme.
Quand Chavez était vivant, aucun politicien ne pouvait rivaliser avec lui pour la présidence. C'était vrai malgré sa diabolisation 24 h sur 24 dans les médias privés du pays et la couverture systématiquement négative de son gouvernement par les médias occidentaux. Comme c'est souvent le cas lorsqu'un pays va à l'encontre des États-Unis, Chavez a été présenté comme un dictateur, malgré ses nombreuses victoires électorales. Il était si populaire qu'en 2002, lorsque les chefs de l'opposition ont pris le pouvoir par la force pendant 72 heures, l'un de leurs premiers ordres a été de fermer la chaîne de télévision du gouvernement. Comme le révèle un documentaire en 2003, " The Revolution Will Not Be Televised" ("La Révolution ne sera pas télévisée"), le coup d'État a finalement été vaincu lorsque les autorités sont parvenues à communiquer à nouveau sur les ondes.
Phases de la guerre économique
Lorsque le coup d'État et les campagnes médiatiques n'ont pas réussi à faire du tort au gouvernement ou à faire taire son porte-parole, l'opposition a eu recours à la guerre économique. Cette guerre a connu plusieurs phases: une grève nationale en 2002-2003 a grandement affaibli la compagnie pétrolière publique vénézuélienne PDVSA, privant le gouvernement de sa principale source de revenus. Mais malgré leurs souffrances personnelles, les fonctionnaires subalternes de l'entreprise sont restés fidèles à Chavez (comme beaucoup d'autres cadres moyens), remplaçant les gérants et les ingénieurs en grève pour que le pétrole coule à nouveau.
Une phase plus récente, vers 2014, a vu les contrebandiers emporter d'énormes quantités de carburant, de nourriture et de produits de base subventionnés en Colombie pour les vendre ou tout simplement les jeter, privant ainsi les pauvres vénézuéliens de biens essentiels et cela afin d'exercer des pressions sur le gouvernement fédéral. L'administration de Maduro a réussi à atténuer certaines de ces pertes en contrôlant soigneusement la distribution des produits de base subventionnés.
En fin de compte, la plus grande source des malheurs économiques du Venezuela a été sa propre monnaie, le bolívar. Les marchés mondiaux peuvent faire des ravages sur les gouvernements en spéculant sur leur monnaie, et le Venezuela a tenté de se prémunir contre cela en imposant un taux de change fixe. Tout taux de change fixe invite le marché noir, mais le taux fixe au Venezuela est tellement éloigné du taux du marché noir que quiconque obtient des dollars étatsuniens est prêt à en profiter largement. Les dollars ne peuvent être obtenus légalement que par la vente de pétrole, donc les gains des négociants au noir génèrent des pertes pour le gouvernement.
Deux décennies de critiques impitoyables émanant de la droite ont créé un environnement impitoyable pour les faux pas. Et des faux pas ont été commis. A long terme, la révolution vénézuélienne n'a pas réussi à dépasser la dépendance du pays vis-à-vis de l'industrie extractive en général et du pétrole en particulier, ce qui a toujours été l'un de ses objectifs. Elle n'a pas non plus été en mesure de déloger les bureaucraties enracinées ou la corruption de l'élite, problèmes persistants auxquels tout gouvernement ou mouvement progressiste serait confronté. Plus récemment, des propositions économiques sensées comme celles de l'UNASUR ont été ignorées, ou même rejetées comme des capitulations envers le néolibéralisme, alors qu'elles auraient probablement renforcé le projet Chaviste. Sans de véritables changements dans sa politique économique, le Venezuela continuera de chanceler de crise en crise.
La politique de rejet de l'opposition et la menace d'une intervention militaire étatsunienne
Si l'opposition a réussi à saboter l'économie ces deux dernières années, elle a aussi profité de la mort de Chavez. La Table ronde sur l'unité démocratique (MUD) a peut-être perdu l'élection présidentielle face au successeur de Chavez, Nicolas Maduro, mais elle a prise l'Assemblée nationale.
A peine la MUD a-t-elle obtenu son nouveau siège au pouvoir qu'elle a immédiatement déclaré qu'elle ne travaillerait plus avec Maduro. Plutôt que d'aider à résoudre la crise économique du pays, elle l'a fêté en espérant faire enfin tomber le Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV) au pouvoir. Ses objectifs sont tout à fait négatifs : la MUD n'a pas de programme économique ou politique positif dont on peut parler. Ce parti ne veut que le changement de régime et si nécessaire par un autre coup d'État militaire ou une intervention des États-Unis, ce que certains fonctionnaires ont ouvertement réclamé.
Si l'opposition finit par s'emparer de la présidence, le meilleur scénario est que le Venezuela adopte les politiques d'austérité ruineuses de l'Argentine de Macri ou du Brésil de Temer. Le pire scénario pourrait ressembler à l'occupation d'Haïti par les États-Unis, l'industrie pétrolière du pays étant confiée aux multinationales, comme celle de l'Irak il y a plus d'une décennie.
La façon dont l'opposition pourrait régner fait l'objet de peu de spéculation. Au cours de son coup d'État de trois jours en 2002, elle a annulé la constitution et a immédiatement commencé à persécuter les Chavistes. Les anciens Vénézuéliens se souviennent des années qui ont précédé 1999, quand les politiques d'austérité ont été appliquées avec la torture, les disparitions et même les massacres comme celui de Caracazo en 1989.
Des menaces violentes ont toujours été proférées contre Chavismo, principalement par le biais d'incursions paramilitaires colombiennes. D'avril à juillet, l'opposition vénézuélienne s'est livrée à une petite insurrection urbaine contre le gouvernement. Le programme d'Abby Martin de juillet sur TeleSUR, "Empire Files", offre un avant-goût de ce à quoi ressemblerait l'assassinat des Chavistes, l'intimidation des électeurs de Chavista et la destruction des bâtiments gouvernementaux et des entrepôts (y compris ceux pour la nourriture subventionnée).
L'insurrection met le gouvernement dans une position impossible : s'il réprime ces protestations, il risque de servir de prétexte à une intervention étatsunienne ou à un autre coup d'État. Si ce n'est pas le cas, une opposition relativement petite et impopulaire pourrait imposer un régime minoritaire. Pendant ce temps, l'opposition alimente la déstabilisation en refusant les tentatives de dialogue du gouvernement (que le pape a offert d'arbitrer).
Le gouvernement vénézuélien a récemment tenté de ramener ses opposants dans le giron en réclamant une nouvelle assemblée constitutionnelle, dont les membres ont été élus en juillet 2017 et qui siège actuellement. Sa récompense ? Un autre boycott, et le rejet de tous les changements constitutionnels que l'assemblée élue rend illégitimes.
Le manuel de coup d'Etat
Ces méthodes - incursions étrangères, sabotage et manifestations violentes, conjuguées à un refus de négocier - font partie du manuel de l'opposition haïtienne dans les années qui ont précédé le renversement du gouvernement élu en 2004. Malgré les protestations antiguerre de masse de cette période, le coup d'État haïtien a rencontré étonnamment peu de résistance internationale, ce qui explique pourquoi le Venezuela se trouve dans une situation aussi précaire. Ce qui, dans les premiers temps, ressemblait à la naissance d'une nouvelle souveraineté latino-américaine, a été renversé : les coups d'État ont renversé des gouvernements au Honduras (2009), au Paraguay (2012) et sans doute au Brésil (2016).
Alors que les États-Unis intensifient leurs efforts de changement de régime à Caracas, de nombreux militants de gauche dans les médias progressistes et sociaux ont exprimé leur confusion ou leur équivoque. Leur difficulté à distinguer entre une social-démocratie en difficulté et une opposition violente d'extrême droite de rejet témoigne de la faiblesse de l'anti-impérialisme dans la politique occidentale actuelle. Les progressistes ne devraient pas avoir de telles difficultés. Chavismo est une expérience démocratique incomplète, imparfaite mais qui continue. Les alternatives exposées sont claires : terreur, occupation et austérité.