Article publié le 12 octobre par Triangle sur les liens entre Trump et Cohn ainsi que Jeffrey Epstein. Après les révélations sur Harvey Weinstein et la campagne "Balance ton porc" va-t-on en savoir plus dans les prochains jours sur d'éventuelles frasques de Trump, Cohn et Epstein ?
Lorsque vous étiez en présence de Cohn, vous saviez que vous étiez en présence du mal à l’état pur. – Victor A. Kovner, avocat, qui a connu Cohn pendant des années.
Durant la dernière campagne présidentielle américaine, Donald Trump s’est fait remarquer par des déclarations tonitruantes sur son adversaire, Hillary Clinton, promettant, s’il était élu, qu’elle « finirait en prison ».
Pourtant, le passé de Trump lui-même n’est certainement pas « blanc comme neige », comme il prétendait l’être avant une audition devant le procureur général en vue d’une demande pour la construction d’un casino à Atlantic City.
Ce passé trouble est dominé par la présence d’un homme, l’avocat Roy Cohn, devenu célèbre après avoir été le principal conseiller de Joseph McCarthy lors la chasse aux sorcières anti-communiste durant les années cinquante, et en particulier pour avoir été procureur adjoint à l’occasion du fameux procès des époux Rosenberg, puis pour avoir été l’avocat de
clients aussi divers que les magnats de l’immobilier Donald Trump et Sam Lefrak ; les cardinaux Francis Spellman et Terence Cooke, et occasionnellement l’archevêché de New York ; il a aussi représenté Carmine Galante, qui, avant son décès, était présenté par les autorités comme le « parrain des parrains » de la mafia, et Tony Salerno (dit Gros Tony), lui aussi considéré comme étant un chef mafieux. [Source]
Il est généralement admis que Roy Cohn et Donald Trump se seraient rencontrés en 1973 :
Si Fred Trump lança la carrière de son fils, en le faisant entrer dans l’entreprise familiale de location de logements de Brooklyn et du Queens destinés à la classe moyenne, M. Cohn l’envoya de l’autre côté de la rivière, à Manhattan, et le présenta à l’élite sociale et politique, tout en le défendant férocement contre une liste d’ennemis s’allongeant sans cesse. […]
Les deux hommes s’étaient rencontrés peu auparavant dans une discothèque privée, Le Club. Le courant passa immédiatement entre eux, au cours d’une conversation concernant un obstacle épineux pour M. Trump, le procès intenté par la division des droits civiques du département de la justice, qui l’accusait lui et son père de refuser de louer à des personnes noires. [Source]
Le biographe de Trump David Cay Johnson affirme pourtant dans The Making of Donald Trump que « Trump a témoigné sous serment qu’il avait rencontré Cohn trois ans auparavant ». Quoi qu’il en soit, Trump fut contraint, malgré les services de Cohn, de négocier un règlement à l’amiable avec le département de la justice, et d’assouplir sa politique de location de logements aux personnes de couleur. Malgré cet échec initial, la collaboration entre les deux hommes s’avéra fructueuse par la suite, Trump bénéficiant des liens étroits de Cohn avec le milieu du crime organisé et le monde de la politique pour bâtir un empire fondé sur la construction immobilière et les casinos, comme l’explique un autre biographe de Trump, Wayne Barrett, lors d’une interview donnée à Democracy Now! peu avant l’élection de 2016 :
Évidemment, ce type de relations et d’activités causèrent de temps à autre quelques désagréments à Roy Cohn :
En juin 1983, alors qu’il était presque mourant de ce qu’il prétendait être un cancer du foie, Roy Cohn fut radié du barreau des avocats de l’état de New York. En une décision unanime, les cinq juges composant la commission d’appel de la cour suprême de l’état déclarèrent que sa conduite dans quatre affaires judiciaires avait été « contraire à l’éthique », « peu professionnelle » et, dans un des cas, « particulièrement répréhensible ». […]
M. Cohn fut presque constamment en conflit avec le fisc, ce dernier ayant contrôlé ses déclarations d’impôts pendant vingt années consécutives, et collecté plus de 300 000 dollars en arriérés. Le fisc lui réclama plus d’un million de dollars pour la seule année 1979 […] . Au total, le fisc avait déposé contre lui, sur une période de vingt-cinq ans, des droits de rétention pour un montant de 3,8 millions de dollars. [Source]
Les activités de Roy Cohn ne se limitaient pas aux liens avec la mafia ou à la fraude fiscale. Certaines de ses pratiques pourraient d’ailleurs être considérées comme courantes pour la plupart des avocats :
L’une d’entre elles remonte à 1976, quand un tribunal de Floride rendit un arrêt concluant que M. Cohn était entré dans la chambre d’hôpital de Lewis S. Rosenstiel, le patron multimillionaire de Schenley Industries, et « n’avait pas présenté fidèlement la nature, le contenu et l’objet du document qu’il présenta à M. Rosenstiel pour qu’il y appose sa signature ». Le document, signé d’une main tremblante par le client agonisant, était une modification testamentaire qui aurait fait de M. Cohn et quelques autres les exécuteurs testamentaires de M. Rosenstiel. Le tribunal refusa d’enregistrer la modification du testament. [Ibid.]
Roy Cohn se livrait cependant à des activités bien plus ténébreuses que la « simple » falsification de testament. Dans son livre The Franklin Cover-Up, l’ancien sénateur de l’état du Nebraska John DeCamp, citant l’ouvrage Secret Agenda de Jim Hougan, explique comment la CIA pratiquait le chantage sexuel pour faire pression sur les hommes politiques américains :
D’après l’ancien agent de la CIA Frank Terpil, aujourd’hui en fuite, la CIA pratiquait de manière intensive des opérations de chantage sexuel durant la période du scandale du Watergate. Une de ces opérations était, d’après Terpil, dirigée par son ancien partenaire Ed Wilson. […] Dans une lettre envoyée à l’auteur, Terpil explique que « Historiquement, l’un des boulots de Wilson pour la CIA était de subvertir des membres des deux chambres [du Congrès] par tous les moyens nécessaires. […] Certaines personnes pouvaient aisément être contraintes d’obtempérer en leur faisant vivre leurs fantasmes sexuels. […] Un souvenir de ces occasions [était] enregistré pour la postérité par plusieurs caméras. Les techniciens en charge de l’enregistrement […] [étaient] des membres du TSD [Division des Services Techniques de la CIA]. Les stars du porno involontaires poursuivaient ensuite leurs carrières politiques, et certaines d’entre elles pourraient toujours être en poste. »
John Decamp poursuit en faisant remonter ces pratiques à Roy Cohn :
Wilson semblait ainsi poursuivre le travail […] de Roy Cohn, l’ancien conseiller du comité de McCarthy durant les années 50, aujourd’hui décédé du SIDA. D’après l’ancien chef de la police des mœurs de l’une des plus grandes villes américaine, le boulot de Cohn était de s’occuper des petits garçons [On se souviendra que Wayne Barrett qualifiait Cohn « d’oiseau de proie pour les petits garçons » dans l’interview présentée ci-dessus]. Imaginez que vous ayez un général, un amiral, un membre du Congrès, qui ne souhaitait pas faire ce qu’on lui demandait. Le boulot de Cohn était de les piéger, et ensuite ils obtempéraient. Cohn me l’a dit lui-même. »
Ceci a été confirmé par le policier James Rothstein lors d’une conversation avec l’auteur Paul Collins. Rothstein évoque dans ce cadre un autre proche de Trump, Roger Stone, qui aurait lui aussi participé à ces opérations de chantage sexuel. Ancien conseiller de Nixon, Reagan, Bush père et Bob Dole, Roger Stone fut également le conseiller de Donald Trump lors de la campagne de 2016, ainsi que lors de la tentative avortée de Trump de se présenter à l’élection de 2000. Stone fut le lobbyiste de Trump dès les années 80, comme il l’a lui-même déclaré :
J’ai fait du lobbying pour la compagnie aérienne de Trump dans les années 80, et il était en compétition avec America West Airlines pour le droit d’atterrir à LaGuardia, je suis donc allé voir [John] McCain dans son bureau du Capitole. [Source]
Un rendez-vous qui semble avoir tourné à l’aigre, et qui pourrait être le point de départ de la rivalité acharnée entre Trump et McCain.
Stone rencontra Cohn en 1979 :
Je fus invité à une fête par une mondaine du nom de Sheila Mosler, et Roy Cohn était présent. […] Roy était un démocrate, mais il était anti-communiste, et un maître des relations publiques, et il voulait m’aider avec Reagan. Il me dit donc de venir le voir dans sa maison du centre-ville. […] Roy n’était pas gay. […] C’était un homme qui aimait avoir des relations sexuelles avec des hommes. Les gays sont faibles, efféminés. Il semblait toujours avoir de jeunes garçons blonds autour de lui. Ce sujet n’était tout simplement jamais abordé. Il m’a dit que son but ultime était de mourir complètement ruiné et de devoir des millions au fisc. Il a réussi sur ce point. [Ibid.]
Stone avait lui-même des penchants sexuels qui sortaient de l’ordinaire :
The National Enquirer révéla, dans un article intitulé Un conseiller de premier plan de Dole impliqué dans un réseau de sexe de groupe, que les Stone avaient apparemment publié des annonces personnelles dans le magazine Local Swing Fever [La fièvre de l’échangisme] et sur un site internet qui avait été monté avec la carte de crédit de Nydia [l’épouse de Stone]. L’annonce du site internet disait : « Femme chaude et insatiable, et son très bel époux body-builder, échangistes expérimentés, recherchent couples similaires ou homme seul […] exceptionnellement musclé. » Les annonces recherchaient des athlètes ou des militaires, et décourageaient les hommes en surpoids ; elles contenaient également des photographies des Stone. À l’époque, Stone prétendit qu’il avait été piégé « par une personne complètement cinglée », mais il fut contraint de démissionner de la campagne de Dole. Stone m’a avoué que les annonces étaient authentiques. « Quand toute cette affaire a éclaté en 1996, la raison pour laquelle j’ai donné un démenti formel était que mes grands-parents étaient toujours en vie. […] Je ne suis pas coupable d’hypocrisie. Je suis un libertaire et un libertin. » [Ibid.]
L’arroseur arrosé, en quelque sorte. Voici ce qu’écrit Paul Collins au sujet du réseau de chantage sexuel monté par Roy Cohn et poursuivi par Roger Stone :
Lorsque le scandale de prostitution de l’Emperors Club impliquant Eliot Spitzer [gouverneur de l’état de New York, contraint de démissionner après avoir employé les services de plusieurs call-girls de l’agence Emperors Club] éclata le 10 mars 2008, la première personne que je pensai à appeler fut la légende de la police de New York, l’inspecteur James « Jim » Rothstein, aujourd’hui à la retraite. En tant que flic, Jim fit tomber des réseaux de prostitution infantile, arrêta le cambrioleur du Watergate et agent de la CIA Frank Sturgis, et témoigna devant le comité spécial sur le crime de l’état de New York.
Jim connaît tous les mécanismes des opérations de chantage sexuel, qu’il appelle « compromission humaine ». Pour Jim, le scandale entourant Spitzer était exemplaire. « C’est du déjà-vu », m’a dit Rothstein. Et pour lui, l’agent du parti républicain Roger Stone était la clef pour comprendre l’origine du discrédit jeté sur le gouverneur Spitzer.
« Intéressez-vous à ce type, Stone », m’a dit Jim lors d’un entretien téléphonique du 10 mars 2008. « Je l’ai vu dans une interview sur Spitzer il y a quelques jours, et j’ai pensé le reconnaître. J’ai consulté mes anciennes enquêtes, et je me suis souvenu qu’il faisait partie de tout ce truc avec Roy Cohn. »
Jim faisait référence à l’opération de chantage sexuel de Roy Cohn. D’après Jim, cette opération était menée « sous le prétexte de combattre le communisme ». Lorsqu’il était inspecteur de police, Rothstein eut l’occasion de rencontrer Roy Cohn, le tristement célèbre conseiller du comité de McCarthy. Cohn admit devant Rothstein qu’il faisait partie d’une opération de chantage sexuel assez élaborée qui piégeait des politiciens avec des enfants prostitués.
Roger Stone commença à travailler avec Cohn alors qu’il était le président pour la zone Nord-Ouest de la campagne de Reagan en 1980. Cohn et Stone avaient commencé à nouer une alliance un an auparavant, lorsque Cohn présenta à Stone le mafieux « Gros Tony » Salerno dans sa maison de Manhattan. D’après Matt Labash du Weekly Standard, « Stone adorait Cohn ». Stone disait de Cohn : « Il se fichait de ce que pensaient les gens, tant qu’il était dans une position de pouvoir. Il menait les chroniqueurs mondains [de New York] à la baguette. »
Roger Stone a lui-même admis qu’il était l’informateur qui a aiguillé le FBI sur l’utilisation de prostituées de l’Emperors Club par Spitzer, quatre mois avant la démission du gouverneur. Les manœuvres de Stone contre le gouverneur Spitzer débutèrent en juin 2007, lorsque l’agent du parti républicain fut engagé, pour 20 000 dollars mensuels, par le chef de file des républicains du sénat de l’état de New York, Joseph Bruno, pour qu’il les débarrasse de l’encombrant gouverneur de New York.
Voilà donc un bref aperçu sur les personnes qui ont permis l’ascension de Donald Trump jusqu’à la présidence des États-Unis. Il y aurait également beaucoup de choses à dire sur ses relations avec le milliardaire pédophile Jeffrey Epstein (Trump a déclaré : « Cela fait quinze ans que je connais Jeff. C’est un type super. […] On s’amuse bien avec lui. Il se dit même qu’il aime les belles femmes autant que moi, et certaines d’entre elles sont très jeunes »), ou sur sa nomination d’Alexander Acosta au poste de secrétaire d’état au travail , l’ancien procureur de Floride qui permit à Jeffrey Epstein de s’en sortir avec une peine de seulement 13 mois de prison pour avoir eu des relations prohibées avec des jeunes filles mineures. On pourrait aussi s’intéresser aux liens entre son gendre Jared Kushner, époux d’Ivanka et devenu le plus proche conseiller de Trump depuis son accession à la présidence, et le milliardaire « progressiste » George Soros ou la secte extrémiste juive Loubavitch.