Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

La démission de Hariri comme Premier ministre du Liban n'est pas du tout ce qu'elle semble être (The Independent)

par Robert Fisk 12 Novembre 2017, 22:16 Hariri Démission Bin Salaman Arabie Saoudite Assignation Articles de Sam La Touch

La démission de Hariri comme Premier ministre du Liban n'est pas du tout ce qu'elle semble
Article originel : Hariri’s Resignation as Prime Minister of Lebanon is Not All it Seems
Par Robert Fisk
The Independent

Traduction SLT

 

Il n'avait certainement pas anticipé ce qui allait lui arriver. En effet, M. Hariri avait prévu des réunions à Beyrouth le lundi suivant - avec le FMI, la Banque mondiale et une série de discussions sur l'amélioration de la qualité de l'eau; cela ne va pas exactement avec l'action d'un homme qui prévoit de démissionner de son poste de premier ministre.

La démission de Hariri comme Premier ministre du Liban n'est pas du tout ce qu'elle semble être (The Independent)

Lorsque le jet de Saad Hariri a atterri à Riyad dans la soirée du 3 novembre, la première chose qu'il a vue était un groupe de policiers saoudiens entourant l'avion. Lorsqu'ils sont montés à bord, ils ont confisqué son téléphone portable ainsi que ceux de ses gardes du corps. Ainsi, le premier ministre libanais a été réduit au silence.
 

Ce fut un moment dramatique en lien avec le drame de la purge qui s'est déroulée dans toute l'Arabie saoudite la semaine dernière : l'assignation à résidence de 11 princes - dont l'immensément riche Alwaleed bin Talal - et de quatre ministres et de dizaines d'autres laquais de l'ancien gouvernement, sans parler du gel de plus de 1700 comptes bancaires. La "Nuit des longs couteaux" du prince héritier Mohamed bin Salman commença en effet la nuit, quelques heures seulement après l'arrivée de Hariri à Riyad. Mais que mijote le prince héritier ?

En d'autres termes, il est en train de mettre à l'écart tous ses rivaux et - sucitant la peur libanaise - d'essayer de détruire le gouvernement à Beyrouth, d'expulser le Hezbollah chiite du gouvernement et de relancer une guerre civile au Liban. Cela ne marchera pas, car les Libanais - bien que moins riches - sont beaucoup plus intelligents que les Saoudiens. Tous les groupes politiques du pays, y compris le Hezbollah, ne demandent qu'une seule chose : Hariri doit revenir. Quant à l'Arabie Saoudite, ceux qui ont dit que la révolution arabe atteindra un jour Riyad - non pas par le biais d'une minorité chiite qui se soulèvera, mais au travers d'une guerre à l'intérieur de la famille royale sunnite wahhabite - regardent les événements de la semaine dernière avec autant de consternation que d'émerveillement.
 

Mais revenons en à Hariri. Le vendredi 3 novembre, il était en réunion de cabinet à Beyrouth. Puis il a reçu un appel lui demandant de voir le roi Salman d'Arabie Saoudite. Hariri, qui comme son père assassiné Rafic, détient la nationalité saoudienne et libanaise, s'est immédiatement envolé pour l'Arabie saoudite. Vous ne pouvez pas vous opposer à un roi, même si vous l'avez vu quelques jours plus tôt, comme Hariri. Et surtout quand le royaume saoudien doit 9 milliards de dollars à la compagnie "Oger" de Hariri, car telle est la rumeur répandue dans ce que nous appelons aujourd'hui une "Arabie Saoudite à court d'argent".

Mais des choses plus extraordinaires allaient arriver. Devant des ministres libanais complètement stupéfaits, Hariri, en lisant un texte écrit, a annoncé samedi sur la chaîne de télévision al Arabia - les lecteurs peuvent deviner à quel royaume du Golfe cette chaîne appartient - qu'il démissionnait de son poste de Premier ministre libanais. Il y a eu des menaces de mort contre lui, a-t-il déclaré - bien que ce soit une nouveauté pour les services de sécurité à Beyrouth - et le Hezbollah devrait être désarmé et partout où l'Iran est intervenu au Moyen-Orient, il y a eu du chaos. Indépendamment du fait que le Hezbollah ne peut être désarmé sans une autre guerre civile - l'armée libanaise est-elle censée les attaquer alors que les chiites sont la plus grande minorité du pays (beaucoup d'entre eux dans l'armée) ? Ce sont là des mots que Hariri n'avaient jamais utilisés auparavant. Ils n'étaient pas, en d'autres termes, écrits par lui. Comme l'a bien dit cette semaine quelqu'un qui le connaît bien, "ce n'était pas lui qui parlait". En d'autres termes, les Saoudiens avaient ordonné au Premier ministre libanais de démissionner et de lire à haute voix sa propre démission de Riyad.

Je dois ajouter, bien sûr, que la femme et la famille de Hariri sont à Riyad, donc même s'il retournait à Beyrouth, il y aurait des otages. Ainsi, après une semaine de cette farce politique scandaleuse, il est même question à Beyrouth de demander au frère aîné de Saad Hariri, Bahaa, de prendre place au gouvernement. Mais qu'en est-il de Saad lui-même ? Des personnes l'ont joint chez lui à Riyad, mais il ne dit que quelques mots. Il dit : "Je reviendrai' ou 'Je vais bien', c'est tout, seulement ces mots, ce qui ne lui ressemble pas du tout", a déclaré quelqu'un qui le connaît. Et si Hariri revenait ? Prétendrait-il que sa démission lui a été imposée ? Les Saoudiens oseront-ils prendre ce risque ?

Il n'a certainement pas anticipé ce qui lui est arrivé. En effet, Hariri avait prévu des réunions à Beyrouth le lundi suivant - avec le FMI, la Banque mondiale et une série de discussions sur l'amélioration de la qualité de l'eau; ce n'était pas exactement l'action d'un homme qui prévoyait de démissionner de son poste de premier ministre. Cependant, les paroles qu'il a lues - écrites pour lui - sont tout à fait conformes aux discours du prince héritier Mohamed bin Salman et du président fou des États-Unis qui parle de l'Iran avec la même colère que le secrétaire étatsunien à la Défense.

Bien sûr, la véritable histoire est ce qui se passe en Arabie saoudite elle-même, car le prince héritier a brisé pour toujours le grand compromis qui existait dans le royaume : entre la famille royale et le clergé, et entre les tribus. Cela a toujours été le socle sur lequel le pays s'est appuyé ou s'est écroulé. Et Mohamed bin Salman a maintenant brisé ce socle. Il est en train de liquider ses ennemis - les arrestations, il va sans dire, font soi-disant partie d'une "campagne anti-corruption", un dispositif que les dictateurs arabes ont toujours utilisé pour détruire leurs opposants politiques.

Il n'y aura pas de plaintes de Washington ou de Londres, dont le désir de participer au partage de l'entreprise pétrolifère saoudienne d'Aramco (un autre des projets du prince héritier) étouffera toute pensée de protestation ou d'avertissement. Et étant donné les récents discours du Prince héritier dans le New York Times, je soupçonne que même cet organe journalistique vieillissant ne sera pas choqué par le coup d'État saoudien. Car c'est bien ce dont il s'agit. Il a éjecté le ministre de l'Intérieur plus tôt cette année et maintenant Mohamed bin Salman détruit le pouvoir financier de ses adversaires.

 

Mais les hommes impitoyables peuvent aussi être humbles. Hariri a pu voir le Roi - la raison pour laquelle il croyait se rendre à Riyad - et a même rendu visite au prince héritier des Emirats Arabes Unis cette semaine, un pays allié des Saoudiens qui l'empêcherait de sauter sur un vol pour Beyrouth. Mais pourquoi Hariri voudrait-il aller aux Emirats ? Pour prouver qu'il était encore libre de voyager quand il ne peut même pas retourner dans le pays qu'il est censé gouverner ?

Le Liban surmonte toujours les plus grandes crises. Mais cette fois, c'est pour de vrai.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Haut de page