Les chefs militaires et les dirigeants de la CIA pourraient faire l'objet d'une enquête pour crimes de guerre
Article originel : US Military and CIA Leaders May Be Investigated for War Crimes
Par Marjorie Cohn*
Truth Out
Traduction SLT
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Le 3 novembre, le procureur en chef de la Cour pénale internationale (CPI) a informé la Chambre préliminaire de la Cour :" Il y a des motifs raisonnables de croire que des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité ont été commis dans le cadre du conflit armé en Afghanistan".
Dans ce que Solomon Sacco d'Amnesty International a qualifié de " moment charnière pour la CPI ", le procureur en chef Fatou Bensouda a demandé à la Cour l'autorisation d'ouvrir une enquête qui se concentrerait sur les dirigeants de l'armée étatsunienne et de la CIA, ainsi que sur les responsables talibans et afghans.
Bensouda a écrit dans un rapport du 14 novembre 2016 que son examen préliminaire révélait "une base raisonnable de croire que" les "crimes de guerre de torture et de mauvais traitements" avaient été commis "par les forces militaires étatsuniennes déployées en Afghanistan et dans des centres de détention secrets exploités par la Central Intelligence Agency, principalement au cours de la période 2003-2004, bien qu'ils auraient continué dans certains cas jusqu'en 2014".
Le procureur général a noté que les crimes présumés commis par la CIA et les forces armées étatsuniennes "n'étaient pas des abus commis par quelques individus isolés ", mais qu'ils faisaient plutôt "partie des techniques d'interrogatoire approuvées pour tenter d'extraire des "renseignements exploitables" des détenus. Elle a ajouté qu'il y avait des "raison de croire" que les crimes étaient commis "pour la promotion d'une ou de plusieurs politiques... qui appuieraient les objectifs étatsuniens dans le conflit en Afghanistan ".
Conformément à son Statut de Rome, la CPI n'affirme sa compétence que sur les personnes dont le pays d'origine ne veut ou ne peut pas les traduire en justice. En expliquant pourquoi cette enquête sur les crimes de guerre relève de la compétence de la CPI, Bensouda a écrit que les enquêtes du Département de la justice des États-Unis sur les mauvais traitements infligés à 101 détenus se limitaient à déterminer si les techniques d'interrogatoire utilisées par les enquêteurs de la CIA étaient non autorisées et violaient les lois pénales. Le procureur général des États-Unis a déclaré que le ministère de la Justice ne poursuivrait pas quiconque aurait agi de bonne foi et dans le cadre des directives fournies par le Bureau de Conseil juridique (BCJ / Office of Legal Council: OLC)
La vérificatrice générale n'a enquêté que sur deux incidents et a conclu que les éléments de preuve étaient insuffisants pour obtenir des condamnations. Dans un cas, Gul Rahman est mort de froid après avoir été dénudé et enchaîné à un plancher de ciment froid dans la prison secrète afghane connue sous le nom de Salt Pit. Dans l'autre, Manadel al-Jamadi est mort dans la prison d'Abu Ghraib, en Irak, après avoir été suspendu au plafond par les poignets qu'il avait attachés derrière le dos. L'ancien policier militaire Tony Diaz, témoin de la torture d'al-Jamadi, a déclaré que le sang jaillissait de sa bouche comme si "un robinet s'était ouvert" lorsqu'il avait été mis à terre. Une autopsie militaire a conclu que la mort d'Al-Jamadi était un homicide. Cependant, le VG a finalement refusé de poursuivre les responsables de l'administration Bush pour la torture et la mort de ces deux hommes.
En 2008, ABC News a rapporté que Dick Cheney, Condoleezza Rice, Donald Rumsfeld, George Tenet et John Ashcroft se sont rencontrés à la Maison Blanche et ont géré la torture de suspects de terrorisme en approuvant des techniques de torture spécifiques comme le waterboarding. George W. Bush a admis dans son mémoire de 2010 qu'il avait autorisé le waterboarding. Cheney, Rice et John Yoo - auteur des notes les plus flagrantes du BCJ sur la torture - ont fait des aveux semblables.
Si la CPI poursuivait son enquête, les États-Unis, qui ne sont pas parties au Statut de Rome, refuseraient très probablement de livrer à la CPI toute personne étatsunienne. Pendant l'administration Bush, le Congrès a adopté l'American Service-Members Protection Act, qui dit que si des ressortissants étatsuniens sont envoyés à la CPI à La Haye, l'armée étatsunienne peut les reprendre par la force. La loi restreint également la coopération des États-Unis avec la CPI et interdit l'assistance militaire aux États parties au Statut de Rome, à moins qu'ils ne signent des accords bilatéraux d'immunité avec les États-Unis.
Les États qui signent ces accords "Article 98" - se référant à la section du Statut de Rome qui traite des traités entre les pays - s'engagent à ne pas remettre des ressortissants étatsuniens à la CPI. Les États-Unis auraient obtenus ces accords de plus d'une centaine de pays, principalement de petites nations ou de démocraties fragiles dont l'économie est faible. De plus, le gouvernement US a retiré l'aide militaire de plusieurs pays qui refusaient d'être contraints de les signer.
Toutefois, en vertu du Statut de Rome, la CPI peut avoir compétence sur un ressortissant d'un État même non partie si celui-ci commet un crime sur le territoire d'un État partie. Les États-Unis s' y opposent farouchement, mais ce n'est pas nouveau. En vertu des principes bien établis du droit international, les crimes poursuivis devant la CPI - génocide, crimes de guerre, crimes contre l'humanité - sont des crimes relevant de la compétence universelle.
La doctrine de la compétence universelle permet à tout pays de juger des ressortissants étrangers pour les crimes les plus flagrants, même sans lien direct avec le pays qui engage les poursuites. Cela signifie que d'autres nations peuvent traduire les dirigeants étatsuniens en justice pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité.
En effet, les États-Unis ont revendiqué la juridiction sur les ressortissants étrangers dans les affaires de lutte contre le terrorisme, le trafic de stupéfiants, la torture et les crimes de guerre. Le gouvernement étatsunien a jugé, condamné Charles "Chuckie" Taylor Jr. à la prison fédérale pour torture commise au Libéria. Israël a jugé, condamné et exécuté Adolph Eichmann pour ses crimes pendant l'Holocauste.
Il y aura une forte pression politique pour éviter la responsabilité des dirigeants étatsuniens. Mais Bensouda a sans doute résisté à de fortes pressions en demandant au tribunal d'approuver une enquête sur les crimes commis en Afghanistan. En outre, elle a invariablement dû faire face à des pressions considérables pour ouvrir un examen préliminaire, en janvier 2015, d'éventuels crimes de guerre commis par Israël et les Palestiniens à Gaza. Bensouda devrait annoncer les résultats de cet examen en décembre.
La CPI a été critiquée pour s'être concentrée presque exclusivement sur les dirigeants africains. Il semble que cela change avec d'éventuelles enquêtes sur les conflits en Afghanistan et en Palestine.
Si une enquête approfondie des responsables étatsuniens se déroule comme demandé, elle "enverrait un signal clair à l'administration de Trump et à d'autres pays du monde entier que la torture est formellement interdite, même en temps de guerre, et qu'il y aura des conséquences pour l'autorisation et la perpétration d'actes de torture", selon Jamil Dakwar, directeur du Programme des droits de l'homme de l'ACLU.
Lors de la campagne présidentielle, Donald Trump a déclaré qu'il reprendrait "immédiatement" le waterboarding et qu'il "reprendrait des techniques bien pire que le waterboarding" car les Etats-Unis font face à un ennemi "barbare". Il a étiqueté le waterboarding comme une "forme mineure" d'interrogatoire.
"Le message tant attendu que personne n'est au-dessus de la loi est particulièrement important maintenant, alors que l'administration Trump accélère les machinations militaires en Afghanistan et embrasse la guerre sans fin sans aucun plan en vue", a déclaré Katherine Gallagher, avocate principale au Center for Constitutional Rights, dans une déclaration.
* Marjorie Cohn est professeure émérite à la Thomas Jefferson School of Law, ancienne présidente de la National Lawyers Guild, secrétaire générale adjointe de l'International Association of Democratic Lawyers et membre du conseil consultatif national de Veterans for Peace. La deuxième édition actualisée de son livre, Drones and Targeted Killing: Legal, Moral, and Geopolitical Issues, paraîtra en novembre. Visitez son site Web: MarjorieCohn. com. Suivez la sur Twitter: @MarjorieCohn.