Les délires de Trump sur la Corée du Nord
Par Jonathan Marshall
Consortium News, 14/10/2017
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.
Une combinaison d’ignorance et d’imprudence rend le Président Trump particulièrement dangereux comme leader alors qu’il se précipite vers une possible guerre préventive en Corée du Nord, écrit Jonathan Marshall.
Le président Trump aurait raconté en moyenne près de cinq mensonges par jour. Il est également réputé pour ce que le ponte républicain Michael Gerson appelle « son ignorance presque totale de la politique et de l’histoire ».
Donc, il serait tentant – mais erroné – d’ignorer une autre déclaration de cinglé que Trump a faite sur Fox News il y a quelques jours. Faux, parce que, si Trump croit vraiment ce qu’il dit, cela peut indiquer sa volonté sérieuse de commencer un bain de sang avec la Corée du Nord qui pourrait supprimer des millions de vies. Cela donne une nouvelle crédibilité à l’avertissement récent du sénateur Bob Corker selon lequel Trump pourrait mettre les États-Unis sur le chemin de la Troisième Guerre mondiale.
Dans un entretien avec Sean Hannity le 11 octobre, Trump se vantait que les intercepteurs de missiles balistiques américains, présentaient, du moins pour le moment, une défense fiable contre une attaque de missiles nucléaires nord coréens de petite échelle.
« Nous avons des missiles qui peuvent frapper un missile en vol à 97% de réussite, et si vous en envoyez deux, ils vont le frapper à coup sûr », assura Trump.
En accordant à l’affirmation de Trump le taux de mensonge du maximum de « quatre Pinocchio », le vérificateur de faits du Washington Post Glenn Kessler a qualifié le Président Trump de « totalement déconnecté » mais il concède que cette assertion de Trump n’est pas entièrement un tissu de mensonges.
Il y a quelques années, le directeur du programme du Pentagone pour le gaspillage de 40 milliards de dollars connu sous le nom de GMD (Ground-Based Midcourse Defence), a assuré au Congrès que « la probabilité qu’un missile du système GMD aujourd’hui intercepte bien un missile est dans le haut des 90% ». Dans le même esprit, le chef de l’Agence de défense antimissile du Pentagone s’est vanté ce mois de mai que ses missiles antimissiles pourraient « abattre toute menace » que la Corée du Nord « nous lancerait… jusqu’en 2020 ».
Le GMD consiste actuellement en 36 missiles d’ interception basés à Fort Greely, Alaska, et à Vandenberg Air Force Base en Californie. Avec plus de projets en cours, ils représentent une énorme vache à lait pour les entreprises en contrat avec l’armée, comme Boeing et Raytheon, mais il n’a jamais été démontré qu’ils fonctionnent de façon fiable.
Une confiance exagérée
L’ancien représentant du Massachusetts, John Tierney, qui dirigeait le sous-comité chargé de superviser le programme GMD, se plaignait récemment : « Pendant les audiences, les fonctionnaires du Pentagone ont à plusieurs reprises montré une confiance exagérée dans le programme, minimisé les limites techniques et rejeté les inquiétudes des physiciens et autres experts. Ce faux sentiment de sécurité persiste aujourd’hui. »
Selon Kingston Reif, un expert de l’Arms Control Association, « le rapport du test en vol du système est de 10 sur 18, et ces tests ont été effectués dans des conditions préétablies et contrôlées – ce qui signifie que le réalisme des tests est limité. »
« Le système n’a été testé qu’une fois contre une cible de classe ICBM », a ajouté Reif. « Vingt des 32 intercepteurs déployés en Alaska sont armés d’un vieux véhicule mort qui n’a pas été testé avec succès depuis 2008. Le système n’a jamais été testé contre des ’’contre-mesures complexes’’ que la Corée du Nord pourrait développer pour leurrer les défenses des États-Unis. »
Un autre expert en armement, Joseph Cirincione, ironise, « Nous avons autant de chances d’intercepter un missile nord-coréen que le président a de chances de faire ’’un trou en un’’. » [ terme de golf ndT.]
L’évaluateur d’armement en chef du Pentagone a récemment averti que la GMD avait au mieux « une capacité limitée à défendre la patrie américaine » et le Bureau de Responsabilité du Gouvernement l’année dernière a rapporté que les allégations optimistes de performance de l’Agence de défense antimissile « n’ont pas été démontrées ».
Dans un rapport de suivi cette année, le GAO a catégoriquement déclaré que le système du Pentagone « ne fournira probablement pas de défense robuste comme prévu ».
Les dangers d’une confiance exagérée
Quelles sont les conséquences du fait que le président Trump croit que les affirmations du Pentagone soient infondées en ce qui concerne les capacités de défense antimissile des États-Unis? Il pourrait bien être tenté de lancer une attaque préventive contre la Corée du Nord – « option militaire » très discutée – convaincu que la patrie américaine serait protégée contre une frappe de représailles.
Il pourrait aussi être tenté de lancer une telle attaque le plus tôt possible, avant que la Corée du Nord ne puisse construire sa flotte de missiles nucléaires pour supplanter les capacités supposées des GMD.
Comme je l’ai déjà mentionné, des conseillers influents de Trump comme le sénateur Lindsey Graham ont pressé le président depuis des mois de déclencher une attaque massive avant que la Corée du Nord puisse développer ses capacités nucléaires.
Comme Graham l’a dit, les conséquences « seraient terribles, mais la guerre serait terminée (là-bas), mais ne serait pas ici. Ce serait mauvais pour la péninsule coréenne. Ce serait mauvais pour la Chine. Ce serait mauvais pour le Japon, mauvais pour la Corée du Sud. Ce serait la fin de la Corée du Nord. Mais ce qu’elle ne pourrait pas faire, c’est frapper l’Amérique et la seule façon dont elle pourrait jamais atteindre l’Amérique c’est avec un missile. »
Beaucoup d’autres conseillers proches de Trump semblent être d’accord avec les principes de Graham, plutôt que de reconnaître que le vaste arsenal nucléaire américain est plus que suffisant pour décourager une attaque nord-coréenne.
Le conseiller à la sécurité nationale H. R. McMaster a déclaré cet été que « nous ne pouvons plus nous permettre de remettre à plus tard » alors que la Corée du Nord développe ses forces nucléaires, soutenant que la « théorie classique de dissuasion » ne fonctionnera pas avec un gouvernement aussi brutal.
Le chef de cabinet de la Maison-Blanche, John Kelly, a déclaré jeudi : « Je pense que je parle au nom de l’administration, que [la Corée du Nord] n’a tout simplement pas la possibilité d’atteindre la patrie [des États-Unis]. »
Trump lui-même a déclaré dans son discours aux Nations Unies en Septembre, « Il est temps pour la Corée du Nord de réaliser que la dénucléarisation est son seul avenir acceptable ». Il a tweeté plus tard que le secrétaire d’État Rex Tillerson « perdait son temps à négocier avec Petit Rocketman. »
Comme l’observait l’analyste conservateur de politique étrangère Daniel Larson, « Le danger ici, est que Trump ait défini tout sauf la dénucléarisation nord-coréenne comme inacceptable, ce qui implique que les États-Unis ne toléreront pas que la Corée du Nord continue à posséder des armes nucléaires. Cela suggère que Trump pourrait envisager de lancer une guerre préventive illégale, et qu’une telle guerre pourrait dégénérer en un échange nucléaire qui causerait la mort d’au moins des millions de personnes. C’est le piège que la théorie irresponsable de Trump crée pour les États-Unis. »
La confiance mal placée de Trump dans son système de missiles de défense ne fait qu’accentuer encore le risque. Comme l’observait l’expert en armement Tom Collina en septembre : « si le président Trump croit qu’il peut arrêter une attaque de missiles, il va probablement aggraver le conflit. C’est comme cela que les nations se trouvent précipitées dans des guerres non voulues. On peut juste imaginer la conversation où le Secrétaire de la Défense Jim Mattis essayerait d’expliquer au Président Trump pourquoi il ne peut pas se fier à son système anti-missiles à 40 milliards de dollars : ‘Si je le possède, pourquoi ne pas l’utiliser ?’ »
Mattis a le devoir d’expliquer à Trump que les affirmations du Pentagone sur ce système sont du battage médiatique destiné à obtenir plus de crédits de la part du Congrès, mais ne sont pas des faits. Il a également le devoir de rappeler au Président que les conséquences d’une guerre avec la Corée du Nord serait, comme il l’a dit déjà, « une tragédie d’une ampleur inimaginable ».
Les chances de la dissuasion.
Mattis pourrait aussi pointer du doigt qu’une guerre préventive pourrait être aussi superflue que destructive. Durant une réunion des chefs chevronnés, Kim Jong Un de la Corée du Nord a récemment décrit son arsenal nucléaire, petit mais en voie d’augmentation, non pas comme une force offensive, mais une « dissuasion puissante protégeant fermement la paix et la sécurité dans la péninsule coréenne et le Nord-Est de l’Asie », contre « les menaces nucléaires de longue date de Washington ».
Dans un autre contexte, Kim a ajouté : « Notre objectif final est d’établir un équilibre des forces réelles avec les États-Unis et de faire en sorte que les dirigeants des États-Unis n’osent pas discuter d’option militaire. »
Les experts du renseignement américain croient que Kim planifie vraiment ce qu’il dit sur l’acquisition d’armes nucléaires pour la dissuasion, pas pour la guerre. « Se réveiller un matin et décider qu’il veut atomiser Los Angeles », n’est pas quelque chose que Kim Jong Un prévoit de faire. Le meilleur analyste de CIA sur la Corée a récemment dit dans des commentaires publics : « Il veut régner longtemps et mourir paisiblement dans son lit ».
Donc, même si Trump marche dans le baratin des camelots du pentagone sur les capacités des missiles défensifs, il n’a aucune raison de lancer une guerre catastrophique pour arrêter le programme nucléaire en Corée du Nord. Mais, dans l’intérêt de tous, quelqu’un doit urgemment dire à Trump qu’il ne peut pas compter sur le fait que la patrie américaine restera indemne s’il choisit en fait de déclencher une guerre avec un adversaire possédant l’arme nucléaire.
Jonathan Marshall est auteur et coauteur de cinq livres sur les relations internationales et l’histoire.
Source : Jonathan Marshall, Consortium News , 14/10/2017
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.