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Les rêves contrariés du Kurdistan (Consortium News)

par Lawrence Davidson 15 Novembre 2017, 13:00 Kurdistan Colonialisme Sykes Picot France Grande-Bretagne Syrie Irak

l y a presque un siècle, les puissances européennes promettaient aux Kurdes un état, mais sont vite revenues sur leur promesse, laissant les nationalistes Kurdes enrager pour des générations, et conduisant l’Irak à la capture militaire récente de Kirkuk, comme le rapporte Lawrence Davidson.

 

C’était en 1916, au milieu de la Première Guerre mondiale que l’Angleterre et la France ( opposés à l’Allemagne, à l’Autriche et aux Turcs Ottomans) ont signé leur infâme accord Sykes-Picot. Dans le grand style impérial, ils ont utilisé cet accord pour se partager le Moyen-Orient.

Les rêves contrariés du Kurdistan (Consortium News)

Une carte du Moyen-Orient vue selon les accords Sykes-Picot.

C’était une décision osée, considérant que la guerre se trouvait dans une impasse et que les deux alliés ne savaient pas s’ils gagneraient le combat. Néanmoins, ils s’engagèrent dans cet accord et ce faisant, ils ont pris un nombre de décisions qui continuent encore à configurer la région aujourd’hui.

En plus d’apporter l’impérialisme traditionnel européen plus tard dans le vingtième siècle, ce qui rend tristement célèbre les accords Sykes-Picot est le fait qu’il brise une promesse faite précédemment aux Arabes. En 1916, les Arabes ont gagné des batailles contre les Turcs. En reconnaissance, les Anglais leur ont promis de soutenir la création d’un grand état arabe.

Mais cette promesse s’est toujours heurtée aux ambitions impérialistes de l’Angleterre et de la France, et donc, pour finir, ils ont conspiré secrètement pour trahir leurs alliés non-occidentaux. Parmi les conséquences finales de cette trahison, l’État Arabe s’est limité à ce qu’il est aujourd’hui, l’Arabie saoudite. La Palestine, (qui était originellement une partie de l’état arabe) deviendra « la patrie des Juifs » ; la Syrie revint aux Français, et la plus grande partie de la région a été donnée aux Britanniques.

Les accords Sykes-Picot ont permis un changement ultérieur. Ils ont rendu possible un Etat pour les Kurdes — un peuple constitué des quatre plus grandes ethnies du Moyen-Orient. Cet état connu sous le nom de Kurdistan, aurait du être taillé dans les territoires de l’Empire Ottoman finalement vaincu. Cette intention fut confirmée publiquement dans le Traité de Sèvres en 1920.

Les leaders Kurdes, qui entre temps ont réalisé que les puissances occidentales trahissaient les Arabes, n’auraient donc pas dû être surpris quand, malgré le traité, les Britanniques et les Français les ont aussi trahis. Le traité de Lucerne en 1923 a amendé le traité de Sèvres et, bien sûr, l’état du Kurdistan a été oublié. Les terres qui auraient dû composer la nation kurde, sont, au lieu de cela, devenues parties de la Turquie, de la Syrie et de l’Irak. Par conséquent, les Kurdes restèrent sans État. Cependant, ils n’ont jamais abandonné l’idée d’avoir une nation, comme but.

Maintenant, nous pouvons avancer jusqu’au 19 mars 2003, date à laquelle le Président George W. Bush a décidé d’envahir l’Irak. Bush avait un étalage de pauvres excuses pour le faire : les armes nucléaires de Saddam Hussein inexistantes, et autres armes de destruction massive, le soit-disant complot de Saddam visant à assassiner le père de Bush, le rêve (en fait le cauchemar) de « changement de régime » nécessaire comme moyen de rendre le Moyen-Orient plus sûr pour les États-Unis et Israël, ou peut-être juste l’offensive belliciste des néoconservateurs. Quelque soit la profondeur de l’ignorance du Président et où cela l’a amené, l’invasion a libéré des forces que Bush et ses successeurs à la Maison-Blanche ont été incapables de contrôler. Parmi lesquelles sont les conséquences qui ont suivi l’écroulement de l’Irak.

 

Le problème Kurde refait surface

Comme la destruction de l’Empire ottoman à la fin de la Première Guerre mondiale, la destruction de l’Irak qui a résulté de l’invasion américaine de 2003 a ouvert une boîte de Pandore de changements territoriaux potentiels. La création possible de l’Etat du Kurdistan n’était pas la moindre de ces choses.

Une carte montrant comment le « territoire » kurde déborde dans plusieurs nations du Moyen-Orient.

Comme les Arabes durant la Première Guerre mondiale, les Kurdes devinrent un allié combatif de l’Occident à la suite de l’invasion de l’Irak et de la guerre civile syrienne qui s’ensuivit. Le chaos de la région a permis l’émergence de « l’État islamique d’Irak et du Levant » (alias EI, ISIL et Daesh). L’EI s’est avéré être une manifestation sinistre et brutale du fanatisme religieux devenu incontrôlable. Sa montée menaçait à peu près tous les États de la région, ainsi que les citoyens de l’Union européenne et des États-Unis.

Si la stabilité devait finalement prévaloir, l’EI devait être vaincu avec les Kurdes jouant et continuant de jouer un rôle notable dans ce combat. Il y a peu de doute que l’un de leurs objectifs soit de créer des conditions favorables pour un État kurde.

Pour toutes ces puissances régionales (Turquie, Iran, Syrie, Irak) qui cherchent à rétablir le statu quo précédent, la perspective d’un état Kurde indépendant est un anathème. Chaque État a des minorités kurdes et craint qu’un Kurdistan indépendant, même si celui-ci est découpé dans le territoire d’un autre État, conduise à exacerber les insurrections kurdes dans leur propre pays. La possibilité qu’un tel État puisse à la place provoquer une diminution de l’animosité des Kurdes par l’immigration volontaire ne semble pas être évidente aux dirigeants de l’Iran, de la Turquie et de la Syrie.

Comme Jonathan Cook l’a récemment clarifié, la question de l’indépendance kurde a été compliquée par l’influence d’Israël sur le sujet. Les Israéliens sont depuis longtemps attachés à un Kurdistan indépendant, non pas parce que, comme certains de leurs politiciens le prétendent hypocritement, les Kurdes ont un « droit moral » à un État (les Palestiniens aussi). Au contraire, les Israéliens ont une politique non déclarée mais officielle visant à « balkaniser » les États arabes. Ils ont encouragé « la discorde sectaire et ethnique » afin de déstabiliser leurs voisins. En d’autres termes, le soutien israélien aux Kurdes est un effort pour affaiblir principalement l’Irak, et accessoirement, la Syrie et l’Iran (la Turquie n’étant qu’un « dommage collatéral » dans ce processus).

La meilleure option

On peut difficilement reprocher aux Kurdes d’accepter de l’aide là où ils peuvent en obtenir – en l’occurrence d’Israël – dans une lutte pour l’indépendance qui dure depuis des siècles. Néanmoins, on peut également comprendre que l’ingérence israélienne effraie sérieusement les autres États touchés.

Le président George W. Bush en combinaison de vol après avoir atterri sur l’USS Abraham Lincoln pour donner son discours « mission accomplie » sur la guerre en Irak le 1er mai 2003

Laissant de côté la question israélienne pour un moment, la question qui devrait guider la politique est la suivante : l’Irak peut-il être rétabli en tant qu’État viable? Posant la question de manière plus informelle, en 2003, un président américain plutôt stupide – travaillant sous l’influence de sionistes, de néo-conservateurs idiots et des nationalistes irakiens apportant de faux témoignages – a fait tomber le crâne d’œuf irakien de son mur précaire. Est-ce que l’Irak peut être restauré à nouveau ? La réponse est, eh bien, peut-être – mais il semble y avoir seulement deux façons de le faire. L’une est une guerre quasi-génocidaire menée par les puissances régionales contre les Kurdes. Alternativement, l’Irak pourrait être ressuscité si les Kurdes sont disposés à se contenter d’une demi-mesure sous la forme d’une partie autonome d’un état confédéré.

En ce moment, le futur est incertain. On a l’impression que les Turcs et les Irakiens (dont les forces ont attaqué la ville kurde de Kirkouk le 16 octobre) sont tout disposés à tenter de résoudre le problème par une guerre prolongée. Ce serait une grosse erreur. Cela conduirait à un Irak qui pourrait être techniquement réuni mais en vérité serait encore plus faible qu’il ne l’est actuellement, et pas vraiment indépendant du tout.

Sa région nord serait probablement sous le contrôle de facto de la Turquie et de l’Iran, et le reste du pays continuerait d’être dans un gâchis décentralisé expérimentant une guerre civile sectaire sans fin. D’un autre côté, un règlement pacifique de la question kurde pourrait conduire à la stabilisation du reste de l’Irak en tant qu’État confédéré. En outre, dans le cadre d’un Irak confédéré, l’autonomie du Kurdistan peut empêcher une politique étrangère indépendante, minimisant ainsi l’influence israélienne.

En dépit du vote récent des Kurdes pour l’indépendance, leurs chefs doivent savoir que cela ne peut être réalisé que s’ils peuvent gagner une guerre prolongée contre la Turquie, l’Iran et l’Irak. Israël n’est pas en position géographique pour les aider efficacement. Donc les Kurdes ne peuvent probablement pas supporter un tel combat. Cela les laisse avec seulement un choix rationnel.

Les Kurdes sont maintenant plus proches d’un statut d’indépendance qu’ils ne l’ont jamais été depuis les jours ratés de la Première Guerre mondiale. Leur meilleure stratégie est de tirer le meilleur parti (sinon le plus grand) de ce statut au sein d’un Irak confédéré et de mettre fin à leur interaction avec Israël. Cela doit être mieux qu’une guerre quasi-génocidaire dont ils seraient les victimes. Cependant – et c’est la question habituelle dans de telles situations – les émotions de tous les côtés vont-elles permettre à la raison de s’imposer ?

Lawrence Davidson est professeur d’histoire à l’Université West Chester en Pennsylvanie.

Source : Lawrence Davidson, Consortium News, 17-10-2017

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