Il y a une étrange polémique qui court actuellement au sujet de France Télévisions et l'audiovisuel public français en général. Le nouveau chef de guerre, Macron, adulé et porté au pinacle par les médias, aurait qualifié l'audiovisuel public français de "honte de la République" comme l'ont rapporté les verbatim de L’Express ou encore de Télérama qui diffèrent néanmoins quand à leur compte-rendu. L'Elysée a démenti. Selon Mediapart, Emmanuel Macron veut une réforme de l’audiovisuel public : "Ce projet pourrait créer une holding rassemblant toutes les entreprises, ce qui renforcerait la mainmise du pouvoir. Le chef de l’État se méfie des journalistes...".
Les médias étaient déjà à ses pieds mais cela ne lui suffirait-il pas ? On assiste ainsi ces derniers temps à une multiplication des interviews "brosse à reluire", après celle de l'animateur-journaliste Delahousse, ce fut l'interview pour le site Konbini dans la néocolonie françafricaine du Niger. Selon Mariane, "on a trouvé encore plus lèche-bottes que Delahousse !".
Mais selon Arrêt sur images, derrière l'interview de Macron au Niger, il y a l'oligarchie au pouvoir à savoir que la directrice de communication de Konbini. Ariane Vincent est l'ex-communicante du PS, et de François Hollande (Arrêt sur images). Cela ne touche donc pas que l'audiovisuel français, c'est des pans entiers de l'espace médiatique français qui sont affectés par le journalisme de révérence relevant plus de la propagande que de l'information critique. En une de VSD cette semaine, l'image du toutou assis face à son maître toute langue dehors fait en effet figure d'allégorie du "journalisme" autorisé par l'Elysée.
Est-ce donc ce style de journalisme que souhaite voir dans le PAF le chef de l'Etat soutenu par le complexe militaro-industriel et financier français ? Ainsi il est intervenu chez Hanouna sur C8, la chaîne Bolloré, pour un moment d'anthologie télévisuel où le monarque a félicité son vaste public : "Il y a des millions de télespectateurs qui ne lisent ni les quotidiens ni la presse magazine, a déclaré le Président. C'est un moyen de toucher des gens que l'on ne touche jamais" (Canard enchaîné, Touche pas à mon pote Macron, 27.12.17). Le Canard, qui roule allègrement pour Macron après avoir dégommé son principal concurrent durant la campagne présidentielle, précise gentiment dans "Hommage Hanounanational", 27.12.17) le surréalisme de l'interview du monarque républicain par celui qui a été sanctionné par le CSA pour homophobie et sexisme : "A 22h50, Macron décroche. Hanouna, comme un gosse : "Bonsoir, Président. Comment ça va Président ?" Un blanc, le temps que Jupiter digère l'absence du mot "monsieur" : "Ca va très bien." Et le public d'entonner : "Jo-yeux a-nni-ver-saire, Président!"...Ca fuse : "J'ai ma Marylin à moi, c'est avec elle que je vais fêter mon anniversaire", annonce Macron."
La télé Bolloré est elle le modèle dont Macron rêve pour le PAF. Les journalistes "résistants" d'Envoyé spécial ou de Compléments d'enquête ont-ils quelques soucis à se faire ? Sont-ils devenus la honte de la République ? C'est sans doute les questions qu'ils doivent se poser.
Non France Télévisions n'est pas la "honte de la République" mais bel et bien l'atout de révérence de la Vème République comme l'a toujours voulu le général de Gaulle et fait son travail de communiquant comme elle l'a toujours fait comme au temps de l'ORTF même si certains font encore de la résistance dans les coulisses. Il est d'ailleurs fort possible que ceux qui font tâche aux yeux du gouvernement et des patrons du CAC 40 soient amenés à encore plus de discrétions.
Le traitement de l'info sur France Télévisions relève plus de la honte de la démocratie. Fake news pour justifier l'intervention criminelle sarkozyenne en Libye dans le cadre de l'OTAN [1-4] et cela même cinq ans plus tard [1], apologie des régimes criminels défendus par les chefs de guerre français à l'instar de ceux d'Arabie saoudite [5-7], réthorique de communication semblant calquée sur celle de l'Elysée sur le Vénézuela [8-10] et information sélective sur la guerre en Syrie [11] pour mieux formater l'opinion public et le temps de cerveau disponible ? Certes, France Télévisions n'a rien à envier aux médias du PAF qui sont sur le même tempo dans une République qui a banni constitutionnellement, suite à un coup d'Etat gaulliste de 1958, tout rôle parlementaire de contrôle institutionnel à l'égard du pouvoir exécutif sanctuarisé dans les mains du Président tout puissant. Il est donc somme toute logique que les médias en l'absence de Freedom Information Act soient quelque peu à l'ouest sur les sujets traitant de politique étrangère et se transforment bien souvent en service de communication du gouvernement et de l'armée française dans ses actions françafricaines et autres [12].
Lire :
1.Libye. Benghazi. Radio Sarkozy ment, France TV désinforme
2. [Exclusif] Le documentaire "Tuez Kadhafi !" revient sur les fake news diffusées par les médias français et atlantistes pour légitimer la guerre contre la Libye de Kadhafi (Vidéos)
3. Gros déballage sur la désinformation médiatique française durant la guerre en Libye sur Europe 1. Selon un prof de Science Po : "Une fake news : c'est une fausse information qui n'est pas cautionnée par les autorités" (Vidéo)
4. Salon Le rapport du Parlement britannique détaille comment la guerre de 2011 de l'OTAN en Libye fut basée sur des mensonges
5. Les JTs de France 2 font-ils de la propagande pour le régime criminel saoudien ?
6. Les JTs de France TV continuent d'ignorer les crimes de guerre saoudien au Yemen et semblent adopter le point de vue du régime saoudie / 7.Médias. La purge saoudienne effectuée par le prince Bin Salman telle que traitée par le journal de France 2 au JT de 13h 8.Le JT de France 3 prendrait-il à son tour fait et cause pour l'opposition au Vénézuela ?
9.Pétition : Venezuela, exigeons des médias et du CSA le débat démocratique ! (Collectif)
10.[Vidéos] Exemple d'information sélective du JT de France 2 sur le Vénézuela
11.La rédaction de France 2 ménage-t-elle les djihadistes affiliés à Al Qaïda dans son traitement médiatique de la lutte contre le terrorisme en Syrie ?
12.Retour sur le reportage apologétique de France 2 sur l'occupation militaire française au Mali au nom de la lutte contre le terrorisme
Sans compter le traitement réservé à celui qui se présente comme l'opposant numéro 1 de Jupiter ? Jean-Luc Mélenchon lance une pétition pour un Conseil de Déontologie du Journalisme (Les Crises) /[Vidéos] France : Mélenchon veut un tribunal professionnel pour les journalistes (Reuters) /[Vidéo] La citation tronquée par France 2 que Mélenchon n'a pas digérée (Arrêt sur images)/ Brosse à reluire pour Macron et charge contre Mélenchon sur le service public ?
Enfin la situation au sein des rédactions de France Télévisions dans le contexte des "transformations" suggérées/demandées/imposées par l'Elysée est loin d'être paisible dans un service publique audiovisuel que Jupiter aurait qualifié de "honte de la République"
Lire :
- Fronde des journalistes au sein de France Télévisions (AFP)
- France TV / Ernotte / Journalistes : motion de défiance adoptée à 84% (Arrêt sur images)
- David Pujadas refuse de terminer la saison au 20h de France 2 (Huffington Post)
- France TV. Après l'éviction de Pujadas, Michel Field présente sa démission
- Françafrique. Bolloré : "Complement D'enquête" poursuivi au Cameroun. Une façon de contourner la loi française sur la liberté de la presse ? (Arrêt sur images)
- Philippe Verdier : "En France, un journaliste peut être viré pour un livre" (Le Point)
France Télévisions une pravda française qui ne serait pas assez pravda selon le nouveau chef de guerre au pouvoir ?
Si l'on revient sur un reportage du JT de France 2 en date du du 18.12.17 à 20h intitulé "Syrie bientôt la fin de la guerre ?", la rédaction reprend les propos de Macron interviewés par Delahousse sans contradiction aucune : On y entend Macron déclarer "on vient de gagner la guerre en Irak avec la coalition et je pense que d'ici mi février nous aurons gagné la guerre en Syrie (sous-entendu contre l'Etat islamique)". Les silences de ce reportage en disent long. Comme nous l'avions déjà signalé les terroristes d'Al Qaïda sont englobés sous le vocable d'opposition et de rebelles. (La rédaction de France 2 ménage-t-elle les djihadistes affiliés à Al Qaïda dans son traitement médiatique de la lutte contre le terrorisme en Syrie ?).
Mais rien n'est dit non plus dans ce reportage acritique sur la zone grise française lors de la lutte contre l'EI à savoir sur le rôle joué par la multinationale franco-suisse Lafarge-Holcim qui a collaboré avec l'Etat islamique en Syrie en le finançant avec semble-t-il l'aval du Quai d'Orsay. Il s'agit de faits troublants qui interrogent sérieusement sur le rôle des services secrets français notamment de la DGSE selon Intelligence Online. Cela pose le problème de la responsabilité non seulement du Parlement français (Lafarge et le terrorisme: l’Assemblée nationale a fermé les yeux), du Parti socialiste français qui a refusé de voter le caractère génocidaire de l'Etat islamique à l'Assemblée nationale contrairement aux autres partis politiques, mais aussi du gouvernement français dont Macron faisait parti (Selon le Canard enchaîné, le gouvernement français aurait soutenu Lafarge dans ses transactions avec l'Etat islamique en Syrie ; Un ancien dirigeant de Lafarge reconnaît avoir financé l’Etat islamique avec l’aval de la France (Valeurs actuelles).
Ce que ne manque pas de lui rappeler l'expert Bassam Tahan sur Press TV, une chaîne d'info pro-iranienne et donc pro-Assad. A chacun sa Pravda ?
Les journalistes de France Télévisions n'ont guère de marge de manoeuvre dans le traitement de l'actualité et plus particulièrement sur les sujets portant sur les affaires étrangères sous peine de connaître le chemin du placard ou tout simplement de prendre la porte. De journalistes ils deviennent communicants. Cela pose la question de l'assujettissement du pouvoir médiatique par le pouvoir politique en France mais aussi plus généralement par le complexe-militaro-industriel et financier dans un régime présidentiel fort où le Parlement est devenu une caisse enregistreuse. Sale temps pour la presse et pour la démocratie !
Attention ! Nous ne blâmons pas ni ne faisons de fixette sur la rédaction de France Télévisions mais sur un système dont le traitement de l'actualité notamment sur les chaînes d'Etat depuis l'ORTF semble être paradigmatique des difficultés rencontrées par les journalistes pour informer en France et sur la liberté de la presse. En ce sens France Télévisions constitue un laboratoire d'analyse précieux sur les modalités du traitement de l'information en France et sur ses entraves. Mais on aurait tout aussi pu s'intéresser aux chaînes Bolloré.
- Bolloré interdit à Canal Plus de s’intéresser à l’Afrique (Mondafrique)
- L'investigation sur Canal+ censurée par Bolloré ? (Marianne.net)
- Bolloré vire les auteurs des "Guignols" et passe l'émission en crypté sur Canal Plus
- [Vidéo] Le numéro 2 de Canal+ International est viré après un reportage de « L’Effet papillon » au Togo, où Bolloré a des intérêts (Les Jours)
Le mot de la fin reviendra à Nicolas Hervé, ingénieur de recherche à l'INA (Institut national de l'audiovisuel), qui a déclaré sur Europe 1 au sujet de la couverture médiatique française de la guerre en Libye :
"...Globalement, je ne dirais pas que les journalistes sont des salauds. Je ne dirais pas que les journalistes veulent désinformer. En revanche moins il y a de journalistes, moins il y aura ce travail là d'analyse critique des informations qui sont diffusées. Et typiquement dans le cadre des guerres..."
Frédéric Taddeï : "vous voulez dire que c'est une profession qui se paupérise".
Nicolas Hervé : "Qui se paupérise mais c'est surtout qu'elle a de moins en moins les moyens de faire son travail correctement et quand on est sur un théâtre de guerre comme la Libye où en gros c'est l'armée et donc l'Etat qui contrôle l'information qui est diffusée, etc. La manière dont les informations vont être remontées à la population française alors que le pays est en guerre, etc, le gouvernement va naturellement déformer l'information, la faire paraître sous un beau jour, etc. Après la question est de savoir dans quelle mesure est-ce que les journalistes sont conscients ou pas du fait qu'ils relayent une parole officielle sans chercher à en savoir plus ou même à masquer un certain nombre de choses, ça c'est un autre débat. Et on arrive, si l'on parle des médias traditionnels, sur les questions du pouvoir des médias, de qui sont les actionnaires des médias, quelles sont les velléités qu'il y a derrière et ces questions là. Mais ça c'est des questions qui sont différentes de la notion de fake news mais qui ne sont pas complètement décorrélées parce que effectivement la confiance dans la manière dont les médias traitent l'information cela va avoir aussi une influence sur ce que l'on va pouvoir percevoir à côté."
- Gros déballage sur la désinformation médiatique française durant la guerre en Libye sur Europe 1. Selon un prof de Science Po : "Une fake news : c'est une fausse information qui n'est pas cautionnée par les autorités" (Vidéo)