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La « comm’ » de Macron : information ou… communication ? (Acrimed)

par Thibault Roques 14 Décembre 2017, 13:59 Médias Macron Collaboration Communicants France

La « comm’ » de Macron : information ou… communication ? (Acrimed)

Après une première salve d’articles pointant les “erreurs de communication” du nouveau président au cours de l’été vint l’avalanche de commentaires annonçant un virage “radical” pour la rentrée. Belle occasion pour le pouvoir en place de compter ses relais dociles dans le champ médiatique, et pour nous de constater que la circularité circulaire de la communication entre journalistes et politiques nuit gravement à l’information.

Des médias unanimes

Une fois n’est pas coutume, le pluralisme fut de mise dans le microcosme médiatique :
 

 [1]
 


 

 [2]
 


 


 

En dépit de la variété des métaphores, on observe au moins un dénominateur commun aux médias dominants : la nécessité de communiquer au public le changement de communication du locataire de l’Élysée. Relayant à l’envi l’idée – hautement contestable – selon laquelle il y aurait eu une raréfaction de la parole d’Emmanuel Macron depuis son élection, les grands médias sont à l’unisson pour se faire l’écho – sinon entériner – un prétendu « changement » de communication qu’un travail journalistique digne de ce nom aurait encore à prouver.

Avec comme résultat, un « bel » exemple de prophétie auto-réalisatrice : à force de multiplier articles et reportages pour claironner que la communication gouvernementale va changer et que la parole présidentielle va désormais être plus fréquente, les pros du commentaire [3], ne pourront plus être démentis. Tout se passe comme si l’omniprésence médiatique souhaitée par le pouvoir n’avait d’égal que l’empressement de ses relais journalistiques à la confirmer.
 

Misère du journalisme politique

Mais outre l’uniformité du message porté par les médias, comment ne pas insister sur la vacuité de celui-ci ? On est en droit de se demander, par exemple, si les lignes qui suivent, extraites d’un article paru dans « le quotidien de référence », étaient bien nécessaires – sauf à considérer que toute confidence glanée dans les couloirs d’un palais républicain constitue par nature une information suffisamment digne d’intérêt pour être publiée :

« La rentrée est un moment politique où le président est légitime pour parler. Il y a des choses à dire pour donner sa vision et fixer le cap et les échéances des réformes à venir  », explique son entourage. Mieux, Emmanuel Macron envisage également de s’exprimer à l’avenir une ou deux fois par mois directement auprès des Français, selon des informations recueillies par Le Monde. Il réfléchit encore au choix du média, mais ce ne sera pas forcément le réseau social Facebook Live, comme il s’y était habitué pendant et après la campagne. »

Cela donne même lieu à d’involontaires morceaux de bravoure, notamment sur RTL, où le néant journalistique le dispute à la circularité microcosmique :

Désormais, il faut tourner la page. Le président de la République va prendre la parole. Régulièrement et en s’adressant directement aux Français. Selon les informations de L’Obs, du Monde et de Ouest France, cette nouvelle communication devrait prendre la forme d’une prise de parole, une à deux fois par mois, peut-être à la radio. Cependant, l’Élysée, dans les colonnes du Figaro, nie toute temporalité : "C’est n’importe quoi".

On ne saurait mieux dire...

Heureusement, BFM est là pour ne retenir que l’essentiel… et en faire un gros titre :
 


 

Comment ne pas pointer, derrière un tel « luxe » de détails, la misère du journalisme politique ? À force de communiquer sur la communication politique, les professionnels du commentaire sont réduits (et se réduisent) à de serviles messagers du pouvoir en place. Ne cherchant que trop rarement à livrer des informations un tant soit peu consistantes, ils se contentent d’être la courroie de transmission du pouvoir, fût-ce involontairement. Et si le rendement journalistique est incontestablement des plus faibles pour le citoyen, il est malheureusement « maximal » pour le journaliste grâce au coût de production on ne peut plus réduit d’une telle non-information. Ou comment hyper-communication rime invariablement avec sous-information.
 

Un seul et même monde

L’absence de fond est telle qu’il est parfois bien difficile de savoir qui parle. En effet, d’où proviennent ces conjectures sans fin sur la communication, tour à tour « jupitérienne » et plus directe du président : d’Emmanuel Macron lui-même, de son « entourage » politique, de ses conseillers en communication, des communicants qui courent les plateaux et abreuvent les médias de leurs analyses des stratégies de communication politique, ou encore des journalistes politiques eux-mêmes dont la soif inextinguible pour tout ce qui concerne la communication des gouvernants les porte à faire l’exégèse permanente de leurs moindres faits et gestes ?

À moins qu’il ne s’agisse de journalistes reconvertis dans… la communication, tel le désormais célèbre Bruno Roger-Petit qui pratiquait déjà le mélange des genres – tout en déplorant ce genre de pratiques chez ses confrères [4] – en menant une campagne énergique – et officieuse – pour le candidat Macron, notamment dans Challenges [5], avant d’être propulsé porte-parole de l’Élysée dès la rentrée suivante pour services rendus. Le Parisien résuma la situation en ces termes :
 


 

Ancien éditocrate sorti de l’ombre pour devenir conseiller du prince, le « supercommunicant » a donc pour mission de « faire de la pédagogie ». Qu’est-ce à dire ? Principalement à faire dire aux médias que dorénavant le président sera d’abord soucieux de… « pédagogie » !
 

Prodiges et vertiges de la « pédagogie »

Car s’il fallait ne retenir qu’un exemple de mot d’ordre aussi creux que passe-partout, symbole de la vulgate politico-médiatique, la « pédagogie » constituerait un merveilleux cas d’école.

Signe probable d’une communication réussie, Le Monde reprend ainsi, bon gré mal gré, le terme à son compte :
 


 

Et l’immense majorité des grands médias lui emboîtent le pas avec enthousiasme ; certains se contentent d’être les messagers dociles de la parole des professionnels de la parole :
 

 [6]

 


 

 [7]

 

là où d’autres, comme France24, concèdent que la pédagogie est un art délicat, sans interroger un tant soit peu la notion :
 


 

Quant à France Info, elle dévoile à son insu la véritable fonction de la « pédagogie » : faire accepter au plus grand nombre une réforme consistant à faire un cadeau fiscal « nécessaire » aux plus nantis :
 


 

C’est pourtant Le Point, reprenant un message de l’AFP, qui atteint des sommets d’ingénuité – ou d’incompétence – professionnelle en relayant sans ciller le message selon lequel le président a donné l’ordre « de faire plus de pédagogie et de transmettre le message dans les médias  ». Comble de la complicité politico-médiatique ? Peut-être. Degré zéro du journalisme ? Sans doute.
 


 

RTL, pas en reste, tape sur le même clou et, au risque de la tautologie, contribue inéluctablement à son tour à l’enfoncer dans le crâne de ses auditeurs :
 


 

***

Nous ne le savons que trop : sur le fonds gris de leur commune appartenance, les professionnels de la profession – médiatique et politique – sont plus que jamais épris de communication. Sans doute ce jeu de vases communicants serait moins problématique si ces univers n’avaient de cesse de se gargariser de déontologie et de démocratie. Or dans ce barnum politico-médiatique qui tourne sept jours sur sept et 24 heures sur 24, le journalisme spécialisé – narcissisme suprême – ne semble plus voir la politique que comme un jeu de miroirs et d’images… médiatiques ! Et si les journalistes entendent ne pas en être dupes, en le déplorant régulièrement et en brandissant leur capacité à « décrypter » l’emprise de la communication sur le monde politique, ils feraient tout aussi bien de se préoccuper de l’abaissement de la fonction journalistique lorsqu’elle consiste principalement à commenter complaisamment – quand ce n’est pas servilement – les aléas de cette même communication. Aux dépens d’une victime, toujours la même : une information digne de ce nom.
 

Thibault Roques

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