Le Canada adopte la loi antirusse Magnitski
Par Laurent Lafrance, 4 décembre 2017
WSWS
Avec l'appui de tous les partis, le Parlement du Canada a adopté, à la fin du mois d'octobre, une nouvelle loi sur les sanctions inspirée de la loi américaine Magnitski. Sous prétexte de viser de prétendus violateurs des droits de la personne, la loi offre un moyen à Ottawa de sanctionner les dirigeants de, et liés à, la Russie et d'autres pays qui sont dans la mire de l'impérialisme canadien et américain.
La Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus (Loi S-226) permet au gouvernement de geler les avoirs canadiens de «dirigeants étrangers corrompus» et d'empêcher leur entrée au Canada. La ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, nationaliste ukrainienne avouée et faucon antirusse notoire, a annoncée la première ronde de sanctions sous la nouvelle loi au début de novembre. Elles visent 52 individus en Russie, au Soudan du Sud et au Vénézuela, incluant le président vénézuélien Nicolas Maduro.
Ces sanctions ont été imposées seulement quelques semaines après que le Canada a ciblé quarante autres individus et officiels vénézuéliens sous un autre régime de sanctions. Le ministre des Affaires étrangères vénézuélien Jorge Arreaza a qualifié les sanctions d'«illégales» et a accusé le Canada d'une «entière et honteuse subordination» à Washington et à sa campagne visant un changement de régime à Caracas.
Le président russe Vladimir Poutine a réagi à l'adoption de la loi S-226 en accusant le Canada de jouer un à «jeu politique non constructif». Tout en ne nommant personne, Kiril Kaligin, le porte-parole de l'ambassade russe à Ottawa, a indiqué au Globe and Mail qu'un «grand nombre de Canadiens qui ont adopté une ligne russophobe toxique» sont maintenant interdits d'entrée en Russie. La porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a confirmé que la liste de Canadiens «comptait des dizaines de noms».
La «loi Magnitski» du Canada est seulement la dernière étape en date dans sa longue et croissante rivalité stratégique avec la Russie. Ottawa a farouchement soutenu l'expansion de l'OTAN aux frontières russes, qui fut effectuée en trahissant les promesses faites à Moscou à la fin de la Guerre froide. Le Canada a joué un rôle majeur, depuis un quart de siècle, dans les efforts des États-Unis pour amener l'Ukraine sous domination occidentale; et aujourd'hui, fais partie intégrante de l'offensive stratégico-militaire menée par les États-Unis pour isoler la Russie, l'encercler et préparer la guerre contre elle.
Depuis son arrivée au pouvoir en 2015, le gouvernement libéral de Trudeau a continué et même intensifié le programme antirusse du premier ministre conservateur Stephen Harper.
En Ukraine, le Canada et été profondément impliqué dans le putsch de février 2014 conduit par des groupes fascistes et orchestré par les États-Unis pour renverser le président prorusse élu Victor Ianoukovitch.
Trudeau a perpétué la relation de proximité avec le régime d'extrême droite installé à Kiev. L'année dernière Ottawa a signé une entente de libre-échange avec l'Ukraine qui facilite les accords de ventes d'armes entre les deux pays. Lorsqu'il s'est rendu en Ukraine lors de l'été 2016, Trudeau a vanté le fait que des troupes canadiennes entrainent les forces ukrainiennes pour «libérer» l'est de l'Ukraine des séparatistes prorusses. Il faisait référence aux 200 soldats des Forces armées canadiennes qui font l'entrainement des troupes de l'armée ukrainienne et de la Garde nationale dont la mission doit durer jusqu'en 2019.
Les Forces armées canadiennes commandent et maintiennent un groupe de combat «déployé à l'avant» en Lettonie, l'un des quatre de ces bataillons établis depuis 2016 dans les trois États baltes et en Pologne. Le Canada déploie également de manière routinière des navires et des avions de guerre en Mer noire pour patrouiller près de la frontière russe occidentale.
Un autre élément du conflit entre le Canada et la Russie est la détermination d'Ottawa d'étendre sa présence militaire dans l'Arctique, où les deux pays sont en compétition pour revendiquer les fonds marins arctiques riches en ressource.
La loi Magnitski d'origine fut adoptée en 2012, avec le soutien des deux partis, comme partie intégrante de la posture de plus en plus antirusse de l'administration Obama. L'administration Obama s'est emparée de la campagne antirusse effrénée fomentée par le financier multimilliardaire et cofondateur de Hermitage Capital, William F. Browder, visant l'imposition de mesures antirusses depuis le décès de son avocat, Sergei Magnitski, dans une prison russe. Browder, qui a fait fortune avec la restauration du capitalisme en Russie, allègue que Magnitski a été emprisonné sous de fausses accusations et a refusé des soins médicaux adéquats, parce qu'il avait découvert une fraude fiscale de 230 milliards de dollars US impliquant des dirigeants du gouvernement russe.
En plus des États-Unis et du Canada, la Grande-Bretagne et l'Estonie ont mis en place des législations de type Magnitski. La loi américaine permet au gouvernement de refuser les demandes de visas et de bloquer l'accès aux banques américaines aux Russes et aux autres étrangers accusés d'«abus» des droits de la personne.
Browder a salué l'adoption par le Canada d'une telle législation, affirmant que «le fait que le gouvernement ait fait cela rapidement démontre à quel point ils sont sérieux. C'est la démonstration d'un leadership moral dans un monde qui manque cruellement de leadership mondial en ce moment.»
En réalité, l'adoption unanime par le parlement canadien d'une loi de type Magnitski est un autre signe qui démontre que la classe dirigeante canadienne est déterminée à approfondir son partenariat militaro-sécuritaire, déjà très étroit, avec Washington, tout en pressant l'administration Trump de ne chercher aucun compromis avec Moscou.
Depuis l'élection de Donald Trump, les libéraux de Trudeau et les médias corporatistes canadiens se sont alignés avec la virulente campagne antirusse organisée par les démocrates et une section des républicains, ligués avec l'appareil militaire et du renseignement. Sans fournir aucune preuve, cette campagne a affirmé sans retenue que la Russie, sous les ordres directs de Poutine, est intervenue clandestinement dans la campagne présidentielle de 2016 pour miner la candidature d'Hillary Clinton et pour favoriser la victoire de Trump.
Cette campagne néo-maccarthiste est de plus en plus exploitée pour étiqueter toutes voix critiques envers la classe dirigeante américaine en tant que laquais de la Russie et pour demander la censure de ces voix. Cela prend place dans le contexte d'une lutte féroce au sein de l'establishment politique américain sur des questions de politique étrangère. Spécifiquement, l'enjeu en question est de prioriser la Russie ou, comme le défend Trump, la Chine pour une confrontation économique et militaire.
Bien que la Russie soit la cible principale de la loi S-226, le gouvernement libéral cherche à invoquer les droits de la personne pour faire valoir les intérêts impérialistes canadiens à travers le globe.
La rhétorique «humanitaire» de Trudeau est empreinte d'hypocrisie. Le Canada, en tant qu'allié de longue date de l'impérialisme américain, a usé des méthodes les plus impitoyables pour imposer ses ambitions prédatrices impérialistes à travers le monde. Cela englobe l'assistance dans l'installation, l'armement et également le soutien de dictatures de droite, l'appui aux guerres d'agression américaines, et l'espionnage des populations de la planète à travers l'appartenance du Canada au réseau de surveillance du Five Eyes, dirigé par la National Security Agency (NSA) américaine.
En tandem avec Washington, Ottawa maintien un mutisme assidu lorsque des gouvernements alignés sur l'occident, tel que l'Arabie saoudite, Israël ou l'Égypte, commettent des violations des droits de la personne évidentes. D'ailleurs, le Canada a récemment conclut un contrat d'armement de 15 milliards avec Riyad, facilitant ainsi à la monarchie absolutiste l'oppression de sa propre population et sa guerre brutale contre le peuple yéménite, qui a causé des dizaines de milliers de morts dans le pays arabe le plus pauvre de la planète. Lors de sa plus récente tournée de l'Asie, Trudeau a déclaré vouloir travailler avec le président fascisant des Philippines, Rodrigo Duterte, et même avec le gouvernement birman d'Aung San Suu Khy, qui effectue en ce moment un pogrom ethnique contre les musulmans rohingyas.
Tout en affirmant défendre le droit international et les droits de la personne, le Canada a pratiquement été engagé dans une série de guerres sans fin depuis les deux dernières décennies, incluant le bombardement de l'OTAN de la Yougoslavie en 1999, l'invasion de l'Afghanistan débutée en 2001, la guerre de Libye de 2011 et les conflits en cours en Syrie et en Irak. Dans ses interventions étrangères, le Canada n'a montré aucun scrupule à coopérer avec des forces d'extrême droite, fascisantes, tel que lors du renversement du gouvernement de Jean-Bertrand Aristide à Haïti en 2004.
Trudeau est également indifférent aux abus flagrants des droits de la personne au pays, lorsqu'il n'est pas simplement en train d'empiéter de plus belle sur les droits démocratiques des Canadiens. Trudeau prêche la «réconciliation» avec les Premières nations. Toutefois, son gouvernement refuse de fournir aux gens des Premières nations qui vivent dans des réserves un financement par habitant des soins de santé et de l'éducation comparables à ceux offerts aux autres Canadiens, et a intimement rassuré les grandes pétrolières qu'il était prêt à déployer l'armée pour réprimer toute protestation contre la construction de pipelines écologiquement et socialement destructeurs.
Et tandis que les libéraux font tout pour prévenir que les demandeurs d'asile désespérés se rendent au Canada, fuyant l'offensive anti-immigrante de l'administration Trump, des centaines de réfugiés, incluant des enfants, croupissent dans des prisons canadiennes sans procès, principalement parce qu'ils ne peuvent fournir les documents d'identification adéquats. Depuis 2000, au moins 15 personnes sont décédées lorsqu'elles étaient détenues par l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), incluant au moins trois depuis que les libéraux sont arrivés au pouvoir il y a de cela deux ans.
(Article paru en anglais le 25 novembre 2017)