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La dérive illégale de la mission syrienne de Trump (Consortium News)

par Paul R. Pillar 17 Janvier 2018, 09:52 Syrie Trump Impérialisme Illégalité Armée US USA

Trump CREDIT VIDEO SCREENGRAB

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Alors même que le « califat » de l’État islamique en Syrie s’effondre, le gouvernement des États-Unis maintient environ 2 000 soldats dans le pays malgré l’absence de toute légitimité, comme l’explique l’ex-analyste de la CIA Paul R. Pillar.

 

L’autre jour, nous avons appris qu’il y a quatre fois plus de soldats américains en Syrie que ce que n’importe quel autre chiffre officiel ne l’avait admis. L’écart n’a pas beaucoup retenu l’attention du public, peut-être parce que les effectifs sont faibles par rapport à d’autres déploiements militaires américains : environ 2 000 soldats en Syrie, le chiffre officiel antérieur étant de 500.

Le secrétaire à la Défense Jim Mattis rencontre les troupes stationnées à la base aérienne d’Al Oudid, Qatar, le 21 avril 2017. (Photo du sergent Brigitte N. Brantley, technicienne de la Force aérienne)

De toute évidence, le décompte incomplet n’avait pas tenu compte du personnel affecté à des affectations de courte durée et de certaines autres missions délicates. Un porte-parole du Pentagone a déclaré que la publication de la nouvelle configuration plus complète fait partie d’un effort du secrétaire à la Défense James Mattis pour être plus transparent.

Moins transparente que les nouvelles données sur le nombre de soldats américains, est la raison pour laquelle ces troupes restent en Syrie. La seule raison incontestable du déploiement en Syrie a été de combattre ce qu’on appelle l’État islamique, qui est un acteur non étatique non conventionnel, mais qui a défini des cibles militaires conventionnelles lorsqu’il a créé une entité de type étatique occupant un territoire important en Syrie et en Irak.

Le mini-état islamique est maintenant pratiquement éliminé. Néanmoins, la présence militaire américaine en Syrie, bien qu’en baisse par rapport à son point culminant, ne semble pas vouloir prendre fin. Mattis a dit que les États-Unis « ne vont pas simplement abandonner » leurs efforts en Syrie.

 

Des signes d’une dérive de la mission

Les États-Unis montrent un détournement de la mission en Syrie, avec des nouvelles raisons invoquées pour remplacer la mission de combat armé contre le califat de l’EI. Il y a des modèles familiers sous cette perversion de la mission, qui se sont déjà trouvés derrière d’autres expéditions militaires. Donald Trump n’est pas à l’origine de ces conceptions, mais son administration les a adoptées.

Le commentaire de Mattis sur le fait de ne pas abandonner un terrain où les États-unis se sont déjà impliqués, démontre une de ces habitudes de pensée des Américains, qui est de croire que les États-Unis sont mieux équipés, et doivent être plus responsables, pour ramener le droit dans n’importe quel pays dans la tourmente, et dans lesquels les États-Unis ont bien plus qu’un intérêt passager. Pour y croire au sujet de la Syrie, il faut aller plus loin que la mission contre l’EI et de la pacification et même de quelques éléments de reconstruction du pays.

D’autres modèles de conception sur le cas Syrien comporte l’amnésie des expériences récentes appropriées et des leçons qui auraient dû en être tirées, mais bien sûr cela n’a pas été le cas. Les attitudes des américains envers l’EI, le régime syrien et les alliés russes et iraniens, y sont impliquées.

La perspective américaine dominante envers le contre-terrorisme, et aussi envers l’EI, a été lourdement militarisée, inhérente à la notion de « guerre contre la terreur ». L’usage de l’instrument militaire a été appropriée dans la mesure ou l’EI, en tant que mini-état, présentait des cibles militaires. Mais l’EI qui existe plus sur un mouvement idéologique et clandestin, ne présente plus à présent ces cibles militaires. Les instruments de contre-terrorisme non militaires sont à présent relativement plus importants.

Trop souvent oublié, c’est à quel point la guerre en soi, et spécialement l’épisode de la guerre civile en Syrie, fut une aubaine pour l’EI. Aussi trop souvent sont oubliés à quel point les victimes humaines collatérales, et les destructions qui sont presque inévitables sont des sous-produits de l’action militaire américaine dans des conflits compliqués qui tendent à aggraver, plutôt qu’à réduire l’extrémisme anti-US, y compris l’extrémisme qui prend la forme de terrorisme international.

Rêves de « changements de régime »

Une conception habituelle sur l’EI fut que Assad devait être renversé si il n’y avait aucun espoir de détruire l’EI. Max Abrahms et John Glaser cataloguent les nombreuses répétitions, proclamées sur les deux dernières années sur le thème que la victoire sur l’EI passerait par la défaite d’Assad. La situation actuelle avec le califat de l’EI qui disparaît alors que Assad reste installé à Damas, démontre à quel point cet argument était faux.

Le président syrien Bachar al-Assad devant une photo de son père, Hafez al-Assad.

Beaucoup de ceux qui proposent cet argument sont parmi ceux qui encouragent à présent le continuation et l’expansion de l’expédition militaire américaine en Syrie sans reconnaître à quel point leurs déclarations précédentes étaient erronées. Cela démontre à nouveau le peu de responsabilité sur des analyses politiques défaillantes parmi la classe des décideurs à Washington.

Le rêve de la chute d’Assad ne s’éteint pas, même si, avec le soutien de ses amis, il ne semble pas qu’il s’en aille dans un futur proche. La persistance de ce rêve implique plus d’amnésie, sur au moins deux aspects. L’un est l’oubli des conséquences des précédentes tentatives des États-Unis, ou soutenues par les États-Unis, pour un changement de régime dans la région. Cela comporte l’invasion de l’Irak en 2003, qui a donné naissance à un groupe que l’on a connu plus tard sous le nom de EI, et le chaos provoqué par le renversement de Kadhafi en Libye.

Il y a aussi semble-t-il un oubli sur la longue durée au pouvoir des Assad – comprenant le père Hafez, qui détruisait l’opposition interne aussi brutalement que son fils Bachar, 47 ans au pouvoir, pour être exact. Quiconque discute cette continuité au pouvoir de Bachar al-Assad comme intolérable, doit répondre à cette question « pourquoi maintenant ? » et expliquer comment le monde et les intérêts américains ont réussis à survivre aux Assad presque 50 ans.

Quant aux amis russes et iraniens de Bachar al-Assad, la perspective américaine dominante est l’hypothèse à somme nulle selon laquelle toute présence ou influence de l’Iran ou de la Russie est ipso facto mauvaise et contraire aux intérêts américains. Cette perspective ne fait aucun effort pour régler les aspects des actions russes ou iraniennes entrant en conflit avec les intérêts américains, les intérêts américains parallèles, ou sont sans rapport avec ces intérêts.

Cette absence de volonté persiste malgré l’exemple flagrant (pas seulement en Syrie, mais aussi en Irak et au-delà), de la lutte contre l’EI en tant qu’intérêt parallèle. S’ajoute à cette vision commune l’usage habituel de la métaphore trompeuse du vide, selon laquelle non seulement l’implication américaine, mais aussi l’implication physique et de préférence militaire pour remplir un espace est nécessaire pour contrer l’influence iranienne ou russe mal définie dans ce même espace.

Ces habitudes de penser, prises ensemble, ferment une voie de sortie de Syrie. Ils n’impliquent pas la fin de l’expédition militaire américaine. Ils empêchent de déclarer la victoire (c’est-à-dire une victoire militaire contre l’EI) et de rentrer chez soi. Vladimir Poutine, plus conscient que la plupart des experts américains du danger de rester indéfiniment coincé en Syrie, le fait maintenant.

Ainsi, la Syrie devient un endroit de plus, comme l’Afghanistan, où les États-Unis font la guerre à l’infini. Pendant ce temps, les Russes rappelleront à tout le monde qu’ils étaient là à l’invitation du gouvernement en place, ce qui n’est pas le cas des États-Unis. Les Turcs continueront de se fâcher contre la coopération tactique des États-Unis avec les Kurdes. Les extrémistes sunnites continueront d’exploiter à des fins de propagande et de recrutement tout dommage causé par les États-Unis ou leurs partenaires locaux. Et le Pentagone pourrait ou non nous dire combien de soldats américains sont là-bas.

Paul R. Pillar, au cours de ses 28 années à la Central Intelligence Agency, est devenu l’un des meilleurs analystes de l’agence.

Source : Paul R. Pillar, Consortium News, 13-12-2017

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.

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