Loi de réintégration du Donbass votée – Les accords de Minsk ont été mis à mort par la Rada sur fond de schizophrénie politique à Kiev
Par Christelle Néant
DNI Press
Depuis le Maïdan de 2014, la vie politique ukrainienne ressemble de plus en plus à un mauvais cirque, ou à un asile psychiatrique. La dernière preuve en est le vote aujourd’hui de la loi de réintégration du Donbass, alors que dans le même temps, acculée par le manque de charbon et de gaz à un prix abordable, l’Ukraine envisage de recommencer à les acheter… en Russie !!!
Car il faut être schizophrène pour qualifier la Russie de pays agresseur qui occupe des territoires appartenant à l’Ukraine tout en levant les sanctions sur la compagnie russe Ioujtrans dans l’optique de recommencer à lui acheter du charbon de type anthracite (dont l’Ukraine a besoin), et en se préparant à acheter de nouveau du gaz à la Russie dès le premier trimestre 2018 en appliquant la décision de la cour d’arbitrage de Stockholm !
Il faut d’ailleurs souligner que l’application de cette décision imposerait à Naftogaz (la compagnie de gaz ukrainienne) de payer 2 milliards de dollars à Gazprom (la compagnie de gaz russe) pour le gaz déjà livré, et de devoir continuer à payer le gaz à l’avance pour 80 % des 5 milliards de mètres cubes de gaz du contrat, tel que modifié par la cour d’arbitrage, ce qui mettrait aussi bien Naftogaz que l’État ukrainien en faillite !
Il faut rajouter à cela qu’au printemps, la cour de Londres rendra son verdict en appel concernant la dette de 3 milliards de dollars que l’Ukraine doit à la Russie (plus les intérêts qui courent depuis des années maintenant). Et Kiev aura beau se cacher derrière ses obligations envers le FMI et ses autres créanciers, le FMI justement a été très clair sur la nature de cette dette : il s’agit d’une dette souveraine. Donc si l’Ukraine ne paye pas sa dette à l’issue du verdict en appel, cela s’appellera un défaut de paiement. Ou pour dire plus clairement : l’Ukraine sera officiellement en faillite !!!
Comme on peut le voir la situation économique de l’Ukraine est sur le point de heurter le mur de la réalité et de s’y fracasser joyeusement, pour avoir suivi les fantasmes et délires de certains politiciens de Kiev, plus russophobes qu’avisés.
Une fois ce cadre posé, on comprend mieux l’importance pour Kiev de voter cette loi de réintégration du Donbass, qui permet à l’Ukraine de justifier l’enterrement des accords de Minsk et la relance des hostilités à grande échelle.
C’est que devant l’effondrement en cours du pays, les dirigeants ukrainiens n’ont plus d’autre choix que de se lancer dans une fuite en avant guerrière pour éviter de finir comme Viktor Ianoukovitch, voire pire…
Après trois jours de débats, le parlement ukrainien a donc voté aujourd’hui cette loi de réintégration du Donbass, par 280 voix pour. Sur les centaines d’amendements qui avaient été déposés, seuls huit ont été approuvés, tous les autres ont été rejetés par la Rada. Le Bloc d’Opposition a été le seul parti à s’opposer à cette loi, la considérant comme nocive pour l’Ukraine et pour le Donbass.
« Cette loi n’envoie aucun signal aux citoyens des territoires non contrôlés [par Kiev] qu’ils sont des citoyens à part entière de l’Ukraine. Elle ne contient pas de mécanismes de restitution des territoires et du peuple et ne répond pas aux intérêts de l’État, car il ne contribue pas à restaurer l’intégrité territoriale de l’Ukraine », a ainsi déclaré Iouri Boyko, le chef du Bloc d’Opposition à la Rada.
Pour lui (et pour toute personne censée), la loi va à l’encontre des accords et traités internationaux signés par l’Ukraine.
Viktor Medvedtchouk, négociateur ukrainien pour le sous-groupe humanitaire, a d’ailleurs déclaré que cette loi enterrait définitivement les accords de Minsk.
« Le parlement, qui est depuis longtemps devenu l’otage des groupes radicaux et des politiciens du « parti de la guerre », a de ses propres mains, mis fin aux tentatives de régler pacifiquement la situation dans le Donbass », a-t-il déclaré.
Pour lui, le fait que la mention aux accords de Minsk ait été retirée est la démonstration faite « au monde entier que l’Ukraine n’a pas l’intention de remplir ses obligations conclues à Minsk ». Medvedtchouk a aussi déclaré que cette loi n’est qu’un ramassis de fantasmes et de délires sur le fait de ramener la région par la force sous le giron ukrainien (grâce à une victoire militaire), qui n’aboutira qu’à séparer définitivement le Donbass de l’Ukraine.
Pour Vadim Rabinovitch, un autre député ukrainien, le vote de cette loi va isoler l’Ukraine à l’international.
« La loi sur le Donbass ne nous rapproche pas de la paix et est une bulle politique. De plus, la loi a enterré en réalité le processus de Minsk, c’est un pas de plus vers l’isolation politique de l’Ukraine, car le rejet des accords de Minsk prouve à nos partenaires européens que nous leur avons simplement tourné le dos », a déclaré le député sur sa page Facebook.
Même Anatoly Matios, le procureur militaire ukrainien, a critiqué la loi votée par la Rada.
« Je suis sûr que ce projet de loi contient tellement de bombes légales immergées, que cela amènera à de petits cataclysmes et à une apocalypse pour les gens du Donbass, à Lougansk et Donetsk. Qu’est-ce que cela signifie ? Les petites apocalypses viennent à ces personnes sous la forme d’une impossibilité d’utiliser ces provisions [contenues dans la loi] dans la vie quotidienne et cela peut entraîner une grande apocalypse », a ainsi déclaré Matios.
Il faut rappeler que cette loi qualifie les Républiques Populaires de Donetsk et de Lougansk (RPD et RPL) de territoires occupés (sic), et l’occupant ne serait autre que la Russie, qui commettrait donc ainsi une « agression armée » contre l’Ukraine (ce qui est du délire à l’état pur, il n’y a aucune armée russe en RPD ni en RPL).
Toute mention concernant l’application des accords de Minsk pour résoudre cette crise a été effacée dès la première lecture, ne laissant plus qu’un scénario d’usage de la force militaire, et de pressions politiques et diplomatiques sur la Russie pour reconquérir le Donbass.
Parmi les amendements les plus risqués pour l’Ukraine, ont été refusés celui visant à rompre les relations diplomatiques avec la Russie, à déclarer la RPD et la RPL comme organisations terroristes, et celui visant à dénoncer le traité d’amitié russo-ukrainien signé en 1997.
Ivan Vinnik, le chef du comité de sécurité et de défense nationale, avait appelé à ne surtout pas dénoncer ce traité, car il décrit les frontières entre l’Ukraine et la Russie.
« Si nous l’annulons, nous abolirons alors le tracé des frontières [du pays], donc vous ne pouvez pas l’annuler et laisser un vide, » a-t-il déclaré aux députés de la Rada.
Malgré cette mise en garde sur le fait que la rupture de ce traité aurait remis en question les frontières actuelles de l’État ukrainien, 104 députés ont quand même voté pour cette proposition délirante (voir la liste des votants sur le site de la Rada, on retrouve sans surprise parmi ceux ayant voté « pour », les plus radicaux comme Biletsky, Bereza, Savtchenko, Chevtchenko, Sementchenko, etc).
La réaction de la RPD et de la RPL a été immédiate. En pleines discussions des groupes de contact, le représentant de la RPL a déclaré que cette loi allait à l’encontre des accords de Minsk et repousserait donc indéfiniment toute tentative de résoudre pacifiquement le conflit. Il a dénoncé l’adoption de la loi de réintégration du Donbass comme une mesure unilatérale de Kiev qui « ignore les principes fondamentaux du droit international » et remet en question l’ensemble du processus de Minsk.
En RPD, la réaction a été moins diplomate, Alexandre Zakhartchenko déclarant que « cette loi va permettre [à Kiev] de laisser les mains libres aux fauteurs de guerre. Qui pourront à partir de maintenant faire sur des bases « légales » tout ce qu’ils ne pouvaient pas faire avant. Cela viole totalement les accords de Minsk ».
Pour Alexandre Zakhartchenko cette loi n’est qu’une plateforme légale pour permettre à Kiev de relancer la guerre dans le Donbass, et s’asseoir sur les accords de Minsk, comme les dirigeants ukrainiens rêvent de le faire depuis longtemps.
Les réactions côté russe vont dans le même sens d’analyse que Medvedtchouk, la RPD et la RPL.
Ainsi, pour Constantin Kosatchev, chef du comité des Affaires internationales du conseil de la fédération de Russie, cette loi met fin aux accords de Minsk. Il appelle d’ailleurs la France et l’Allemagne à évaluer cet acte hostile contre les accords dont ils sont les garants.
« La Rada ukrainienne, en adoptant la loi ignoble de réintégration du Donbass, a en fait, mis fin aux accords de Minsk, » a-t-il écrit sur Facebook.
« Comme prévu, Kiev est passé du sabotage des accords de Minsk à ses funérailles, avec, parmi d’autres conséquences extrêmement négatives, le fait de s’être gravement substitué à ses patrons occidentaux, qui maintenant en fait, sont devant un choix très difficile : entre la guerre, qui va inévitablement s’étendre plus avant sur le territoire de l’actuelle Ukraine, et une paix qui exigera dorénavant des évaluations honnêtes et un comportement responsable, » a poursuivi Kosatchev.
L’analyse de Boris Gryzlov, le représentant russe à Minsk, est très proche de celle de Kosatchev. Pour lui il s’agit de l’enterrement des accords de Minsk si la France et l’Allemagne ne se réveillent pas rapidement. Au vu de la menace d’offensive qui pèse désormais sur la RPD et la RPL, Gryzlov a même appelé les deux républiques à se préparer à devoir défendre leur territoire et leur population.
Si on regarde en parallèle, l’annonce faite par Porochenko, selon laquelle les missiles Javelin qui seront fournis à l’Ukraine le seront sur des fonds fournis par les États-Unis (ce qui équivaut à un blanc seing de la part des États-Unis), et la tentative assez pitoyable du service de presse du quartier général de l’OAT de justifier par avance l’escalade de la situation en annonçant que les armées de la RPD et de la RPL s’apprêtent à tirer sur leurs propres positions (ce qui est une inversion accusatoire flagrante) pendant les discussions qui ont lieu à Minsk, on peut en conclure sans l’ombre d’un doute que l’Ukraine est déjà prête à relancer la guerre dans le Donbass.
Aujourd’hui est un jour noir pour la paix. Aujourd’hui les accords de Minsk ont été mis à mort par le parlement ukrainien, dans le silence des médias et des chancelleries occidentales.