YENNAYER 2968: QU'EST-CE QU'ÊTRE ALGÉRIEN AU XXIE SIÈCLE ? Eloge du vivre ensemble
Par Chems Eddine Chitour
Lexpression.dz
«Tamazight est également langue nationale et officielle. L'Etat oeuvre à sa promotion et à son développement dans toutes ses variétés linguistiques en usage sur le territoire national. Il est créé une Académie algérienne de la langue amazighe, placée auprès du président de la République.» Art. 4.3 de la Constitution
Le mois de décembre a vu une colère légitime d'étudiants et de lycéens qui s'inquiétaient de la lenteur et des faibles moyens mis en oeuvre comme prévu dans la Constitution.
Même si la ministre de l'Education nationale affirme que le nombre d'élèves qui étudient la langue amazighe a atteint durant l'année 2017-2018, près de 350.000 élèves au niveau de 38 wilayas du pays encadrés par 2757 enseignants. Encore une fois, il est anormal que cette deuxième langue nationale ne bénéficie pas de la même sollicitude que l'arabe car ouvrir les classes à la demande est profondément injuste car le résultat est connu!
Cet article 4.3 de la Constitution s'il avait été appliqué sans arrière-pensée, n'aurait pas donné lieu à ces bouffées de protestation. Par méconnaissance, par calcul, par rejet, il est pratiquement sûr que la langue amazighe ne sera pas répandue à travers le territoire national. Si c'est une langue nationale elle devrait avoir les mêmes chances d'épanouissement. Tous les combats d'arrière-garde actuels montrent que le problème du vivre ensemble reste entier et la guerre de tranchées par télévisions interposées. De quoi s'agit-il en fait? d'une coexistence apaisée de deux langues dans leurs dimensions séculières et séculaires, constitutives de l'âme algérienne. La visibilité pour la langue amazighe devrait être revendiquée par tous les Algériens sans exclusive et non pas par une région ce qui n'excluent pas, on l'aura compris, les manipulations en tout genre. Ce genre de débat sur l'identité ne devrait pas créer d'aspérités favorables à des revendications politiques qui n'ont rien à voir avec la nécessité d' un vivre ensemble à l'ombre des lois de la République.
Il a fallu attendre la fin décembre pour que, contre toute attente, tellement l'impasse semblait être totale, le président décide enfin de faire appliquer l'esprit et à la lettre, en répondant à une revendication symbolique, celle de déclarer Yennayer jour férié et chômé à l'instar de Aouel Mouharrem consacrant ainsi un repère identitaire majeur fond rocheux des Algériens depuis près de 3000 ans. Cette victoire sur le déni est une victoire de tous les Algériens et l'on constate que par petites touches le pouvoir lâche du lest alors que la Constitution consacre cela. Cependant, il nous faut raison garder, pour ne pas connaître le triste sort qui est fait à l'Académie de langue arabe, sorte de coquille vide stérile, il ne faut pas de mon point de vue faire dans l'amateurisme, voire le militantisme, c'est seulement d'une façon scientifique que l'Algérie contribuera à l'émergence d'une deuxième langue opérationnelle.
Eloge de la langue arabe
Nous devons rassurer nos rares concitoyens à qui des sirènes mal intentionnées susurrent que c'est au détriment de la langue du Coran, que l'Algérie risque de ne plus être arabe! L'émergence de la langue amazighe des Algériens, n'est pas celle de quelques régions, mais de toute l'Algérie min atta latta de Tlemcen à Tebessa, de Tizi Ouzou à Tamanrasset aurait dit un leader islamiste, Nahnah. Je m'en vais défendre d'une façon séculière la langue arabe pour ce qu'elle est: une belle langue. On dit que les Arabes sont un ancien peuple sémitique. Beaucoup d'entre nous dans leur jeunesse ont vibré aux rapsodies et autres «mou'allaquate» «sorte de poèmes accrochés», où les joutes oratoires se faisaient à Oukadh. On rapporte que Samaouel, auteur juif antéislamique, auteur de la célèbre «lamiatou Samaouel» n'a pas voulu dévoiler un secret que lui avait confié Antar Ibn Cheddad mettant en péril de ce fait, la vie de son fils.. Depuis, l'expression «aoufa min Samaouel» «Plus fidèle - au serment- que Samaouel -» a traversé les siècles. Par la symbiose permise par le Coran, les Arabes réussirent à fédérer à l'ombre de l'islam tous les savants qu'ils soient maghrébins, perses, kurdes, arabes chrétiens, juifs. Le déni d'apport à la civilisation universelle de l'islam. C'est tout naturellement que les savants de l'époque, juifs, chrétiens assyriens, perses, se sont mis à l'arabe langue plus fluide. Quand Maimonide écrivit «Dalil el Haïrine» «le Livre des égarés», son ouvrage majeur qui est encore une référence dans le monde juif, il le fit en arabe au lieu de l'hébreu. le vrai miracle de la langue arabe est qu'elle a été la langua franca pendant des siècles. Enfin, dans le Nouveau Testament, les dernières paroles du Christ ont été laissées en araméen à laquelle l'arabe se rattache tout comme l'hébreu. A leur lecture: «Ya ilahi, Ya ilahi, Lima sabactani?» «O mon Dieu, O mon Dieu, Pourquoi m'as tu laissé tomber?»que les chrétiens occidentaux ânonnent sans savoir, un locuteur arabe les comprend parfaitement: «Mon Dieu pourquoi as-tu pris de l'avance sur moi,- tu m'as abandonné?»... L'illustre savant Jacques Berque explique dans un délicieux petit ouvrage: Les Arabes et nous que «la fonction de la langue pour les Arabes est différente, supérieure à celle qu'elle remplit pour les Occidentaux. Il donne un exemple: ainsi, en arabe, les mots se rapportant à l'écrit dérivent tous de la racine k.t.b.: maktûb, maktab, maktaba, kâtib, kitâb. En français, ces mêmes mots sont: écrit, bureau, bibliothèque, secrétaire, livre. Les mots français sont tous les cinq arbitraires, mais les mots arabes sont, eux, «soudés par une transparente logique à une racine qui seule est arbitraire». «Alors que les langues européennes solidifient le mot, le figent, en quelque sorte, dans un rapport précis avec la chose, le mot arabe reste cramponné à ses origines. Il tire substance de ses quartiers de noblesse.» (1)
Cependant, une langue ne s'impose pas quand elle n'est pas adossée à une production intellectuelle. Dans ce XXIe siècle de tous les dangers, s'il faut vibrer à la poésie, force est de constater que ce n'est plus une langue scientifique et il est plus que temps de s'arrimer à une langue scientifique, la vulgate planétaire qu'est l'anglais pour reprendre le bon mot de Pierre Bourdieu. Ce qui est donc en jeu ce n'est pas la langue arabe, mais la place de l'amazighité dans le récit national. A doses homéopathiques le pouvoir lâche du lest en fonction des rapports de force. Nous sommes tous autant que nous sommes pour l'épanouissement de la langue arabe dans l'absolu. Cependant, faut-il pour autant un comportement ostracisant concernant la langue amazighe dans sa diversité qui était là 18 siècles avant la venue des Arabes! La langue amazighe devrait être un enrichissement revendiqué par toutes les Algériennes et Algériens quelles que soient leur latitude et non par une appartenance régionale.
Plaidoyer pour l'utilisation du tamazight
Pour témoigner justement de la présence des parlers berbères dans l'histoire de l'Algérie depuis près de trente siècles, nous allons rapporter le témoignage, celui du regretté professeur Mostefa Lacheraf qui parle avec autorité et respect du gisement ancien en langue amazighe: «Des noms et des lieux: revenons-y alors que l'ignorance chez nous bat son plein au sujet de ce pays, de ses noms et pas seulement au niveau d'un état civil désastreux, mais aussi à travers le choix des parents saisis par des mimétismes orientaux, occidentaux et rarement maghrébins. Noms berbères anciens et berbères punicisés par l'attrait culturel de Carthage. Noms berbères arabes berbérisés ou greffés d'amazigh.(...) Mais l'un des prénoms, les plus significatifs de l'osmose qui a opéré au plan sémantique des usages et d'une certaine propriété des termes entre le berbère et l'arabe dialectal au point de constituer des algérianismes est certainement le «décalque» à propos d'un nom célèbre, rencontré dans l'une ou l'autre des langues...(2)
(...) Dans l'épigraphie nord-africaine à laquelle se réfère Gustave Mercier à propos de ce qu'il appelait en 1924 «La langue libyenne (c'est-à-dire le tamazight) et la toponymie antique de l'Afrique du Nord», des noms propres d'hommes et de femmes surgissent et parmi eux, il en est de moins reconnaissables comme ce Tascure, découvert gravé en latin et dont les doublets linguistiques actuels sont Tassekkurt et Sekkoura signifiant «perdrix» en kabyle». «Les topiques ou toponymes et lieudits à travers toute l'Afrique du Nord constituent, quant à eux, un véritable festival de la langue berbère, et l'on bute sur ses noms devenus familiers aux vieilles générations d'Algériens connaissant leur pays dans les moindres recoins du sous-continent maghrébin avec ses montagnes, ses coteaux, ses cols, défilés et autres. (...) Bref, un inventaire grandiose ou infinitésimal, un espace géographique modelé par les millénaires et s'exprimant en tamazight, la nature et les hommes confondus!» (2)
On sait que Mostefa Lacheraf est de ceux qui rejettent toute chapelle, voire tutelle notamment moyen-orientale au profit de notre génie propre, notre vécu: «Ne serait- ce que pour cela (qui est déjà énorme), cette langue devrait être enseignée à tous les enfants algériens afin de leur permettre de redécouvrir leur pays dans le détail et non par le biais de l'abstraction idéologique imposée au nom de la qawmiyya baâtiste et faisant de l'école une institution étrangère, sinon à notre identité proclamée en surface du moins, à notre être national véridique, fruit intime de la géographie et de l'histoire toutes deux conçues charnellement à partir du terrain et assumées comme telles sans détour ni mensonge. Et il y en a qui veulent nous ajouter d'autres tutelles sous formes d'influences inesthétiques et d'autres n'ayant rien de maghrébin, parfois manifestement anti-algériennes, oublieuses de nos épreuves, de nos acquis, de notre culture écrite et populaire de double expression berbère et arabe!»(2)
Toujours dans cette quête oecuménique qui ne fait pas dans l'exclusion j'apporte à la connaissance du patrimoine de notre pays l'étude de l'ethnologue Ali Farid Belkadi pour qui il y avait bien une culture berbère plus de neuf siècles avant J.-C., en tout cas antérieure à la venue des Phéniciens. «Selon nous, écrit-il, la plus ancienne trace parlée de la langue berbère remonte au VIIIe siècle avant J.-C. Elle figure dans le sobriquet Dido, qui fut attribué à la reine phénicienne Elissa par les anciens Berbères de la côte tunisienne. Ce surnom, Dido, qui sera transcrit par la suite Didon, replacé dans le cadre du système morpho-syntaxique berbère, est un dérivé nominal de sa racine Ddu, qui signifie: «marcher», «cheminer», «flâner», «errer». Il indique dans les parlers berbères de nos jours, la «pérégrination», synonyme de voyage, et de périple. En conséquence, la plus ancienne trace de la langue des Berbères remonte à l'arrivée de cette reine sur le rivage tunisien. Ce pseudonyme ne figure pas dans l'anthroponymie et l'épigraphie funéraire des Puniques. Certainement parce qu'il était jugé dévalorisant. Le sens Tin Ed Yeddun «l'errante», «celle qui erre», et ses passim «vadrouiller», «vagabonder», Eddu appliqué à cette reine ne convenant pas à la société punique». Le professeur Belkadi nous apprend aussi que le youyou berbère (toualouile) n'est pas de création récente ou une tradition importée, ce «fait culturel typiquement berbère» a été rapporté sous le nom de «ologougmos» par Eschyle et Hérédote qui vécurent, faut-il le rappeler au sixième et au cinquième siècle avant Jésus-Christ (-526) et (-482)». (3)
L'imposition d'un statu quo ante
Comment brièvement recenser les parties berbérophones et arabophones du pays au-delà de l'étude du génome? Pour la sociologue Leila Benhadjoudja: «La grande famille des Berbères est large et se divise en plusieurs sous-groupes dont les plus connus sont les Chaouïas, Cheluhs, les Kabyles, les Rifains, les Touareg, les Mzabs, les Zenagas, etc (...) Cependant, malgré la distinction ethnique entre Arabe et Berbère, certains penseurs restent sceptiques face à cette distinction tant les peuples de ces régions sont liés par leur histoire et tant le métissage a été important. Salem Chaker préfère parler de berbérophones (dont la langue est le tamazight) et d'arabophones car selon lui, tous les habitants de l'Afrique du Nord sont des Berbères (Chaker, 1992, 1998). Dans le cas de l'Algérie, Chaker estime ce pourcentage à 25% de berbérophones (Chaker, 2004).» (4)
On peut se demander à juste titre pourquoi ce problème linguistique n'a pas été abordé sereinement à l'indépendance, la sociologue Leila Benhadjoudja écrit à ce propos «(...) La volonté de l'État de construire une «algérianité» arabo-musulmane se justifiait en réaction à l'héritage colonial français. Cependant, le déni de la diversité linguistique et culturelle de l'Algérie représente également une continuité de la dynamique coloniale. (...) Les Français employaient le terme «musulmans» pour désigner les Algériens colonisés. Ce terme au-delà de la connotation religieuse, avait d'abord un sens politique. (....) Cependant, bien que le régime de l'indigénat concernait tous les musulmans, l'État colonial français a tout de même favorisé un groupe et a contribué à la construction des oppositions entre les identités «arabe» et «kabyle»». (...) Après cent trente-deux ans de colonisation, l'Algérie devient indépendante en 1962 et adopte une stratégie politique basée sur un concept clé: l'unicité. Une langue: l'arabe; une religion l'islam; un parti: le Front de libération nationale (FLN). Cette unicité se voulait un pilier pour la construction d'un État fort dirigé par un parti unique censé représenter tous les Algériens. Les contestations, qu'elles aient été politiques ou identitaires, comme le cas du mouvement berbère, étaient systématiquement marginalisées et réprimandées.» (4)
Souvenons-nous à l'indépendance le président Ben Bella était pris d'une véritable crise ne martelant d'une façon compulsive: «Nous sommes arabes! Nous sommes arabes! Nous sommes arabes!!» Justement, la sociologue Leila Benhadjoudja décrit cette époque. Elle écrit: «En 1963, sous l'autorité du premier président algérien Ahmed Ben Bella, un processus important a été lancé par le gouvernement se traduisant dans un mouvement nationaliste arabisant et islamisant. (...) Depuis l'indépendance, l'État algérien a fabriqué une identité officielle et a utilisé l'arabité et l'islam comme des instruments de contrôle. Par ses politiques linguistiques, l'État a limité les espaces de liberté, et par le fait même l'identité berbère. De plus, l'arabité préconisée était aussi une arabité importée qui brimait l'identité de tous les Algériens.. (...) C'est dire que l'État, par sa politique d'arabisation, a non seulement étouffé la langue berbère, mais aussi la langue parlée par la grande majorité de la population. (...) L'État algérien se conçoit encore comme un État-nation homogène ne laissant place qu'à une seule conception ethnique et politique de l'algérianité, ne reconnaissant ainsi l'existence d'aucune minorité et d'aucun peuple. En voulant se rapprocher des peuples du Machrek, l'État a nié l'existence des peuples de son territoire.» (4)
Les conséquences de ce déni d'identité
Quand des politiciens qui ne savent pas de quoi ils parlent, affirment sans retenue qu'il y a un problème kabyle et que le pouvoir colonial a perduré par cette cinquième colonne après l'indépendance. Qu'il y ait des nostalgiques du bon temps des colonies c'est un fait!Mais sont-ils seulement à recenser chez les Algériens de Kabylie et pas aussi ailleurs? La langue amazighe a trop souffert des atermoiements. On comprend dans ces conditions que ces braises qui couvent peuvent mettre le feu à tout moment et faire d'une revendication d'expression, somme toute légitime, un incendie qui risque d'emporter le pays dans un contexte de plus en plus critique. On comprend aussi l'étouffement d'une région, mais ce n'est pas pour autant qu'il faille parler de sécession et de dire que la guerre d'épouvante menée en Kabylie était un malentendu comme cela a été fait dans une communication à l'Assemblée française.
Il y a me semble-t-il des fils rouges à ne pas dépasser, ceux d'un vivre ensemble et d'une appartenance de chaque région du pays à tous les Algériens sans indifférenciation. Dans cet ordre justement de fils rouges dépassés, la lettre de l'universitaire Salah Guemriche à Ferhat Mehenni mérite d'être citée même en substance: «Cher Ferhat, la Kabylie, j'y possède un empan («chber»), même symbolique, comme tu en as un du côté de chez moi, dans l'Est algérien (...) Tu as donc franchi le pas, un pas d'«aventurier de l'arche perdue», en créant le Mouvement pour l'autonomie de la Kabylie (MAK), (...) j'ai toujours fait mienne la cause berbère, non point comme militant, mais comme citoyen algérien non berbérophone, pour qui la reconnaissance de l'antériorité de l'entité berbère est une nécessité ontologique et l'officialisation de la langue amazighe un facteur d'épanouissement de l'être algérien et non pas un facteur de division (5).»
C'est faire injure à tous les combats que les Algériens ont mené pour la dignité et la liberté. Quand Lalla Ftama Nsoumer nous interpelle avec son cri de ralliement Annif aithmathane. l'honneur mes frères, ce n'était pas un malentendu, mais une profonde conviction qu'il fallait se battre et ne rien attendre d'un pouvoir colonial imbu de défendre la race des élus.
Ce qui risque de nous arriver
Les convulsions actuelles des pays arabes sont dues à plusieurs facteurs dont les principaux qui sont l'instrumentalisation de la religion à la fois par les pouvoirs en place, mais aussi par les interférences externes dans le combat de titans qui oppose actuellement deux visions du monde: un monde ancien, celui de l'hyperpuissance de l'Empire américain avec ses vassaux anglais et français toujours à la manoeuvre, comme nous l'avons vu avec l'Afghanistan, l'Irak, la Libye, la Syrie et même le Yémen dernier candidat à la destruction de sa culture. En face le nouveau monde multipolaire empêché d'apparaître. Quand on sait que tout est fait pour attiser les tensions religieuses et «ethniques». Ce cri du coeur du physicien Ahmed Bensaâda résume plus que 1000 discours l'état des Arabes: «Depuis un quart de siècle, le monde arabe vit au rythme des coalitions. (..)De coalition en coalition, ce monde n'a connu que les massacres, les viols, les exodes et les ruines. De coalition en coalition, le sang de centaines de milliers d'Arabes a coulé, abreuvant non seulement la haine des Arabes entre eux, mais aussi entre les Arabes et les Occidentaux. De coalition en coalition, poursuit l'auteur, on a réussi à offrir au monde arabe une saison nouvelle. Bien au contraire, jamais saison n'a été aussi funeste: 1,4 million de victimes (morts et blessés), 833 milliards de dollars de pertes et un nombre astronomique de séquelles à tout jamais gravées dans les corps, dans les esprits et dans les idéaux. (...). Au temps béni des coalitions, le monde arabe n'en finit plus de saigner, n'en finit plus de pleurer, n'en finit plus de péricliter...» (8)
Voulons-nous finir comme ces pays? Nous ne sommes pas à l'abri de perturbations allogènes. Même un grand pays comme l'Iran est en train de connaître des problèmes et pour les spécialistes des «printemps» tout est bon pour créer le chaos.
Nous devons tout faire pour favoriser le vivre-ensemble par le brassage qui permettra aux Algériennes et aux Algériens de se connaître et de s'estimer et de se sentir solidaires envers le pays et envers l'Histoire. Les opportunités suivantes peuvent être mises en oeuvre. Les vrais défis qui nous attendent se résument à tout ce qui favorise l'éducation. Pour moi, tout est une question d'éducation; le meilleur capital, la meilleure richesse de ce pays consiste en la mise en place graduelle d'un système éducatif performant. Rien ne doit être refusé à la formation, à la recherche. Quelle que soit la santé financière du pays, nous devons former et protéger l'élite en y mettant les moyens. Nous ferons émerger des lycées d'excellence, des Ecoles d'ingénieurs d'excellence, des Ecoles de médecine, de droit, de sciences économiques d'excellence. Nous devons de plus en plus récompenser l'effort et le mérite, faire émerger les légitimités du savoir, de la compétence, seuls critères pour avancer dans un monde de plus en plus compétitif qui ne fait pas de place aux faibles.
Tout doit être fait pour amener à ce brassage. La grande erreur est d'avoir reproduit l'Etat à l'échelle de la wilaya. Un jeune naît, va à l'école, au lycée dans sa ville, dans son université, dans sa wilaya où toutes les spécialités existent même si les compétences ne suivent pas! Il ne connaît pratiquement rien du reste du pays. C'est sa tribu qui l'intéresse et au mieux sa wilaya. Les spécialités doivent être réparties non pas en fonction des humeurs des chefs, mais avec un projet en tête d'autant que les trois-quarts des universités n'ont d'université du point de vue normes scientifiques, que le nom. Sur le plan scientifique, des compétitions scientifiques inter-universités, contribueront à ce creuset du vivre ensemble comme le faisait à l'époque le Service national. Réhabiliter le sport scolaire et universitaire permettra de favoriser les compétitions scolaires et universitaires, inter-lycées, inter-villes inter-wilayas, l'Algérie sera alors une immense ruche où l'appartenance identitaire à l'algérianité sera tout à fait naturelle. Enfin, sur le plan culturel par la mise en place de semaines culturelles inter-wilayas permettront un melting-pot qui stabilisera le pays et lui permettra de se défaire aussi des pesanteurs sociologiques que les pouvoirs qui se sont succédé n'ont pas pu ou voulu résoudre.
Il est curieux de constater que les intellectuels que nous sommes sont plus enclins à signer des pétitions que de se sentir interpellés par des causes autrement plus importantes. Plus que jamais nous devons nous unir pour conjurer les périls. L'effritement identitaire est un projet planétaire, notamment décrit dans le Rapport Lugano qui postule en direction des nations faibles; les citoyens de ces pays doivent passer leur temps à se demander ce qu'ils sont, qu'à se mettre au travail, à s'instruire, à s'éduquer.
La nécessaire union autour d'un projet de société
Nous ne nous sommes jamais posés la question de savoir ce que nous sommes réellement. Plus que jamais nous sommes victimes du Rapport Lugano conçu par l'Empire et dont le message global est celui de provoquer l'errance identitaire qui touche à des degrés divers tous les pays et d'une façon dangereuse les pays vulnérables. Sommes-nous algériens par la naissance, par la religion, par l'ethnie ou par la présence lointaine dans le pays? Toutes ces questions attendent d'être résolues. Sommes-nous une nation? Nous sommes en 2017, il y a encore des Algériens qui s'identifient à leurs tribus, leurs régions, leurs quartiers, mais jamais en tant qu'Algériens. Comment conjurer les démons de la division et aller vers le vivre-ensemble? L'historien Ernest Renan formule l'idée qu'une nation repose à la fois sur un héritage passé qu'il s'agit d'honorer, et sur la volonté présente de le perpétuer. L'avènement d'une nation passe par une Histoire assumée par tous. Et pour le paraphraser «le vivre ensemble à l'ombre des lois de la République devrait être un plébiscite de tous les jours». Que voulons-nous en définitive pour ce pays? Entre ceux qui veulent la partition du pays croyant sauver la Kabylie et ceux qui pensent que le salut de l'Algérie est à rechercher auprès d'une sphère moyen-orientale arabe avec qui à l'évidence, nous n'avons aucun atome crochu, le moment est venu de faire preuve d'audace pour être en phase avec le mouvement du monde, sans rien perdre de nos identités multiples. Savons-nous qu'en Inde il y a plusieurs centaine de langues qui coexistent sans heurt? De plus, pourquoi devons-nous à tout prix copier le modèle jacobin centraliste hérité et qui étouffe les particularités? En France, il fut une époque où il était interdit aux élèves de parler breton, ou corse sous peine de sanctions Aux Etats-Unis les 50 Etats sont autonomes et l'Etat fédéral est là pour laisser chacun des gouverneurs des Etats gérer de façon optimale avec les citoyens au mieux les affaires de l'Etat. Ne peut-on pas penser à une organisation type Landers allemands où chaque région dispose d'une autonomie dans le cadre d'un État fédéral qui est garant des fondamentaux ?
Pour conjurer les périls
Nous pourrons citer dans le cas de l'Algérie, le drapeau, la monnaie, l'identité, les langues, les fonctions de défense. Nous devons penser Algériens et non pas en fonction de nos régions nos particularités «ethniques» ou religieuses. Nous devons rapidement régler cette cause du vivre ensemble pour que chaque Algérien se sente bien, qu'il soit fier des multiples facettes du pays et comme le proclamait un homme politique parlant de l'unité, il cite quatre villes points cardinaux: «L'Algérie Min Ta Latta» (l'Algérie de Ta à Ta) «l'Algérie de Tlemcen à Tebassa, de Tizi Ouzou à Tamanrasset». (9)
Qu'on prenne garde! La bête immonde de la partition qui a eu raison de civilisations millénaires aussi prestigieuses, comme l'Irak, la Syrie, ne nous fera pas de cadeau. Le jacobinisme en Algérie a montré ses limites. Il nous faut imaginer un modèle de vivre ensemble qui libère les initiatives par une décentralisation intelligente. Les partis politiques ont une mission historique, celle de contribuer à sauver le pays. Le peuple se souviendra le moment venu de ceux qui jouent les Ponce Pilate alors que le feu est dans la maison.
En définitive, la plus grande richesse du pays est sa jeunesse à qui nous devons expliquer les enjeux pour la faire participer aux défis du pays. Il nous faut des hommes d'Etat qui pensent aux générations futures et non des hommes politiques qui pensent aux prochaines élections. Nous sommes convaincus que nous devons mobiliser les jeunes autour d'un défi, celui d'aller à la conquête du savoir. Nous devons faire émerger une conscience d'appartenir à un grand pays avec une histoire prestigieuse de plus de 3000 ans. Les défis exaltants auxquels est confronté le pays nous commandent d'être unis pour les grandes causes, il s'agir d'assurer à l'Algérie de garder sa place dans le concert des nations et de préparer l'avenir. Les défis du pays sont multiples, mais ils ne peuvent être abordés qu'en réglant ces préalables qui barreront la route à l'aventure. Le pouvoir s'honorerait en montrant sa disponibilité à mettre en oeuvre sans atermoiements ou manoeuvre, sans tarder, les lois et décrets visant à remettre cette langue alma mater de l'Algérie à sa juste dimension! Car une nation apaisée qui s'accepte dans ses multiples dimensions pourra mettre ses citoyens en ordre de marche pour conjurer les périls à venir. L'Algérien du XXIe siècle, fier de son socle identitaire trois fois millénaire, aura sans nul doute à coeur de rattraper le temps perdu, il participera à la construction du pays en étant, acteur ce faisant de son destin ne laissant aucun interstice à l'aventure dans cette Algérie qui nous tient tant à coeur.
1.Jacques Berque: islam-fraternet. com/maj-0598/berq.htm
2. Mostefa Lacheraf: Des noms et des lieux, éditions Casbah, pages 19 à 30 (1998)
3.Ali Farid Belkadi: A propos du youyou traditionnel Colloque Cread: Quels savoirs pour quelles sociétés dans un monde globalisé? Alger 8-11 novembre. 2007
4. https://s3-eu-west-1.amazonaws.com/dynamiquesinternationales/DI7/Benhadjoudja+-DI7.pdf
5. http://www.tamurt.info/la-kabylie-a-l-honneur-a-l-assemblee-nationale-francaise,2193.html?lang=fr
6.Guemriche http://www.lematindz.net/news/20931-lettre-ouverte-a-ferhat-mehenni.html
7.C.E. Chitour: Le vrai malentendu algérien: comment réconcilier les Algériens avec leur histoire Mondialisation.ca, Le 23 janvier 2012
8.Ahmed Bensaada: Au temps béni des coalitions 18 décembre 2015
http://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id=345:2015-12-18-14-26-05&catid=46:qprintemps-arabeq&Itemid=119
9.http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_ chitour/243810-le-necessaire-vivre-ensemble.html