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La guerre de Manbij aura-t-elle lieu ? (OLJ)

par Antoine Ajoury 2 Février 2018, 14:02 Manbij Armée turque Armée US Confrontation Impérialisme Syrie

La guerre de Manbij aura-t-elle lieu ? (OLJ)

Les Américains ont rejeté l’appel d’Ankara à retirer leurs soldats de la ville syrienne, mais poursuivent le dialogue avec les Turcs.

C’était il y a presque un an. En mars 2017, des véhicules blindés américains étaient repérés en train de parader à Manbij, ville située dans le nord de la Syrie, près de la frontière turque. À cette époque, l’armée d’Ankara accompagnée de rebelles syriens avançait par le nord en direction de Manbij, dans le cadre de l’opération « Bouclier de l’Euphrate », et les forces du régime syrien appuyées par ses alliés russes se rapprochaient de la ville par l’est.
Pour les Américains, le but de ce défilé musclé était double. D’abord, contrer la progression des différentes forces qui voulaient avancer vers Raqqa, capitale de l’État islamique en Syrie, objet de convoitise de la part de toutes les parties qui voulaient libérer la ville des jihadistes. Ensuite, défendre leurs alliés des FDS (Forces démocratiques syriennes), une coalition militaire formée de combattants arabes et kurdes, dont les YPG (Forces démocratiques du peuple) qu’Ankara considère comme terroristes.


Un an plus tard, les Turcs semblent vouloir prendre leur revanche. Le président Recep Tayyip Erdogan, qui a lancé il y a deux semaines l’opération « Rameau d’olivier » pour chasser les combattants kurdes des YPG de Afrine, à une centaine de kilomètres plus à l’ouest, a déclaré la semaine dernière que Manbij serait le prochain objectif de l’armée turque.
Son ministre des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu, a par la suite exigé que les Américains se retirent de Manbij. « Il faut que les États-Unis rompent totalement avec (les YPG), qu’ils récupèrent les armes qu’ils leur ont données », a ajouté M. Cavusoglu.
Les Turcs espèrent probablement faire pression sur les Américains en vue de conclure un accord sur Manbij, comme ils l’ont fait avec les Russes sur Afrine. Ces derniers s’étaient retirés de la région juste avant le début de l’opération « Rameau d’olivier ».
N’ayant pas accompli de succès significatif à Afrine, les Turcs veulent donc changer de cible en se tournant vers l’est, notamment Azzaz puis Manbij. D’autant plus que pour Ankara, le maintien des Kurdes à Manbij est considéré comme un affront, alors que les États-Unis avait promis à Ankara, l’année dernière, que les forces kurdes se retireraient à l’est de l’Euphrate. La Turquie reproche à Washington de soutenir un groupe qu’elle considère comme une menace à sa sécurité. Les Turcs espèrent en outre faire avorter la constitution du Rojava, une zone autonome administrée par les Kurdes à sa frontière sud et comprenant les cantons de Afrine, Jazira et Kobané.


Risque de confrontation
L’opération « Rameau d’olivier » a ainsi augmenté les tensions entre la Turquie et les États-Unis, déjà à leur comble après que ces derniers ont annoncé récemment la formation d’une force d’environ 30 000 hommes, dont la moitié serait des membres des FDS, pour défendre la frontière nord de la Syrie.
Malgré les menaces turques, les États-Unis ont explicitement annoncé cette semaine qu’ils n’envisagent pas de retirer leurs soldats stationnés près de la ville de Manbij. Retirer les forces américaines de Manbij, a déclaré à CNN le général Joseph Votel, chef du CentCom, le commandement central des forces américaines, n’est « pas quelque chose que nous étudions ». Les forces américaines pourraient de ce fait se retrouver face à face avec l’armée turque, au risque d’entrer en confrontation militaire directe sur le terrain.
Malgré les risques minimes d’un tel affrontement, la situation menace de déraper. Si tel était le cas, il s’agirait d’une première entre pays membres de l’OTAN.
Washington et Ankara seraient donc condamnés à trouver un compromis. Pour ce faire, les Américains devront revoir leur stratégie afin de répondre aux préoccupations sécuritaires de la Turquie, notamment leur soutien militaire aux Kurdes des YPG. Le conseiller à la Sécurité nationale du président Trump, H.R. McMaster, a déjà affirmé que les États-Unis ne fourniraient plus d’armes aux combattants YPG ou PYD. « Au-delà des paroles, nous voulons maintenant voir des actions concrètes », a réagi M. Cavusoglu.
De son côté, le Pentagone a souligné lundi que sa « seule relation officielle à Manbij » est avec le Conseil militaire de Manbij (un organisme composé de 60 % d’Arabes, tandis que les 40 % restants sont kurdes, turkmènes et circassiens), excluant ainsi tout lien direct avec les YPG.


Par ailleurs, le dialogue ne s’est pas interrompu entre Washington et Ankara. Le colonel Robert Manning, directeur des opérations de presse au Pentagone, a ainsi déclaré que la Turquie est un allié membre de l’OTAN et que « nous sommes en communication constante et étroite avec eux ».


Des assurances américaines relatives à un changement de politique concernant les Kurdes des YPG pourraient ainsi désamorcer les tensions avec Ankara qui n’a pas oublié son humiliation d’être exclue de l’offensive contre l’EI à Raqqa, à cause de la présence des forces kurdes. Empêtrés dans leur offensive à Afrine, les Turcs pourraient bien mettre de l’eau dans leur vin et revoir leurs exigence concernant un retrait des forces américaines.
Surtout que les États-Unis rechignent à l’idée de se retirer de la région de Manbij. D’abord, ils y laisseraient de leur crédibilité, notamment chez les Kurdes, leurs alliés numéro un en Syrie face à l’EI.


Ensuite, la région de Manbij se trouve à une intersection où différentes armées sont présentes ainsi qu’une multitude de groupes rebelles. Un retrait américain pourrait briser le délicat équilibre entre les différents protagonistes, laissant la voie libre au régime syrien pour avancer vers l’est. D’autre part, les troupes américaines cherchent à lutter contre l’influence iranienne en Syrie. « Un désengagement américain » fournirait à Téhéran « une occasion en or de renforcer encore davantage ses positions en Syrie », a récemment estimé Rex Tillerson, le chef de la diplomatie américaine.
Manbij illustre ainsi à merveille la complexité de la crise syrienne. Le moindre dérapage de la part d’un des acteurs peut mettre de l’huile sur le feu à tout moment.

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