La Turquie accusée d'avoir recruté des ex-combattants de l'Etat islamique par milliers pour attaquer les Kurdes en Syrie
Article originel : Turkey accused of recruiting ex-Isis fighters in their thousands to attack Kurds in Syria
Par Patrick Cokburn
The Independent
Traduction : Claire Fighiera, Cercle des Volontaires
Nous vous proposons la traduction d’un article paru sur le site Independent.co.uk à propos de la fâcheuse tendance qu’aurait la Turquie à trouver un second job pour les « djihadistes » de DAECH. En effet, d’après le célèbre journal britannique, la Turquie les enrôlerait à tour de bras pour aller mater dans le sang et les larmes les velléités indépendantistes des kurdes de Syrie…
Raphaël Berland / Traduction : Claire Fighiera
Exclusif : un ancien combattant de Daesh raconte à The Independent comment la Turquie utilise le nom de la désormais obsolète Armée Syrienne Libre soutenue par l’Occident pour dissimuler le recours à des mercenaires djihadistes.
[Voir la vidéo sur le site internet The Independent]
La Turquie recrute et rééduque des combattants de Daesh pour mener son invasion de l’enclave kurde d’Afrin dans le nord de la Syrie, selon une source anciennement membre de Daesh.
« La plupart de ceux qui combattent à Afrin contre les YPG (Unités de protection du peuple) font partie de Daesh, bien que la Turquie les ait entraînés à changer leurs tactiques d’assaut », a déclaré Faraj, un ancien combattant de Daesh dans le nord-est de la Syrie encore en contact étroit avec le mouvement djihadiste.
Dans une interview téléphonique à The Independent, il a ajouté : « Au début de son opération la Turquie a essayé de tromper les gens en disant qu’elle combattait Daesh, mais en fait elle forme les membres de Daesh et les envoie à Afrin ».
Environ 6 000 soldats turcs et 10 000 miliciens de l’Armée syrienne libre (ASL) ont franchi la frontière syrienne le 20 janvier, s’engageant à chasser les YPG d’Afrin.
L’attaque a été menée par l’ASL, qui était un groupement de rebelles syriens non-djihadistes autrefois soutenus par l’Occident. Maintenant, la plupart de ses combattants participant à « l’Opération Rameau d’Olivier » en Turquie étaient, jusqu’à récemment, membres de Daesh.
Certaines des troupes de l’ASL sont étonnamment ouvertes au sujet de leur allégeance à al-Qaïda et à ses ramifications. Une vidéo postée en ligne montre trois djihadistes en uniforme qui chantent une chanson relatant leurs batailles passées et « comme nous étions implacables à Grozny (Tchétchénie) et au Daghestan (Caucase du Nord). Et nous avons pris Tora Bora (l’ancien quartier général d’Oussama ben Laden). Afrin nous appelle ».
Daesh a subi de lourdes défaites l’année dernière, en perdant Mossoul en Irak après un siège de neuf mois et Raqqa en Syrie après un siège de quatre mois. Le califat, déclaré par son chef Abou Bakr al-Baghdadi en 2014, a été détruit et la plupart de ses commandants et combattants expérimentés ont été tués ou se sont volatilisés.
Mais l’organisation a montré des signes de tentatives de renaissance en Syrie et en Irak au cours des deux derniers mois, en assassinant des opposants locaux et en lançant des attaques de guérilla dans des endroits éloignés et mal défendus.
Des combattants de Daesh rejoignent la force d’invasion de l’ASL et de l’armée turque à la suite de pressions exercées par les autorités turques. Du point de vue de la Turquie, le recrutement d’anciens combattants de Daesh signifie qu’elle peut s’appuyer sur un grand nombre de soldats professionnels et expérimentés. Le fait que ces combattants ne soient pas turcs présente un autre avantage, car s’ils subissent de sérieuses pertes cela n’affectera pas le gouvernement turc.
Daesh et la Turquie cherchent à s’utiliser l’un-l’autre à leurs propres fins. Faraj, 32 ans, un Arabe de la province mixte kurdo-arabe de Hasakah dans le nord-est de la Syrie, dit qu’il n’aime pas les YPG, mais il se méfie de la Turquie et croit qu’elle essaie de manipuler Daesh. « La Turquie traite Daesh comme du papier toilette », dit-il. « Après utilisation, ils seront jetés ».
La Turquie est évidemment consciente que l’utilisation des combattants de Daesh comme fer de lance de l’assaut contre Afrin, même s’ils sont rebaptisés ASL, risque d’attirer la critique internationale.
Faraj dit que les commandants turcs ont dissuadé Daesh d’utiliser leur tactique traditionnelle d’utilisation intensive des kamikazes et de voitures piégées à Afrin, car cela rendrait leur coopération trop flagrante.
Il dit que les hommes de l’ASL sont des « professionnels dans la planification d’attentats à la voiture piégée comme ils l’ont déjà fait avec Daesh à Raqqa et à Mossoul ».
Mais il mentionne des officiers turcs qui découragent de telles tactiques trop identifiables, citant l’un d’entre eux s’adressant à un groupe de l’ASL en formation : « Nous laissons les attaques suicides aux YPG et PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan qui poursuit la guérilla en Turquie), de sorte que le monde sera convaincu qu’ils sont des terroristes ».
La Turquie entretient des relations ambivalentes avec les groupes djihadistes depuis le début de la guerre civile syrienne en 2011. Dans un premier temps, elle a permis aux combattants djihadistes étrangers et aux approvisionnements en armes de passer en Syrie, bien que cette tolérance ait diminué après la chute de Mossoul en juin 2014.
Néanmoins, Ankara a précisé par ses actions lors du siège de la ville kurde de Kobani qu’elle aurait préféré que la victoire aille à Daesh plutôt qu’aux YPG.
Alors que les YPG progressaient vers Kobani soutenus par la puissance aérienne étatsunienne, la priorité de la Turquie était d’inverser la création d’un état de facto kurde en Syrie sous la protection militaire américaine.
Les États-Unis sont dans une position particulièrement difficile. Ce sont les YPG qui ont fourni les troupes au sol qui, soutenues par les frappes aériennes américaines, ont vaincu Daesh dans de nombreuses batailles.
Sans eux, il n’y aurait pas eu de victoire sur Daesh comme le prétendait le président Trump dans son message sur l’état de l’Union. Mais les YPG font maintenant face à certains des mêmes combattants de Daesh à Afrin avec qui ils se sont battus au cours des quatre dernières années. Ça fera mauvaise figure si les Etats-Unis abandonnaient leurs fidèles alliés kurdes parce qu’ils ne veulent pas d’affrontement avec la Turquie.
Une telle confrontation pourrait arriver prochainement. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a menacé ce week-end d’étendre l’invasion turque à la ville arabe de Manbij, capturée à Daesh par les YPG en 2016 après un long siège. Il a déclaré que les Américains « nous disent : ne venez pas à Manbij. Nous viendrons à Manbij pour remettre ces territoires à leurs propriétaires légitimes ».
Les combats entre Turcs et Kurdes et l’affrontement grandissant entre les Etats-Unis et la Turquie sont tous dans l’intérêt Daesh. Il n’a pas la force de se remettre de ses défaites écrasantes de l’an dernier, mais les adversaires qu’il affrontait alors sont maintenant en train de livrer d’autres batailles.
L’élimination des dernières poches de la résistance de Daesh n’est plus leur première priorité. Le YPG a transféré des unités qui faisaient face à Daesh dans l’extrême est de la Syrie à l’ouest où elles feront face aux Turcs.
La Turquie n’est pas dans une position très favorable militairement, trois semaines environ après son invasion d’Afrin. Elle ne peut gagner qu’en bombardant jour et nuit, et pour cela elle aura besoin de la permission russe, ce qu’elle n’obtiendra probablement pas. Si elle veut étendre ses attaques, elle aura besoin de plus de soldats de combat et cela donnera l’opportunité à Daesh de rejoindre une nouvelle guerre.
Nous avons sollicité l’ambassade de Turquie au Royaume-Uni mais celle-ci n’a pas souhaité donner de commentaire au moment de la publication.
Source : The Independent