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Le français “petit-nègre”, une construction de l'armée coloniale française (France Culture)

par France Culture 26 Février 2018, 16:03 "Petit nègre" Colonialisme Représentation Racialisme France Afrique Articles de Sam La Touch

Le langage “petit-nègre”, celui de “Y'a bon Banania” ou des dialogues de “Tintin au Congo”, était une sorte de français approximatif parlé par les peuples colonisés. Ce langage, maintenant largement perçu comme raciste, a été instauré par l’armée coloniale française.

Le français “petit-nègre”, une construction de l'armée coloniale française (France Culture)

Son occurrence la plus célèbre a longtemps été affichée sur une boîte de chocolat en poudre : le slogan “Y'a bon Banania” est la représentation la plus connue du français “petit-nègre”. Ce terme indique une manière de parler approximative, faute d’une connaissance de la langue, des Noirs des colonies françaises en Afrique. A lire Tintin au Congo, ou des oeuvres de l’époque coloniale, on pourrait croire, sans se fourvoyer sur l’aspect intrinsèquement raciste de ces représentations, que le français "petit-nègre" résultait réellement d’une bonne volonté d’apprendre la langue française, restée imparfaite, alors même qu'il s’agit en réalité d’une construction de l’empire colonial français. “Le terme apparaît à la fin du XIXe siècle et indique une double disqualification : il s’agit de parler français comme un “nègre” (= mal) et comme un "enfant" (=mal). C'est un rapprochement raciste commun (les Noirs sont des enfants)”, explique à ce sujet Laélia Véron, docteure en langue française et enseignante en linguistique à l’université du Mans. 

Du français petit-nègre au français tirailleur

Les tirailleurs sénégalais de l'escorte de l'expédition. Gravure de Tofani, pour illustrer le récit de l'Exploration au Haut Niger, par le commandant Gallieni en 1880-1881.
Les tirailleurs sénégalais de l'escorte de l'expédition. Gravure de Tofani, pour illustrer le récit de l'Exploration au Haut Niger, par le commandant Gallieni en 1880-1881.• Crédits : Leemage - AFP

Dans un ouvrage publié en 1904, Maurice Delafosse, administrateur colonial et linguiste, publie la première description linguistique du “petit-nègre”, qu’il qualifie également de “français tirailleur”, en référence aux tirailleurs sénégalais, dont il serait, selon lui, le jargon. Il le décrit comme une “simplification naturelle et rationnelle de notre langue si compliquée”. Dans cette publication, Maurice Delafosse fait la description syntaxique du "petit-nègre".

Comment voudrait-on qu’un Noir, dont la langue est d’une simplicité rudimentaire et d’une logique presque toujours absolue, assimile rapidement un idiome aussi raffiné et illogique que le nôtre ? C’est bel et bien le Noir - ou, d’une manière plus générale, le primitif - qui a forgé le petit-nègre, en adaptant le français à son état d’esprit.

Il détaille alors, en une vingtaine de lignes, les règles du français "petit-nègre", parmi lesquelles l’emploi des verbes à leur forme la plus simple - l’infinitif - ou la suppression des distinctions de genre et nombre. Surtout, il estime que pour se “faire comprendre vite et bien, il nous faut parler aux Noirs en nous mettant à leur portée, c’est-à-dire leur parler petit-nègre.” 

 

Le petit-nègre : un enseignement de l’armée 

Dès 1815, la France conquiert de nombreuses colonies, dans ce qui sera nommé le second empire colonial français. Au Sénégal, Louis Faidherbe est nommé gouverneur en 1854 et les premières unités permanentes de soldats africains, nommés tirailleurs sénégalais, sont créées dès 1857. Un demi-siècle plus tard, l’effectif maintenu en Afrique occidentale française avoisine les 12 000 hommes. “Peu avant la guerre, le général Mangin, qui publie en 1910 son ouvrage célèbre ‘La Force noire’, développe un projet d’armée noire propre à s’engager dans les conflits extérieurs et on décide la création d’une "réserve indigène" dans chaque colonie prête à répondre à l’urgence”, rappelle la linguiste Cécile Van Den Avenne, professeure à l’Université Paris 3 Sorbonne-Nouvelle, dans son étude Bambara et français-tirailleur. Une analyse de la politique linguistique au sein de l’armée coloniale française...


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