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L’attitude initiale ambigüe des États-Unis envers l’État Islamique (4/5) : Un embarrassant rapport de renseignement (Les Crises)

par Les Crises 29 Mars 2018, 21:02 EI USA Collaboration Occident Syrie Impérialisme Articles de Sam La Touch

L’attitude initiale ambigüe des États-Unis envers l’État Islamique (4/5) : Un embarrassant rapport de renseignement (Les Crises)

Suite de notre série sur le rôle des États-Unis dans la guerre de Syrie et d’Irak.

Billet 1 :

  1. “Une guerre aérienne non sérieuse contre Daech”
  2. De lourds soupçons sur l’attitude américaine au cours des premiers mois
  3. Les bombardements initiaux limités de la coalition ont pu être contreproductifs

Billet 2 :

  1. La Russie se met à combattre sérieusement les milices
  2. Une stratégie de bombardements de la coalition peu efficace

Billet 3 : VI. Des livraisons (involontaires ?) d’armes à l’ennemi

Billet 4 : VII. Un embarrassant rapport de renseignement

Billet 5 : VIII. Le rôle (initial) de Daech : « atout stratégique » des États-Unis ?

VII. Un embarrassant rapport de renseignement

Puisqu’il y a – quoi qu’on en dise – davantage de transparence aux États-Unis qu’en France, l’association Judicial Watch a pu obtenir en 2015 la déclassification de plusieurs documents, dont un important rapport de situation rédigé par le renseignement militaire américain (DIA – Defense Intelligence Agency) sur la situation en Syrie, daté du 12 août 2012. Bien que largement censuré, il donne déjà un aperçu édifiant de la qualité des informations qui remontaient au gouvernement américain (Source : rapport de la DIA) :

SITUATION GÉNÉRALE :

  1. SUR LE PLAN INTERNE, LES ÉVÉNEMENTS SUIVENT UNE CLAIRE ORIENTATION SECTAIRE.
  2. LES SALAFISTE[S], LES FRÈRES MUSULMANS ET AQI [AL-QAÏDA en IRAK] SONT LES PRINCIPAUX MOTEURS DE L’INSURRECTION EN SYRIE.
  3. L’OCCIDENT, LES PAYS DU GOLFE ET LA TURQUIE SOUTIENNENT L’OPPOSITION, TANDIS QUE LA RUSSIE, LA CHINE ET L’IRAN SOUTIENNENT LE RÉGIME.

AL-QAÏDA EN IRAK (AQI)

  1. AQI CONNAÎT BIEN LA SYRIE. AQI S’EST ENTRAÎNÉ EN SYRIE ET S’EST ALORS INFILTRÉ EN IRAK.
  2. AQI A SOUTENU L’OPPOSITION SYRIENNE DÈS LE DÉBUT, TANT SUR LE PLAN IDÉOLOGIQUE QU’À TRAVERS LES MÉDIAS. AQI A DÉCLARÉ SON OPPOSITION AU GOUVERNEMENT ASSAD PARCE QU’IL LE CONSIDÉRAIT COMME UN RÉGIME SECTAIRE VISANT LES SUNNITES.
  3. AQI A MENÉ UN CERTAIN NOMBRE D’OPÉRATIONS DANS PLUSIEURS VILLES SYRIENNES SOUS LE NOM DE JAISH AL NUSRA (ARMÉE VICTORIEUSE), UNE DE SES FILIALES.

7. HYPOTHÈSES POUR LE DEVENIR DE LA CRISE :

  1. LE RÉGIME SURVIVRA ET CONTRÔLERA LE TERRITOIRE SYRIEN.
  2. ÉVOLUTION DES ÉVÉNEMENTS ACTUELS EN GUERRE PAR PROCURATION : AVEC LE SOUTIEN DE LA RUSSIE, DE LA CHINE ET DE L’IRAN, LE RÉGIME CONTRÔLE LES ZONES D’INFLUENCE LE LONG DES TERRITOIRES CÔTIERS (TARTOUS ET LATAKIA) ET DÉFEND FÉROCEMENT HOMS, QUI EST CONSIDÉRÉE COMME LA PRINCIPALE VOIE DE TRANSPORT EN SYRIE. D’AUTRE PART, LES FORCES D’OPPOSITION TENTENT DE CONTRÔLER LES ZONES ORIENTALES (HASAKA ET DER ZOR), ADJACENTES AUX PROVINCES OCCIDENTALES IRAKIENNES (MOSSOUL ET ANBAR), EN PLUS DES FRONTIÈRES TURQUES VOISINES. LES PAYS OCCIDENTAUX, LES PAYS DU GOLFE ET LA TURQUIE SOUTIENNENT CES EFFORTS. CETTE HYPOTHÈSE EST TRÈS PROBABLEMENT CONFORME AUX DONNÉES DES ÉVÉNEMENTS RÉCENTS, AIDERONT À PRÉPARER DES REFUGES SÛRS SOUS PROTECTION INTERNATIONALE, SEMBLABLES À CE QUI S’EST PASSÉ EN LIBYE LORSQUE BENGHAZI A ÉTÉ CHOISIE COMME CENTRE DE COMMANDEMENT DU GOUVERNEMENT TEMPORAIRE.

Le rapport ce termine par ces propos incroyables :

8. LES EFFETS SUR L’IRAK :

C. SI LA SITUATION SE DÉGRADE, IL Y A LA POSSIBILITÉ VOIR S’ÉTABLIR UNE PRINCIPAUTÉ SALAFISTE DÉCLARÉE OU NON DANS L’EST DE LA SYRIE (HASAKA ET DER ZOR), ET C’EST EXACTEMENT CE QUE VEULENT LES PUISSANCES SOUTENANT L’OPPOSITION, AFIN DE D’ISOLER LE RÉGIME SYRIEN, QUI EST CONSIDÉRÉ COMME LA PROFONDEUR STRATÉGIQUE DE L’EXPANSION SHIITE (IRAQ ET IRAN).

D. LA DÉTÉRIORATION DE LA SITUATION A DES CONSÉQUENCES DÉSASTREUSES SUR LA SITUATION IRAKIENNE, QUI SONT LES SUIVANTES :

— 1. CELA CRÉE L’ATMOSPHÈRE IDÉALE POUR QUE AQI PUISSE RETOURNER DANS SES ANCIENNES POCHES À MOSSOUL ET À RAMADI, CE QUI LUI DONNERA UN NOUVEL ÉLAN EN PRÉTENDANT UNIFIER LE DJIHAD ENTRE SUNNITES IRAKIENS ET SYRIENS, ET LE RESTE DES SUNNITES DU MONDE ARABE CONTRE CE QU’IL CONSIDÈRE COMME UN ENNEMI, LES DISSIDENTS. ISI [L’ÉTAT ISLAMIQUE EN IRAK] POURRAIT ÉGALEMENT DÉCLARER UN ÉTAT ISLAMIQUE PAR LE BIAIS DE SON UNION AVEC D’AUTRES ORGANISATIONS TERRORISTES EN IRAK ET EN SYRIE, CE QUI CRÉERAIT UN GRAVE DANGER POUR L’UNITÉ DE L’IRAK ET POUR LA PROTECTION DE SON TERRITOIRE.

Signalons que figure également dans ces documents déclassifiés une information selon laquelle beaucoup d’armes en provenance des stocks de l’armée Libyenne à Benghazi ont rejoint la Syrie (Source) :

 

On reste ainsi sidéré de la qualité des analyses de ce seul rapport – et donc par l’absence de réaction du gouvernement.

Le patron de la DIA de l’époque a confié en 2016 à Seymour Hersh des informations sur l’analyse de la situation syrienne par son Agence (Source, traduit ici) :

« Le Lieutenant General Michael Flynn, directeur de la DIA entre 2012 et 2014, confirma que son agence avait envoyé un flux constant de mises en garde secrètes à l’Exécutif, quant aux conséquences catastrophiques d’un renversement d’Assad. Les djihadistes, précisait-il, contrôlaient toute l’opposition. La Turquie n’en faisait pas assez pour stopper l’infiltration de combattants étrangers et d’armes le long de sa frontière. Flynn m’avait confié « Si le public américain avait accès au flux de renseignements que nous avons transmis quotidiennement, au niveau le plus sensible, il exploserait de rage. » « Nous avons compris la stratégie à long terme de l’État Islamique (EI), et ses plans de campagne, et nous avons aussi discuté le fait que la Turquie regardait ailleurs lorsqu’il s’agissait d’aborder l’expansion de l’État Islamique en Syrie. » Le rapport de la DIA fut repoussé avec force par l’administration Obama. « J’ai eu l’impression qu‘ils ne voulaient tout simplement pas entendre la vérité. »

 

C’est une information très importante pour comprendre les actions du gouvernement.

À ce stade, au vu des conséquences dramatiques que l’on observe à présent, on aimerait comprendre ce qui s’est passé, on aimerait que Michael Flynn nous en dise davantage…

Eh bien par chance, comme le débat démocratique est plus vivant aux États-Unis (d’ailleurs, avez-vous déjà entendu parler du Michael Flynn français ?), et que Flynn est courageux, on a bien eu le droit à davantage d’informations ; le 13 août 2015, il a été passé à la question par Mehdi Hasan sur Al-Jazeera (Source : Youtube – “Qui est à blâmer pour la montée en puissance de Daech ?”) – à comparer avec la “pugnacité” des journalistes français sur ce sujet face à nos responsables politiques :

 

Voici la traduction de la transcription (à partir de 8’58 – Source) :

Mehdi Hasan : Beaucoup de gens diraient que les Etats-Unis ont vu la montée d’ISIL venir et ont fermé les yeux, ou même l’ont encouragé comme contrepoint à Assad. Et une analyse secrète de l’agence que vous avez dirigée, la Defence Intelligence Agency, en août 2012, a déclaré : “Il y a la possibilité de voir s’établir une Principauté salafiste déclarée ou non dans l’est de la Syrie et c’est exactement ce que veulent les puissances qui soutiennent l’opposition pour isoler le régime syrien.” Les États-Unis ont vu venir le califat de Daech et n’ont rien fait.

Michael Flynn : Oui, je pense que ce que nous… nous avons été à côté de la plaque. Je veux dire, là, nous avons complètement foiré, je pense, c’était au tout début. […]

Mehdi Hasan : Mais attendez, vous les aidiez en 2012. Bien que ces groupes soient… –

Michael Flynn : Oui, nous avons permis à ces militants extrémistes d’entrer et… –

Mehdi Hasan : Mais pourquoi les avez-vous autorisés à faire cela, Général ? Vous étiez en poste. Vous étiez à la tête de la DIA.

Michael Flynn : Eh bien, ce sont… ce sont… oui, c’est vrai, c’est vrai. Eh bien, ce sont – c’est la politique – ce sont des questions de politique, oui.

Mehdi Hasan : J’ai pris la liberté d’imprimer ce document. Voici le mémo que j’ai cité. Avez-vous vu ce document en 2012 ? […]

 

Michael Flynn : Oh ouais, oui, oui, j’ai prêté une très grande attention à tout ça, bien sûr.

Mehdi Hasan : D’accord, donc quand vous avez vu cela, n’avez-vous pas décroché un téléphone et dit : “Mais pourquoi diable sommes-nous en traine de soutenir ces rebelles syriens qui sont -…” ?

Michael Flynn : Bien sûr ! Ce genre d’information est présentée et ceux-là deviennent… –

Mehdi Hasan : Et qu’avez-vous fait ?

Michael Flynn : Ceux-là deviennent, ceux-là deviennent… – J’en ai discuté.

Mehdi Hasan : Avez-vous dit : “Nous ne devrions pas soutenir ces groupes !” ?

Michael Flynn : Je l’ai fait. Je veux dire, on s’est disputés à propos de ça, des différents groupes qui étaient là et on a dit, “Qui est impliqué là-dedans ?” et je vous dirai que je crois que les renseignements étaient très clairs. Et maintenant, il s’agit de savoir si la politique a été aussi claire et aussi définie et aussi précise qu’il le fallait, et je ne crois pas que ce soit le cas. […]

Mehdi Hasan : Mais soyons clairs : en 2012, votre agence dit : “Les Salafistes, les Frères musulmans et Al-Qaïda en Irak sont les principaux moteurs de l’insurrection en Syrie.” En 2012, les États-Unis ont aidé à coordonner les transferts d’armes vers ces mêmes groupes. Pourquoi n’avez-vous pas arrêté cela, si vous vous inquiétiez de la montée de “l’extrémisme islamiste” ?

Michael Flynn : Oui, je déteste le dire, mais ce n’était pas mon travail : je devais m’assurer que l’exactitude des renseignements que nous avons présentés était aussi bonne qu’elle pouvait l’être, et je vais vous dire que ça remonte à avant 2012. Je veux dire, quand nous étions en Irak et que nous avions encore des décisions à prendre avant qu’il ait une décision de quitter l’Irak en 2011. Je veux dire que nous voyions alors très clairement ce à quoi nous allions devoir faire face.

Mehdi Hasan : Permettez-moi de préciser encore une fois : vous dites essentiellement que même au gouvernement à l’époque, vous saviez que ces groupes existaient. Vous avez vu cette analyse, et vous vous disputiez même dessus. Mais qui n’écoutait pas ?

Michael Flynn : Je pense que c’était le gouvernement.

Mehdi Hasan : Donc le gouvernement a fermé les yeux sur votre analyse… –

Michael Flynn : Je ne sais pas s’ils ont fermé les yeux. Je pense que c’était une décision. Je pense que c’était une décision délibérée.

Mehdi Hasan : Une décision délibérée d’y aller – de soutenir une insurrection qui comprenait des Salafistes, Al-Qaïda et les Frères musulmans ?

Michael Flynn : Eh bien, une décision délibérée de faire ce qu’ils ont fait. Vous devriez vraiment demander au Président. Que fait-il réellement avec la politique en place ? Parce que c’est très, très déroutant.

 
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