Loi de programmation militaire : pas d’austérité pour la guerre
Par Anne-Sophie Simpere
Bastamag
« Le temps des sacrifices est révolu », annonçait ce mardi la ministre des Armées Florence Parly devant les députés qui entamaient l’examen de la nouvelle loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025. Avec 294,8 milliards d’euros, celle-ci promet une hausse inédite des crédits de la défense : « Le renouveau de nos armées commence ». La France était-elle à la traîne en terme de dépenses militaires ? L’armée le parent pauvre du budget de l’État ? Pas si sûr, si l’on s’en tient aux chiffres. Mais dans le pays européen qui consacre le plus d’argent au militaire, il semble déplacé de questionner les dépenses et les guerres dans le contexte d’instabilité géopolitique actuel et de menace terroriste.
La défense « sacrifiée » ?
Il l’avait promis : Emmanuel Macron allait consentir un effort budgétaire inédit pour mettre fin à « la lente érosion de nos capacités militaires ». Mais y a-t-il eu érosion budgétaire ? Selon les chiffres de l’économiste Claude Serfati, entre 2009 et 2016, le budget de la défense a augmenté de 11,6 %, soit davantage que le budget total de l’État (+10,4%). Dans la loi de finance 2018, la défense a obtenu 1,76 milliards d’euros supplémentaires, quand la mission « travail emploi » perdait 1,5 milliards.
Avec 34,2 milliards d’euros pour 2018, la défense reste le troisième budget de l’État après l’éducation et le service de la dette. A titre de comparaison, le ministère de la transition écologique ne dispose que de 10,4 milliards d’euros. La loi de programmation militaire prévoit d’aller encore plus loin, avec 1,7 milliards d’euros supplémentaires par an jusqu’en 2022 puis 3 milliards par an jusqu’en 2025. Jusqu’à atteindre 50 milliards d’euros… soit pratiquement autant que le ministère de l’Éducation.
2 % du PIB pour la défense : un objectif déjà atteint selon la Cour des Comptes
Un niveau de dépense militaire équivalent à 2 % du PIB, comme exigé par l’Otan, voilà l’objectif. Un objectif assez abstrait, voire dogmatique, puisqu’il est plus facilement atteint par des économies en crise : avec 4,1 milliards de budget militaire par an la Grèce y consacre ainsi 2,38% de son PIB. Pour les États à l’économie florissante, cette exigence est pharaonique. En Allemagne, cela reviendrait ainsi à passer d’un budget de 37 milliards à près de 70 milliards d’euros par an. « Une idée un peu folle », selon l’ancien ministre des Affaires étrangères social-démocrate Sigmar Gabriel, qui plaisante sur la quantité de porte-avions que Berlin devrait acheter pour atteindre ce montant.
S’agissant de la France, pendant que les députés débattent pour savoir si la loi de programmation militaire permettra d’arriver ou non à ces 2 %, la Cour des Comptes estime que, même si les crédits budgétaires votés n’atteignent pas ce seuil, celui-ci est déjà atteint quand on inclut la totalité des dépenses réalisées effectivement. Un dépassement notamment lié aux surcoûts des "opérations extérieures", les interventions de l’armée française à l’étranger, ou OPEX.
Opérations extérieures : quels bilans ?
Ces OPEX sont décidées par le gouvernement, le Parlement étant largement marginalisé [1]. Depuis 1995, les armées françaises ont pourtant été engagées dans 106 nouvelles opérations menées à l’étranger. Avant d’accorder de nouveaux crédits, il serait intéressant d’en connaître les bilans. Quel est le bilan, par exemple, de l’opération Barkhane, qui a pris la suite il y a bientôt quatre ans de l’opération Serval, lancée au Mali en janvier 2013 pour empêcher les groupes armés djihadistes de s’emparer du sud du pays et de la capitale, Bamako. Étendue au Niger, au Tchad et au Burkina Faso, avec un déploiement de 4000 militaires, l’opération Barkhane « vise à ce que
les Etats partenaires acquièrent la capacité d’assurer leur sécurité de façon autonome ». Où on est-on ? Tous les amendements demandant davantage d’informations sur ces « opérations » passées et à venir ont jusqu’ici été rejetés. Il faudrait une révision constitutionnelle pour que les députés en sachent plus sur ce que l’armée française fait à l’étranger.
De même, les députés ne pourront en savoir plus sur nos exportations d’armes, alors même que la France est pointée du doigt pour ses ventes de matériel militaire à des pays impliqués dans des violations du droit humanitaire international. Ils sont renvoyés à un rapport annuel, bien trop parcellaire pour permettre une vraie analyse des marchés et des activités des industriels français. On leur demande donc de voter les yeux fermés la création 400 postes pour le soutien aux exportations d’armes.
Absence de débats sur la dissuasion nucléaire
Quant à la dissuasion nucléaire - 37 milliards d’investissements prévus sur la période –, la décision de renouveler l’arsenal a été prise par Emmanuel Macron. Les parlementaires sont priés d’approuver les crédits nécessaires sans en discuter le principe, en dépit de toutes les questions que ce choix soulève, à commencer par sa conformité avec le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires.
En Espagne, en Allemagne ou en Angleterre, l’annonce d’une hausse des budgets de la défense entraîne des controverses et de vives discussions : quelles coupes cela va-t-il entrainer pour d’autre services publics ? Quelle est la réalité des menaces mises en avant pour la justifier ? Est-ce vraiment nécessaire ? Est-ce que les investissements dans l’accueil des réfugiés des guerre ayant mal tourné ne contribuent pas tout autant à la stabilité que les dépenses militaires [2] ?
En France, malgré le manque d’information sur son utilisation et les besoins concrets des soldats, cette hausse a été validée par l’Assemblée nationale dans un consensus presque parfait. Le même gouvernement qui semble peiner à trouver des fonds pour les Ehpad ou le logement ne fera pas d’économies sur l’armée : une prodigalité d’exception, qui devrait permettre à la France de rester numéro un des dépenses militaires en Europe.