Une guerre froide qui recommence. Quand Arte veut faire saigner la Russie
Par Serge Halimi
Monde diplomatique
L’annexion de la Crimée, la guerre en Ukraine, la diffusion de fausses informations par des sites liés à la Russie ont transformé Moscou en cible régulière, voire obsessionnelle, des médias occidentaux. Une chaîne publique vouée à la connaissance et à la culture aurait pu résister à ce travers. Mais, sous la forme de séries ou de documentaires, Arte semble s’obstiner à faire le choix inverse.
Dix-huit épisodes de la série norvégienne Occupied ont déjà été diffusés par la chaîne publique franco-allemande Arte. Fiction ou avertissement ? Moscou occupe la Norvège (avec l’accord de l’Union européenne) pour garantir les livraisons de gaz et de pétrole de ce pays. Dans la série, l’Union européenne ne tient pas le beau rôle, mais c’est la Russie qui envahit, qui manipule, qui menace, qui tue. Il ne s’agit pas pourtant, nous dit-on, de « désigner un méchant ». L’ambassade de Russie à Oslo aurait même été informée du projet.
Il est douteux que le résultat l’enchante. Les épisodes sont angoissants, le parallèle entre Russes et nazis (qui, eux, ont occupé la Norvège) fortement suggéré puisque le premier ministre norvégien qui collabore avec Moscou est comparé à Vidkun Quisling et à Philippe Pétain. Quand la deuxième saison, tout juste diffusée, fut conçue, l’annexion de la Crimée venait d’intervenir. « On était en parallèle avec la réalité », se réjouissent les productrices.
Arte aurait pu, bien sûr, développer un « parallèle avec la réalité » mettant en scène la Chine et une île du Pacifique, les États-Unis et Cuba, la France et la République centrafricaine, Israël et la Palestine. Mais l’air du temps, celui d’une nouvelle guerre froide entre Washington et Moscou, suggère que c’eût été moins commode, que la Russie constituait le coupable idéal pour ce genre de divertissement.
Un soupçon qu’a confirmé la soirée Thema du 16 janvier dernier. Et pas sur le mode de la fiction, mais de l’histoire récente et brûlante. Un an après l’investiture de M. Donald Trump, Arte diffusa en effet un documentaire américain intitulé, en français, Poutine contre les USA (aux États-Unis, La Revanche de Poutine). Il donnait « pour la première fois la parole à d’anciens membres de l’équipe de Barack Obama, à des membres de la CIA », ainsi que l’annonça triomphalement la présentatrice d’Arte, épatée par un tel effort d’équilibre et par tant d’exhaustivité.
La trame de la soirée se résumait à une idée. En 2016, au moment de (...)
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