À Téhéran, la nomination de Pompeo renforce l’idée que les États-Unis se retireront de l’accord avec l’Iran.
Al-Monitor, 21-03-2018
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.
À Téhéran, la réaction à la nomination de Pompeo au poste de secrétaire d’État exprime le sentiment croissant que Trump est déterminé à se retirer de l’accord nucléaire.
Le président américain Donald Trump, entouré du directeur de la CIA Mike Pompeo (à gauche), du vice-président Mike Pence et du secrétaire à l’énergie Rick Perry (à droite), accueille le prince héritier Mohammed ben Salmane d’Arabie saoudite pour un déjeuner de travail à la Maison-Blanche à Washington, le 20 mars 2018.
Un correspondant d’Al-Monitor
« Vous allez voir ce que je vais faire », a déclaré le président américain Donald Trump le 20 mars, lorsqu’on lui a demandé quelle était la ligne de conduite qu’il avait choisie pour les levées de sanctions prévues pour le 12 mai ; les renonciations doivent être signées pour empêcher une violation par les États-Unis de l’accord nucléaire avec l’Iran. Les commentaires sont arrivés alors qu’il recevait le puissant prince héritier Mohammed ben Salmane d’Arabie Saoudite à la Maison- Blanche, donnant l’impression que le président américain se dirige vers la rupture de l’accord avec l’Iran. En fait, il y a de nombreuses raisons de croire que l’accord historique se dirige vers une fin malheureuse, du moins lorsqu’il s’agit de l’adhésion des États-Unis à cet accord. Dans cet esprit, la récente nomination de Mike Pompeo au poste de secrétaire d’État a renforcé cette idée dans le monde entier et en Iran en particulier.
Le regard sur Pompeo est très sceptique à Téhéran ; le fait qu’il soit très critique à l’égard de la République islamique est le fondement de cette préoccupation. Mais son expérience en tant que directeur de la CIA ajoute à l’appréhension et crée un climat d’incertitude quant à l’avenir, non seulement en ce qui concerne l’accord nucléaire, mais aussi en ce qui concerne la question d’une stabilité plus large dans la région.
Le premier responsable iranien à commenter indirectement la nomination de Pompeo a été le ministre des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif, qui a tweeté le 13 mars que Trump a pris pour habitude d’être imprévisible et donc peu fiable pour quiconque voudrait engager le dialogue. Zarif a tweeté, « Personne ne sera intéressé à conclure un accord avec la Maison Blanche si la signature américaine n’est valable que pour 4 à 8 ans ».
Les commentaires de Zarif ont été réitérés par le porte-parole du ministère des Affaires étrangères Bahram Qassemi, qui a déclaré au quotidien libanais Al-Akhbar que l’Iran considère cette nomination comme une question interne aux États-Unis « mais si nous voulons étudier la question, le monde connaît les manières bizarres et les décisions surprenantes de Trump ; par conséquent, sa décision de renvoyer son secrétaire d’État n’était pas étonnante ». Qassemi a commenté la décision en disant que le monde s’habitue au fait que Trump « prend ses décisions de politique étrangère de manière unilatérale et égoïste et les annonce par le biais des médias sociaux [comme Twitter]. Licencier le ministre des affaires étrangères d’un État qui se présente comme le leader du monde, sans préavis, et pendant un voyage à l’étranger, ne suggère pas une compréhension ou une sagesse politique ; il est intéressant de noter qu’il s’agit du 42ème licenciement en seulement 14 mois. C’est sans précédent ».
Ainsi, pour l’Iran, rien n’indique que les États-Unis respecteront l’accord nucléaire. La nomination de Pompeo apparaît comme la dernière grande annonce avant que Trump ne fasse ce qu’il veut faire en mai. Le journaliste iranien Abbas Aslani a déclaré à Al-Monitor : « En nommant Pompeo, Trump va essayer de faire en sorte que sa menace lors de son retrait du JCPOA [Joint Comprehensive Plan of action] semble être une menace sérieuse et crédible. En rendant cette menace plus crédible, il veut obtenir plus en imposant des sanctions contre l’Iran et en apportant des changements à l’accord nucléaire. Mais s’il ne peut pas obtenir ce qu’il veut, comme apporter des changements au JCPOA, son retrait de l’accord nucléaire n’est pas improbable. Mais après tout, je ne pense pas que ses menaces puissent amener l’Iran à faire des compromis sur la question des missiles. »
M. Aslani a déclaré qu’il existe un point de vue commun en Iran selon lequel Pompeo rendra la politique étrangère américaine à l’égard de l’Iran plus radicale et hostile. « Il s’est exprimé très ouvertement contre les négociations nucléaires et l’accord. Comparé au mandat de Tillerson, le département d’État de Pompeo exercera plus de pression sur l’Iran. En d’autres termes, la présence de Pompeo au département d’État sera moins diplomatique que par le passé », a dit M. Aslani.
Moins de diplomatie de la part des États-Unis semble destinée à pousser les Iraniens vers des positions plus dures en réaction. Ici, la question est de savoir si cela conduirait en fin de compte les États-Unis à se retirer de l’accord alors que d’autres signataires continuent d’y adhérer.
En effet, il y a toujours un manque de clarté quant à la forme que prendra l’accord si les États-Unis se retirent. Pour l’Iran, la véritable garantie de la poursuite de l’accord est l’engagement des parties restantes, mais à Téhéran, on craint que l’approche agressive de Pompeo à l’égard de l’Iran ne contribue à créer une plus grande pression sur le rôle régional de l’Iran et à faire participer les autres parties du JCPOA à de telles pressions – ce qui pourrait conduire à des dissensions avec Téhéran. Néanmoins, il convient de noter que Pompeo, en tant que chef de la CIA, a décidé d’envoyer une lettre directe à un important général iranien. L’année dernière, il a été révélé que Pompeo avait envoyé un message direct au commandant des Forces Al-Qods, Qasem Soleimani. « Ce que nous lui communiquions dans cette lettre, c’est que nous les tiendrons, lui et l’Iran, pour responsables de toute attaque contre les intérêts américains en Irak par des forces qui sont sous leur contrôle », a déclaré Pompeo lors du Forum annuel Reagan sur la défense nationale en Californie du Sud, le 3 décembre. Selon Pompeo, « Nous voulions nous assurer que lui et les dirigeants iraniens comprenaient cela d’une façon on ne peut plus claire ».
Mais Soleimani a refusé d’accepter la lettre, a déclaré Mohammad Golpayegani – un proche collaborateur de l’Ayatollah Ali Khamenei – à la presse iranienne, ajoutant qu’un contact anonyme de la CIA avait essayé de donner une lettre à Soleimani alors qu’il se trouvait dans la ville syrienne d’Albu Kamal en novembre pendant les combats contre l’État islamique. Selon Golpayegani, Soleimani a répondu en disant : « Je ne prendrai pas votre lettre et je ne la lirai pas, et je n’ai rien à dire à ces gens ». La question est de savoir si la même dynamique avec les Iraniens se répétera quand et si Pompeo devient le nouveau chef de la diplomatie américaine.
Source : Al-Monitor, 21-03-2018
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.