Bolton : un cabinet de guerre à un seul homme
Par Gareth Porter
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.
La paix en Corée du Nord et l’accord avec l’Iran sont tous deux en grave danger avec Bolton à la Maison-Blanche, selon l’historien et journaliste d’investigation Gareth Porter.
Gareth Porter est historien et journaliste d’investigation spécialisé dans la politique étrangère et militaire américaine. Il écrit régulièrement pour Inter Press Service sur la politique américaine à l’égard de l’Irak et de l’Iran. Il est l’auteur de cinq livres, dont le dernier est Manufactured Crisis : The Untold Story of the Iran Nuclear Scare.
SHARMINI PERIES : Voici le Real News Network. Je suis Sharmini Peries qui vient de Baltimore.
Dans un tweet. Le président Trump a annoncé jeudi la nomination de John Bolton à titre de troisième conseiller en matière de sécurité nationale. Bolton remplace le général H.R. McMaster, qui a démissionné en raison de désaccords avec Trump sur plusieurs questions de politique étrangère. Bolton est un partisan bien connu de l’intervention militaire américaine dans le monde entier. Il a été l’un des premiers défenseurs de la guerre en Irak. Il a récemment plaidé en faveur des frappes préventives et du changement de régime en Corée du Nord, en Iran, au Venezuela et à Cuba.
Gareth Porter se joint à moi pour analyser la nomination de John Bolton à titre de conseiller en matière de sécurité nationale. Gareth est un historien et journaliste d’investigation spécialisé dans la politique étrangère et militaire américaine. Il est l’auteur de nombreux livres. Le dernier d’entre eux est « Crises manufacturées : l’histoire inédite de la peur nucléaire iranienne ». Merci de vous joindre à moi, Gareth.
GARETH PORTER : Merci beaucoup, Sharmini
SHARMINI PERIES : Eh bien, Garrett, Bolton a été appelé le faucon des faucons, et le New York Times a dit dans un éditorial aujourd’hui que oui, Bolton est à ce point dangereux. Alors, donnez-nous une idée de ce que vous pensez de Bolton et si le New York Times et « hawks of hawks » comme titre pour lui est juste.
GARETH PORTER : Oui, je suis d’accord que Bolton est la figure la plus belliciste que nous ayons vue à la Maison-Blanche dans l’histoire récente, c’est certain. C’est la personne qui est la plus extrême dans son attachement à l’idée de faire la guerre à quiconque est considéré d’une façon ou d’une autre comme un adversaire des États-Unis. Il n’a pas dit que nous devrions attaquer la Russie et la Chine, c’est vrai. Mais pour n’importe quelle sorte d’adversaire de deuxième niveau des États-Unis, Bolton semble être tout excité d’aller à la guerre. Et il faut se demander s’il y a quelque chose de vraiment psychologique qui joue dans cela, s’il a une sorte de complexe qu’il est en train de résoudre par son agressivité en appelant à la guerre.
Je veux dire, c’est juste une théorie. Je ne sais pas vraiment ce qui se passe chez Bolton. Ce que nous savons, c’est que, plus que quiconque, Bolton est revenu à maintes reprises au cours des dix dernières années depuis qu’il a quitté l’administration Bush. Chaque fois que je l’ai entendu à Fox News ou que j’ai vu une vidéo de son apparition à Fox News lorsqu’on lui a posé des questions sur l’Iran, il a appelé à bombarder l’Iran. Même maintenant, il dit que le moment est venu pour les États-Unis de bombarder l’Iran, d’attaquer l’Iran.
C’est une situation extraordinaire. Personne dans l’histoire n’a jamais été aussi extrême que lui. Et cela soulève toutes sortes de questions sur ce qui se passe avec Trump pour lesquelles nous n’avons pas vraiment de réponses claires à ce stade.
SHARMINI PERIES : Gareth, vous êtes quelqu’un qui suit vraiment la carrière de Bolton depuis très longtemps. Il est au service de diverses administrations depuis maintenant 30 ans. Maintenant, en sa capacité à servir l’administration Bush, dans son rôle, de sous-secrétaire, puis d’ambassadeur à l’ONU, je crois, cela nous donne-t-il une idée de ses antécédents d’une manière profonde. Vous savez, aujourd’hui, nous avons vu divers médias, avec divers clips de lui plaidant en faveur du démantèlement de l’ONU et aussi sur sa position sur l’Irak. Mais d’une manière plus profonde, donnez-nous une idée de ce qu’il est.
GARETH PORTER : Eh bien, c’est vraiment la chose importante qui n’est pas si bien connue au sujet de John Bolton. Je veux dire, tout le monde sait qu’il est un faucon et qu’il a publiquement préconisé la guerre, non seulement contre l’Iran, mais aussi une attaque préventive contre la Corée du Nord, et ainsi de suite. Ce que l’on ne sait pas vraiment sur John Bolton, c’est que lorsqu’il était sous-secrétaire d’État de 2003 à 2005 dans l’administration Bush, il a été très profondément impliqué avec Dick Cheney dans la mise en œuvre d’une politique qui visait à positionner les États-Unis pour une guerre contre l’Iran pour laquelle laquelle Dick Cheney n’était clairement pas juste en faveur, mais qui était vraiment son idée dès le début. Dick Cheney était entouré de gens qui étaient violemment opposés à l’Iran, et il était tout à fait d’accord pour entrer en guerre avec l’Iran une fois l’invasion et l’occupation de l’Irak réussies. Le rôle de John Bolton en tant que sous-secrétaire était donc essentiellement de mener une politique envers l’Iran et son programme nucléaire qui permettrait aux États-Unis d’être en position de mener politiquement et diplomatiquement la guerre que Dick Cheney voulait.
Et donc ce qu’il a fait, c’est que dans la première phase en 2003-2004, il a commencé à essayer principalement de contrarier l’effort de Mohamed El Baradei, le secrétaire général de l’Agence internationale de l’énergie atomique, ou directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique, pour essayer de trouver un moyen de parvenir à un accord avec l’Iran avec le soutien des principaux alliés américains en Europe, les Britanniques, les Français et les Allemands, afin de déboucher sur un accord qui résoudrait les problèmes concernant le programme nucléaire iranien qui se posait depuis 2002. Et bien sûr, c’était exactement le contraire de ce que Dick Cheney et John Bolton voulaient. Ils étaient déterminés, essentiellement, à s’assurer qu’aucun accord entre les Européens et les Iraniens ou entre l’AIEA et les Iraniens ne viendrait contrecarrer leur plan.
Ce que Bolton a donc fait, c’est d’avoir une stratégie qui ferait passer le dossier iranien de l’AIEA au Conseil de sécurité de l’ONU, où les États-Unis avec leurs leurs alliés européens – tant qu’il était possible de les faire suivre leur ligne – pouvaient accuser en premier lieu l’Iran d’avoir un programme nucléaire secret, ce que l’AIEA à l’époque, en 2003, 2004, n’était pas disposée à le faire. Bolton avait donc pour but de mettre au point un plan qui lui permettrait de transférer le dossier au Conseil de sécurité de l’ONU. Ce qu’il a fait, c’est de produire un mystérieux ensemble de photographies aériennes d’une base militaire clé en Iran, où l’on testait des armes conventionnelles, et divers sites à l’intérieur de cette réserve militaire étaient représentés sur ces photographies aériennes. Et Bolton a rendu cela public par le biais de fuites vers les médias, ABC en particulier. Et les remettre à l’AIEA en prétendant qu’ils montraient que les Iraniens effectuaient des essais liés aux armes nucléaires dans cette réserve militaire. Nous avons donc eu l’occasion de voir toutes ces photos, tout ce qu’ils ont montré, ce sont des endroits comme des bunkers qui ont été utilisés pour tester des bombes ordinaires et conventionnelles.
Mais Bolton a essayé d’en faire une question dont l’AIEA a besoin pour se rendre dans cette réserve militaire et y faire enquête. Évidemment, ce qu’il espérait, c’est que les Iraniens diraient non, vous ne pouvez pas entrer dans notre zone d’essais très sensible et vous n’avez pas le droit d’aller voir par vous-mêmes. Au lieu de cela, les Iraniens ont invité l’AIEA à venir deux fois, pas seulement une fois, mais deux fois, et à examiner dix sites différents de leur choix. Et bien sûr, ils n’ont rien trouvé. La stratégie de Bolton a donc été frustrée en 2003-2004.
Mais c’était la première phase de ce qu’il a essayé de faire. Et la deuxième phase, qui est beaucoup plus obscure, était une phase qui avait trait à la contribution israélienne à l’effort pour accuser l’Iran d’avoir un programme d’armes nucléaires secrètes. Et cela a pris la forme d’une fuite d’un ensemble de documents, toute une cache de documents qui étaient supposément issus de ce programme clandestin de recherche sur les armes nucléaires iraniennes. Les documents qui ont été rappelés plus tard, les documents d’ordinateur portable, étaient supposés provenir de l’ordinateur portable de l’un des participants iraniens à ce programme. Et ils seraient tombés entre les mains des services de renseignements occidentaux parce que ce type, son ordinateur a été volé ou est tombé entre les mains de quelqu’un d’autre, et a été remis aux services de renseignements occidentaux.
Mais j’ai appris d’un ancien haut fonctionnaire du bureau des affaires étrangères de l’Allemagne qui avait été amené par de hauts fonctionnaires de l’agence allemande de renseignement étranger, le Bundensachrichtendiest, qu’ils savaient tout sur ces documents, qu’ils étaient contrariés que le gouvernement américain fasse une émission publique de ces documents comme s’il s’agissait de preuves d’un programme nucléaire secret iranien, parce qu’ils avaient reçu ces documents par l’une de leurs sources occasionnelles. Un Iranien en qui ils n’avaient manifestement pas confiance, parce qu’ils savaient que cette personne était membre du Mujahedin-e-Khalq, l’organisation armée iranienne anti-régime qui avait été utilisée par le régime de Saddam Hussein pour faire la guerre à l’Iran, puis par Israël pour rendre publiques des informations que les Israéliens ne voulaient pas associer à eux-mêmes.
Il y a donc ici une chaîne d’influence qui lie ces documents très douteux que je révèle dans mon livre comme étant des faux au Mossad. Cela nous ramène au projet de Bolton parce qu’en 2003 et 2004, Bolton effectuait des voyages clandestins en Israël qui n’étaient pas approuvés par le bureau régional du département d’État, comme c’est normalement le cas, et rencontrait le chef du Mossad, Meir Dagan, où personne n’était là pour prendre des notes, et pour envoyer un rapport sur ce qui a été discuté au département d’État. C’était donc un secret entre Bolton et le Mossad. En outre, le Mossad a créé une nouvelle organisation qui n’a pas été rendue publique, mais qui a été révélée par deux journalistes américains plus tard, qui avait pour mission de faire circuler des informations sur le programme nucléaire iranien auprès des médias et des gouvernements.
Donc, tout cela mène à la conclusion, dont je parle dans mon livre, que Bolton savait probablement ce qui se passait avec le programme du Mossad pour créer et faire circuler ces documents, ces documents qui ont été utilisés comme preuves par l’administration Bush contre l’Iran.
SHARMINI PERIES : Donc Gareth, étant donné le rôle que Bolton a joué dans la fabrication du consentement à la guerre, à la fois en Irak et, comme vous le décrivez ici, en Iran, à quoi pouvons-nous nous attendre quand il s’agit de la Corée du Nord, à quoi pouvons-nous nous attendre quand il s’agit d’autres pays pour lesquels il a préconisé des changements de régime et des frappes préventives comme le Venezuela et Cuba, mais plus important encore, je suppose, la Corée du Nord et l’Iran ? Parce que lorsqu’il a été nommé et qu’une critique de cette nature a été faite au sujet d’un poste aussi important occupé par Bolton, il a dit ce que j’ai dit dans le passé, c’est le passé, et maintenant je suis au service du président Trump. Pourrait-on même croire qu’il est capable de prendre une voie plus diplomatique lorsqu’il s’agit de ces relations ?
GARETH PORTER : Eh bien, tout d’abord, il n’y a certainement aucune raison de créditer Trump en disant, oh, bien, ce sont mes positions, des positions publiques avant, elles ne signifient rien maintenant. Je n’y croirais pas un seul instant. Mais ce que je crois être vrai, c’est qu’une fois que Bolton est dans le bureau ovale ou à côté du bureau ovale et qu’il parle au président, il doit tenir compte de ce qu’il peut faire pour pousser Trump dans une direction qui pourrait être différente de ce qu’il fait déjà. Et cela a beaucoup à voir avec le problème de la Corée du Nord. Parce que Trump est maintenant sous les feux de la rampe en ce qui concerne le prochain sommet qui est prévu avec Kim Jong Un de Corée du Nord, pour essayer de trouver une solution à ce problème du programme de missiles et du programme d’armes nucléaires de la Corée du Nord.
Et les Nord-Coréens ont dit à la Corée du Sud, selon les responsables du gouvernement sud-coréen, que les Nord-Coréens sont prêts à négocier à la fois leur programme de missiles et leur programme d’armes nucléaires, à condition que les États-Unis soient prêts à négocier des concessions politiques et sécuritaires de très grande portée pour les Nord-Coréens.
Il s’agit donc d’une tâche majeure pour le président Trump, et il s’y est déjà engagé d’une manière telle qu’il lui est très difficile de revenir immédiatement en arrière et de dire, eh bien, cela ne m’intéresse pas vraiment. Je dirais donc que je ne pense pas que nous allons voir Bolton pousser très fort pour que Trump s’éloigne de cette position. Je ne pense pas que ça va arriver.
Pour l’Iran, par contre, nous avons une situation très différente parce que Bolton a déjà influencé la position de Trump dans le sens d’une confrontation avec l’Iran, parce que c’est Bolton en octobre dernier qui l’a fait, au téléphone depuis Las Vegas où Bolton avait rencontré Sheldon Adelson, le principal contributeur financier de Trump, lors de l’élection de 2016, ainsi que Netanyahu en tant que contributeur principal lors des élections précédentes. Il a appelé Trump de Las Vegas et a convaincu Trump d’utiliser un langage très spécifique en disant que, à moins que le Congrès et les Européens ne forcent les Iraniens ou n’acceptent de forcer les Iraniens à apporter des changements majeurs à l’accord nucléaire iranien, il se retirerait de l’accord.
C’est une déclaration majeure de Trump qui a été documentée et qui le met en position de s’engager dans une politique qui garantit presque qu’il y aura une confrontation d’une sorte ou d’une autre. Parce que les Européens ne seront pas en mesure de tenir leurs promesses en essayant de négocier avec les Iraniens pour apporter ces changements que Trump veut, et nous pouvons donc voir que les Iraniens seront dans une position où ils devront soit accepter la fin de cet accord avec l’engagement des États-Unis à faire toutes les concessions que les États-Unis ont faites sans rien faire, ou ils vont devoir revenir sur leur engagement envers l’accord nucléaire iranien, et donc s’orienter vers une nouvelle confrontation avec les États-Unis. Je pense donc que c’est là que réside le véritable danger de Bolton à la Maison-Blanche
SHARMINI PERIES : D’accord. C’est donc l’homme qui doit vraiment atteindre les objectifs de Trump, qui est une première politique américaine, et ignorer l’accord P5 plus 1 avec l’Iran [Le P5+1 est un groupe de six grandes puissances qui, en 2006, ont mis en commun avec l’Iran leurs efforts diplomatiques à l’égard de son programme nucléaire, NdT]. Maintenant, une chose intéressante au sujet de Bolton est que, bien qu’il ait été ambassadeur des États-Unis aux Nations Unies nommé par George W. Bush, il ne croyait pas vraiment en l’institution. En fait, il a conseillé de la contourner, ce qui est un scénario très dangereux avec ces questions comme la Corée du Nord et de l’Iran en jeu, et la guerre avec eux en jeu. Pensez-vous qu’il va continuer dans cette voie, en essayant de plaider en faveur du contournement des Nations Unies dans ce genre de décisions, en particulier du Conseil de sécurité de l’ONU ?
GARETH PORTER : Eh bien, écoutez, je pense qu’en ce qui concerne-.
SHARMINI PERIES : Comme il l’a fait pour l’Irak, je dois ajouter.
GARETH PORTER : C’est vrai. Je veux dire, cependant, sur les questions de la Corée du Nord et de l’Iran, les États-Unis vont continuer à faire ce qu’ils ont fait sous cette administration et sous les administrations précédentes. Il va utiliser au maximum le Conseil de sécurité de l’ONU pour essayer d’obtenir des résolutions qu’il peut utiliser pour accuser ses adversaires d’être du mauvais côté de ce qu’il appelle le droit international, parce qu’il traite toute résolution du Conseil de sécurité de l’ONU comme la voix du droit international. Et je m’attendrais à ce que ce soit la principale utilisation du Conseil de sécurité sous l’administration Trump, comme ce fut le cas dans un passé récent.
Je ne considère donc pas le Conseil de sécurité comme un lieu où la paix va être établie. Je ne pense pas que ça va arriver. C’est beaucoup plus problématique dans le rôle que le Conseil de sécurité a joué et, bien sûr, les États-Unis utilisent le Conseil de sécurité en ralliant essentiellement ses alliés européens, plus d’autres membres sur lesquels il a de l’influence pour obtenir une majorité. Et puis, vous savez, en utilisant cela, comme je l’ai dit, pour se positionner, pour accuser n’importe quel ennemi qu’il il a besoin d’accuser une violation du droit international. Je pense que c’est ce que l’on peut s’attendre à ce que Bolton essaie de faire valoir auprès de l’ONU.
SHARMINI PERIES : Très bien, Gareth, très rapidement, avec Bolton à ce poste de conseiller à la sécurité nationale, avec Pompeo comme secrétaire d’État, avec Haspel à la CIA, beaucoup de gens supposent que Trump est enfin en train de monter son cabinet de guerre. Êtes-vous d’accord avec cela ?
GARETH PORTER : Oui, c’est très difficile de ne pas être d’accord avec ça. En fait, vous savez, je serais prêt à dire que John Bolton par lui-même est un cabinet de guerre composé d’un seul homme en termes d’influence, potentiellement, sur les situations.
SHARMINI PERIES : D’accord. Gareth, je vous remercie beaucoup de vous être joint à nous aujourd’hui. J’imagine qu’il s’agit d’une conversation en cours, et j’ai hâte de vous revoir.
GARETH PORTER : Merci beaucoup, Sharmini.
SHARMINI PERIES : Et merci de vous joindre à nous sur le Real News Network.
Source : Gareth Porter, le 25 mars 2018.
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.