Guerre au Yémen. Le prince héritier saoudien visé par une plainte en France pour complicité de torture
Par Anne-Sophie Simpère
Bastamag
Profitant de la visite officielle du prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman pendant trois jours en France, le cabinet d’avocats Ancile, traditionnellement engagé dans la défense des droits humains, vient de déposer plainte contre le monarque au tribunal de grande instance de Paris. Le prince héritier est accusé de « complicité de crime de torture et autres peines ou traitements inhumains, cruels ou dégradants » dans le cadre de la guerre menée par les Saoudiens au Yémen. Ce chef d’accusation ouvre la compétence universelle de la France : les juges peuvent poursuivre les auteurs présumés dès qu’ils posent un pied sur le territoire français, sans qu’aucun autre lien avec le territoire ne soit nécessaire. La plainte est déposée au nom de l’organisation non gouvernementale yéménite Legal Center for Rights and Development.
Les bombardements décidés par le prince héritier pourraient constituer des actes de torture
Le 25 mars 2015, quand les premiers bombardements aériens saoudiens frappent le Yémen, Mohammed Ben Salman est ministre de la Défense d’Arabie saoudite. C’est donc lui qui ordonne ces bombardements, puisque, selon la plainte d’Ancile Avocats, il est susceptible d’avoir « fourni les moyens et instructions » des activités de la coalition en guerre au Yémen. Or ces activités pourraient être considérées comme des actes de torture, selon les définitions et la jurisprudence associées à la Convention internationale contre la torture de 1984. Plusieurs éléments sont en cause, de la présence de centres de détention clandestins tenus par les Émirats Arabes Unis sur le territoire yéménite – où la torture et les disparitions forcées seraient monnaie courante – aux bombardements indiscriminés frappant les civils.
Selon le Comité contre la torture des Nations Unies, des attaques massives touchant les civils causant des dommages généralisés peuvent constituer des actes de torture. Notamment quand elles sont menées avec des armes illégales ou lorsqu’elles privent les populations civiles d’accès aux biens de première nécessité. La longue liste des frappes de la coalition dirigée par l’Arabie Saoudite ayant visé des résidences civiles, des fêtes nuptiales, des entrepôts d’organisations humanitaires ou encore des hôpitaux de Médecins Sans Frontières (MSF) ne semble laisser aucun doute sur le fait qu’au Yémen, les civils ont massivement souffert des bombardements.
Les bombardements et le blocus particulièrement mis en cause
S’agissant de l’utilisation d’armes illégales, Amnesty International et Human Rights Watch ont documenté l’usage de bombes à sous-munitions fabriquées au Brésil, au Royaume Uni et aux États-Unis. Ces bombes sont prohibées par le droit international en raison de leurs conséquences humanitaires désastreuses.
Quant à l’accès des civils aux biens de première nécessité, il est largement entravé par la combinaison des attaques aériennes et du blocus maritime de la coalition, au point qu’aujourd’hui 80 % de la population yéménite a besoin d’aide humanitaire. En juillet dernier, 17 millions de personnes – soit deux tiers de la population – étaient en situation de grave insécurité alimentaire et sept millions d’entre eux risquaient de sombrer dans la famine.
Les juges français décideront-ils d’ouvrir une enquête ?
Tous les critères semblent donc être réunis pour constituer un crime de torture. La simple vraisemblance des faits dénoncés devrait suffire à l’ouverture d’une information judiciaire. Une enquête qui pourrait, quelles que soient ses conclusions, être très importante pour documenter la situation au Yémen et en savoir plus sur les violations qui y sont commises et les responsabilités engagées.
Si les actes de torture sont établis et la complicité de Mohammed Ben Salman reconnue, celui-ci pourrait donc être poursuivi en France. Un mandat d’arrêt européen pourrait même être émis à son encontre, ce qui lui interdirait en théorie de revenir en Europe sans risquer l’arrestation. En pratique, il est fort probable que la diplomatie lui permette de faire jouer son immunité, même si dans les cas de la torture, il n’y a pas de consensus juridique sur le maintien ou non de cette protection. Aux juges saisis de se prononcer...