Emmanuel Macron, le Tony Blair de Trump ?
Par Yasmeen Sherhan
The Atlantic,17-04-2018
Un président qui ne croit pas vraiment en l’OTAN, mais qui se tourne vers de vieux alliés pour la Syrie.
Avant que le président Trump ne décide de ses frappes contre le programme d’armes chimiques de la Syrie, il avait fait part de son désir de se désengager complètement de la Syrie. Probablement, ses conseillers, si l’on en croit leurs déclarations publiques qui prônaient de laisser sur place les 2 000 soldats américains qui s’y trouvaient, ont-ils essayé de le convaincre de changer d’avis. Cependant une autre source inattendue s’est flattée d’être à l’origine de ce changement, le président français.
« Il y a 10 jours, le président Trump disait que les États-Unis devraient se retirer de la Syrie. Nous l’avons convaincu qu’il était nécessaire d’y rester dans la durée », a-t-il déclaré lors d’une interview télévisée dimanche dernier. « Nous l’avons aussi convaincu qu’il fallait limiter ses frappes aux [sites d’] armes chimiques, alors qu’il y a eu un emballement par voie de tweets ».
Il est peu habituel d’entendre la France prétendre être à l’origine d’une politique de guerre des États-Unis, tout comme l’est la relation entre Trump et Macron. Même s’ils sont diamétralement opposés sur une certain nombre de questions politiques, les deux dirigeants ont réussi à forger, au cours de l’année écoulée, une sorte d’amitié. Immédiatement après la prétendue attaque aux armes chimiques en Syrie, c’était Macron qui était au téléphone avec Trump pour coordonner « une forte réaction conjointe » à ce qu’ils considéraient tous les deux comme un crime inacceptable d’Assad. Moins d’une semaine plus tard, à la fois les États-Unis et la France ont ordonné des frappes militaires sur des cibles gouvernementales syriennes, y compris un centre de recherche et deux centres de stockage d’armes chimiques. Ajoutons que le Royaume Uni dont le Premier ministre Theresa May avait discuté aussi du problème avec Trump, deux jours après Macron, a, lui aussi, participé à ces frappes.
La Maison-Blanche maintient que « la mission des États-Unis [en Syrie] n’a pas changé », il faut toujours combattre ce qui reste de l’EI. Lundi soir, Macron a essayé de résoudre cette apparente discordance, en disant que la France, avait, elle aussi, cette position et que, hormis les frappes sur les sites d’armes chimiques d’Assad, les Français étaient engagés militairement « contre l’EI et cesseraient le jour où la guerre contre [l’EI ] serait terminée ».
Ce va et vient a été emblématique de la relation plus large entre Macron et Trump, qui apparemment se montrent solidaires, même s’ils ne se rencontrent que rarement. Et elle a une place particulière parmi celles qu’entretient Trump avec les autres dirigeants européens, qui lui reprochent son échelle de valeurs ou les fuites des services de renseignement. « L’amitié entre nos deux pays et nous-mêmes, oserais-je ajouter, est indissoluble », a déclaré Trump lors d’une conférence de presse conjointe avec Macron pendant sa visite à Paris en juillet dernier. Et c’est un sentiment que Macron apparemment partage. « Rien ne nous séparera jamais », a-t-il affirmé lors de sa visite.
Et l’étroite coopération entre ces deux dirigeants sur des problèmes controversés comme celui de la guerre, et ce, malgré le scepticisme de leurs peuples, rappelle une autre relation transatlantique bien connue, celle de l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair et du président George W. Bush, qu’on a jadis appelés « l’étrange couple ». Comme Blair, Macron est connu pour son énergie de jeune libéral et son désir de dépasser la division droite gauche. Le porte-parole de l’ancien Premier ministre Alastair Campbell, a fait remarquer, en janvier, la ressemblance et a qualifié Macron de « véritable héritier de Tony Blair ». Et la façon dont Macron a facilité l’envie qu’avait Trump d’intervenir contre Assad, alors que d’autres alliés hésitaient à le faire, rappelle aussi la façon dont Blair a aidé Bush à obtenir un soutien international pour la guerre d’Irak. Une récente enquête du gouvernement britannique sur l’arrière-plan de cette guerre a conclu que la relation Blair-Bush avait été un « facteur déterminant » qui avait mené à la décision de l’entreprendre.
La relation Macron-Trump ne constitue pas tout à fait un retour de « la bromance » [relation très proche entre deux hommes sans connotation sexuelle] Blair-Bush. La guerre d’Irak était une entreprise d’une ampleur bien autre – et le reste d’ailleurs –, que tout ce que les États-Unis ont pu faire en Syrie. « Un lancement de missiles d’une nuit en Syrie est d’un ordre de grandeur bien différent que l’envoi de centaines de milliers de troupes pour envahir un pays, changer son régime et faire face ensuite à une résistance armée ». m’a dit Jacob Parakilas, le vice-président de l’US and Americas Project de Chatham House, avant d’ajouter qu’il y avait aussi la façon dont Blair et Macron présentaient en public leur relation au président des États-Unis. « Je ne crois pas que Blair aurait jamais prétendu avoir convaincu Bush d’envahir l’Irak. Il lui a offert, avant tout, de bout en bout, son soutien inconditionnel ».
Pourtant Blair a justifié la guerre d’Irak aux yeux des Américains et d’autres qui auraient pu se montrer sceptiques devant les plans du gouvernement Bush. Et c’est ce rôle et le chaos qui a suivi dans l’Irak d’après Saddam qui a fait de Blair, au départ l’un des hommes politiques les plus populaires du Royaume Uni, l’un de ses plus vilipendés. Vu la nature limitée de l’attaque récente en Syrie, il paraît peu probable que Macron subisse le même sort. Cependant il a été critiqué en France par l’extrême-droite, représentée par Marine le Pen et l’extrême-gauche, représentée par Jean-Luc Mélenchon, tous deux opposés à une action militaire en Syrie. En outre, la cote de popularité de Trump en France ne dépasse pas 14%, ce qui n’exclut pas que Macron ait, un jour, dans son pays, à pâtir politiquement de son soutien au président américain.
Il y a un an, sans doute une relation de ce genre entre Trump et n’importe quel allié européen aurait-elle paru improbable. Après tout, le président de « l’America first » a mis en cause son soutien à l’OTAN , qu’il a même, à un certain moment, qualifiée de « dépassée ». Quand Trump a décidé que les États-Unis allaient frapper la Syrie à cause de son utilisation d’armes chimiques en avril 2017, il l’a fait de façon unilatérale. Macron n’avait pas encore remporté les élections à la présidence française. Même après sa victoire en mai 2017, sa relation avec son homologue américain n’a pas démarré si facilement, ponctuée de divergences dans les visées politiques et d’une série de poignées de mains embarrassantes.
Mais tout en reprochant à Trump sa décision de sortir les États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat et en le recevant pour le défilé militaire du 14 juillet, Macron a réussi à séduire le président américain. Et maintenant, il n’est pas seulement le dirigeant mondial que Trump a choisi pour en faire, la semaine prochaine, l’hôte de sa première visite d’État comme président, il est aussi, puisqu’il en parle lui-même, quelqu’un vers qui Trump se tourne pour recevoir des conseils en cas de crise, ce qui n’est pas nécessairement ce que serait censé faire un président qui ne croit pas en l’OTAN
Ce n’est pas comme si Macron avait d’autre choix que de complaire à Trump, même si le soutien du président n’est pas nécessaire pour mener une politique en particulier. Les États-Unis sont la puissance mondiale dominante. Sa cote de popularité en France ou dans son propre pays n’empêche pas Trump d’être toujours président des États-Unis. Et en conséquence, il est dans l’intérêt de Macron d’entretenir cette relation s’il veut se garder la possibilité de convaincre Trump sur la façon dont l’Amérique devrait agir, sur le plan mondial.
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.