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Vers une figure juive décoloniale (UJFP)

par Michèle Sibony 16 Mai 2018, 10:01 Judaïsme Décolonialisation Israël Palestine Articles de Sam La Touch

Vers une figure juive décoloniale (UJFP)

à Haïm Hanegbi
juif indigène de Palestine

Bandung du Nord – Forum : racismes inter communautaires .

 

Il faut commencer par prendre acte du fait qu’il y a toujours eu des figures juives décoloniales dans l’histoire des luttes antiracistes et de libération. Des États unis, à l’Afrique du Sud en passant par le Maghreb, des juifs ont pris part à ces luttes anticolonialistes et antiracistes 1) . C’est par contre la première fois dans l’histoire des juifs que leur statut s’est transformé, faisant d’eux des membres à part entière d’un Occident dominant redéfini comme judéo-chrétien. Les incidences catastrophiques de cette modification nous incitent à rechercher aujourd’hui les potentialités de reconstruction d’une figure juive décoloniale.

 

1 – L’IMPOSSIBLE INDIGÈNE

Je partirai d’une question qui m’interpelle toujours personnellement, comme juive marocaine, juive arabe.(2) Pourquoi ne parle-t-on jamais, ne peut-on parler de juifs indigènes, de juifs autochtones, et cela même avant la colonisation française, alors que les juifs constituent un des substrats du peuplement maghrébin d’origine, ante islamique, et avant même l’occupation romaine . Juifs indigènes ? Presque un oxymore. On pourrait légitimement penser que cet impossible commence avec la colonisation, dont il est le fruit, mais ce qui remet en question cette réponse c’est le statut de minorité des juifs, en terre d’ islam comme partout ailleurs, avec le sort aléatoire réservé aux minorités.

Les juifs toujours traités en minorité, certes protégée en islam, sont de ce fait exclut de l’indigénat , ils sont perçus toujours comme allogènes par la majorité. En Europe aussi d’ailleurs, où la minorité juive ne bénéficie pas de cette protection, elle est toujours perçue comme allogène -toujours étrangère, ou étrange. Comme s’il y avait un choix à faire : indigène ou minorité. Cela se vérifie d’ailleurs avec d’autres minorités contemporaines ; les Rohingas par exemple dont la présence est historiquement attestée en Arakan dès le 8e siècle après J.-C., d’autres parlent plus tardivement de conversions à l’islam au 15e siècle. Or une loi de 1982 a fait remonter leur présence à la date de la première colonisation britannique en… 1823, pour pouvoir les exclure de la nationalité birmane.

Et que dire des Kurdes nommés pour la première fois dans des textes mésopotamiens 3000 ans avant J.-C. Combien de siècles ou de millénaires faut il pour être considéré comme un indigène ? Tout cela explique aussi les stratégies de survie de minorités toujours inquiètes, et de compromis avec les maîtres, quels qu’ils soient . Les Rohingas avec les Britanniques, ce qui leur vaut la haine farouche des Birmans, les juifs avec les colons qui cherchaient de toutes façons à les utiliser pour établir leur domination, les Kurdes avec l’occident jusqu’à nos jours, faisant le travail des guerres sous-traitées, et massacrés ensuite dans le silence de leurs soit-disant alliés. l’histoire se répète et se répète encore.

La figure juive contemporaine en Europe, après des siècles de minorité métèque, de juifs parias, de juifs errants, d’asiates, a subi elle des transformations multifactorielles : l’ après judéocide, le sionisme, l’ ère néoconservatrice que nous vivons sont autant d’étapes de ces transformations. Un paramètre subsiste, cependant, immuable : l’ utilisation politique des juifs, comme de toute minorité : bouc émissaire, fusible, variable d’ajustement…

Où sont donc les alternatives à cette posture traditionnelle des minorités : la protection du pouvoir en place ne leur est jamais longtemps accordée, pas plus que le temps nécessaire à leur instrumentalisation. Ce qui conforte le sentiment d’une illusion d’intégration au groupe dominant qui s’achève toujours mal dans l’histoire des minorités. Comment exister autrement, comment coexister ? C’est l’enjeu des figures décoloniales, et c’est tout l’enjeu de la notion d’indigène. Car c’est lui qui décolonise, et lui même et le colon. Aucune société coloniale ne s’est jamais décolonisée de son propre chef. Cette lutte est celle des opprimés, des indigènes. Pour qu’une figure décoloniale juive puisse (ré-)émerger, elle doit s’appuyer se structurer à partir d’une une figure indigène juive. À ce stade il faut définir ce que l’on entend par indigène, sinon on pourrait confondre avec les « sabras » juifs nés en Israël, et le sionisme. Je ferai appel pour éviter cette confusion à un texte brésilien que je trouve merveilleux quant aux horizons transnationaux qu’il découvre.

 

Les involontaires de la Patrie -(3) : c’est le titre d’un cours public donné sur les marches de l’assemblée nationale à Rio par Eduardo Viveiros de Castro anthropologue universitaire brésilien le 20 avril 2016. il y définit le mot indigène : qui vient de la terre qui lui est propre, originaire de la terre où il vit .. Selon cette définition toute personne d’où quelle vienne née au Brésil serait indigène ? mais non, répond-il ni le colon ni l’agroboy (le fils d’un propriétaire terrien ) ni le courtier ne sont des indigènes il suffit de leur demander » ajoute-t-il avec humour, ils sont Brésiliens .

Il met ainsi en tension les notions d’ indigène et de citoyen . Et cela n’a rien à voir explique -t-il , le brésilien c’est le citoyen d’un État nation.

Être indigène c’est faire partie d’une communauté spécifique, d’est donc faire partie d’un peuple, être citoyen au contraire c’est faire partie d’une population contrôlée par un État. Appartenir à la terre au lieu d’en être le propriétaire , est ce qui définit l’indigène . …là où l’indigène regarde vers le bas, vers la terre d’où il tire sa force immanente, le citoyen regarde vers le haut vers l’esprit incarné sous la forme d’un État…

Ces termes étant posés, on se souvient que le colonialisme a apporté le modèle de l’État nation aux régions conquises , et avec lui l’horizon du nationalisme souverain.

 

2 – le rôle d’Israël et de la « solution » sioniste.

Que va-t-on faire de cette poussière d’humains ? Il faut vite en faire des juifs ! S’exclamait Ben Gourion à l’arrivée des premiers immigrants juifs arabes.

Le sionisme s’est voulu une réponse à cette impossibilité que nous venons de décrire. A la manière des États-Nations colonisateurs qui l’ont fondé il a conclu que ce qu’il fallait pour sortir de l’impasse minoritaire éternellement allogène, c’était construire sa propre souveraineté nationale, dans le cadre d’un État nation du peuple juif.

Ce faisant il a reproduit l’ordre de domination coloniale en Palestine contre les indigènes autochtones, et il a créé des citoyens juifs israéliens et non des indigènes juifs pour reprendre l’opposition de Viveiros de Castro . Pourtant c’est ici tout de même que nous pouvons rencontrer une figure juive décoloniale en formation, car il a aussi fabriqué une catégorie nouvelle, hybride, d’indigènes juifs en Israël : les Mizrahim. Ou juifs orientaux. On n’ a pas laissé les Mizrahim devenir des colons, les blancs israéliens les ont trop méprisés pour cela, et c’est leur chance d’échapper à l’intégration par la blanchité celle que décrit Morrisson (4) : les mécanismes culturels par lesquels on devient américain sont clairement compris. Un citoyen d’Italie ou de Russie émigre aux États Unis. Il conserve beaucoup ou une partie de la langue et des coutumes de son pays d’origine. Mais s’il souhaite être américain -être reconnu comme tel et trouver vraiment sa place- il doit devenir quelque chose d’inimaginable dans son pays d’origine : il doit devenir blanc…. Les Africains et leurs descendants eux , n’ont jamais eu ce choix… »

C’est aussi ce que démontre Ella Shohat dans son article « l’invention des Mizrahim » (5) quand elle déroule les nombreux pièges où les juifs arabes ont été enfermés,

 L’injonction paradoxale faite aux juifs issus du monde arabe : surtout ne soyez pas arabes, et vous n’êtes que des Arabes.. l’exemple qu’elle apporte des juifs irakiens surtout pas arabes, mais utilisés en Israël dans une recherche génétique destinée à identifier une toxine contre les Arabes illustre parfaitement cette injonction.

 Autre paradoxe : le « retour juif » selon le sionisme se fait vers le Moyen Orient source du judaisme, cependant l’État du sionisme « euro -israélien » ainsi que l’appelle Shohat se construit de Hertzl à Ben Gourion sur un modèle totalement orienté vers l’occident en termes de géo politique et d’idéologie. Et l’on pense aussi à Barak qui décrit dès 2002 l’État juif comme « une villa dans la jungle » reprenant le diptyque colonial barbarie/civilisation . Retour à l’Orient donc mais en parfait occidental .

 Piège encore que l’unicité proclamée par le sionisme : un seul peuple juif réuni sur sa terre d’origine, ce qui coupe les juifs arabes de leurs diverses histoires, et cela d’autant plus que la vision occidentale des sionistes euro-israéliens est menacée par leur proximité d’un monde arabe qui jouxte toutes les limites du territoire approprié .

Les juifs arabes sont donc sommés d’identifier judaïsme et sionisme, et d’intégrer que judaïsme et arabité sont des antonymes.

Viveiros de Castro, nous rappelle utilement ici qu’en fait le terme de peuple n’existe qu’au pluriel : ce sont les blancs grands spécialistes de la généralisation , ou plus précisément l’État blanc colonial, impérial républicain, qui ont inventé le terme indien comme catégorie générique .L’État, à la différence des peuples n’est constitué que par la singularité de sa propre universalité..)

 dernier piège enfin qui s’est refermé sur les Mizrahim celui de deux nationalismes le sionisme européen qui rassemble et identifie tous les juifs du monde en une seule nation, et le nationalisme de nombreux états arabes post coloniaux eux aussi forgés sur le modèle État-Nation qui reprendront cette identification juif/sioniste et pour qui donc juif deviendra aussi anonyme d’arabe.

Ceux que l’on a amené en en terre sainte en leur faisant croire qu’ils réalisaient la prophétie ont été placés en garde frontière du territoire approprié, ils ont été acculturés et désignés comme des « moins que rien » par le pouvoir blanc euro sioniste local :

C’est l’un des urbanistes planificateurs des « villes de développement », le professeur Elisha Efrat qui décrit les Mizrahim (6) comme pauvres naïfs et faibles…un parfait alignement d’étoiles pour Israël qui pouvait à présent créer un État à partir de rien avec des gens qui n’étaient rien. Déracinés, coupés de leur histoire, les Mizrahim sont aussi devenus des indigènes car ce sont des involontaires de la patrie au sens à nouveau décrit par notre ami brésilien, ou évoqué par Toni Morrisson.

Ils ont constitué une forme hybride d’indigénat non pas dans le sens originel d’autochtone mais dans le sens colonial du mot, avec le traitement assorti, un peu comme les Indigènes de la République, les Issus de l’immigration coloniale. Les Mizrahim sont comme eux re-confrontés à travers le sionisme et l’ashkenazité à une domination coloniale blanche qui se perpétue aussi sous la forme d’une séparation des corps dont nous parle encore Viveiros de Castro : la séparation de la communauté et de la terre a sa réciproque, son ombre, qui est la séparation entre les personnes et leurs corps, autre opération indispensable effectuée par l’État pour créer des populations administrées.

Cette séparation a son histoire avec les Mizrahim et le scandale des enfants volés en Israël dans les années cinquante .. plus de cinq mille, à des familles de Mizrahim majoritairement yéménites, mais aussi marocaines irakiennes et issues des Balkans avec l’implication attestée de tout l’establishment sioniste de l’éducation et de la santé : crèches, dispensaires, hôpitaux, hauts fonctionnaires et jusqu’à la WIZO Organisation sioniste internationale des femmes (women international zionist organisation). Ces nourrissons ont été donnés ou vendus à l’adoption de familles ashkenazes le plus souvent américaines. Cet événement-fracture ne cesse depuis sa découverte au début des années 70 d’être opposé par les Mizrahim à l’establishment sioniste et de le questionner sur sa relation à leur citoyenneté .Et depuis les années soixante dix Ils ne rencontrent que des commissions qui referment les dossiers, des archives disparues, ou mystérieusement brûlées,(7) et ont dû avec l’association AMRAM fondée en 2014 reconstituer une archive vivante en enregistrant et filmant les familles des enfants volés.

Quand on parle de renaissance du mouvement de révolte mizrahi à Shlomi Hatouka poète et militant mizrahi, cofondateur de l’association AMRAM, sa réponse commence par évoquer la diversité des peuples juifs : je suis yéménite avant tout , puis il ajoute  : ni pause ni rupture, ni renaissance ! Mais Continuité de la lutte, et depuis bien avant les Panthères noires, depuis qu’on est arrivé ici on a toujours lutté, la lutte prenait des formes différentes, mais c’était la lutte. Quand faites vous commencer le combat noir américain ? Très exactement depuis leur arrivée sur le sol américain .*(8)

Roï Hassan autre poète militant mizrahi se décrit lui comme moitié marocain et moitié libyen et explique que pour lui establishment israélien signifie explicitement ashkenaze et blanc.(8)

Orly Noï se dit iranienne et précise que comme telle, elle ne se sent pas appartenir à une culture périphérique mais centrale. Elle fait partie du mouvement « l’orientale commune » qui a soutenu aux dernières élections israéliennes la liste arabe unie . Le lien est clair pour ce mouvement avec la lutte de libération palestinienne. Elle le décrit en ces termes : Dans la « villa dans la jungle » de Barak, ni les Palestiniens ni nous les Mizrahim, natifs de la jungle n’avons la moindre place. » Il n’y a pas de place pour les Mizrahim dans le sionisme, pas plus que pour les Palestiniens Il nous faut démanteler les murs de cette villa pour nous retrouver ensemble et tous égaux dans la jungle.(8)

Orly Noï précise aussi que l’Orientalité est une conscience, qui n’exclut pas loin de là les ashkenazes* Ce qui nous amène à la dernière partie du discours de Viveiros de Castro. Il s’adresse au public blanc assis sur les marches en ces termes : mais nous, les « autres indiens », ceux qui ne sont pas indiens mais se sentent beaucoup plus représentés par les peuples indiens que par les politiques qui nous gouvernent et par l’appareil policier qui nous persécute de près , par les politiques de destruction de la nature menées par le fer et par le feu par tous les gouvernements qui se succèdent dans ce pays depuis toujours, nous avons aussi besoin de l’aide et de l’exemple des indiens… contre la capture de l’état nation. Un État qui pousse jusqu’à ses ultimes conséquences son projet de destruction du territoire qu’il revendique comme sien.. »

Ces paroles résonnent aussi bien en Palestine qu’en France quant au collectif à constituer avec ceux des blancs-ashkenazes , tous ceux qui refusent l’appareil policier, le système d’exploitation capitaliste qui détruit la nature et les liens sociaux, et se sentent proches et représentés par les peuples indigènes. Là où se construit la figure mizrahi -indigène , et là où elle se rapproche de l’autre indigène palestinien, se construit une possibilité de figure juive décoloniale en Israël. De même que la lutte africaine américaine ne peut manquer de faire lien avec celle des peuples indigènes …

L’appel d’Olga rédigé essentiellement par des israéliens ashkenaze, même si des mizrahim l’ont signé en 2004 se situe exactement dans cet axe de résistance commune. L’ashkenazité comme la blanchité n’ont rien a voir avec la couleur et tout avec la domination. L’indigène juif le fils du pays est celui qui reconnaît que la terre ne lui appartient pas , qui reconnaît l’indigène autochtone le ibn el Balad et tous ses droits, qui refuse la domination et le principe de séparation comme principe fondateur et mode de vie. C’est ce que dit en résumé cet appel qui conclut :

Ce n’est que par un tel partenariat que nous pourrons , nous juifs d’Israël, cesser d’être des étrangers dans leur pays et devenir enfin de véritables fils du pays . »

Haim hanegbi , seul rédacteurs mizrahi de cet appel – son grand-père Haïm Bejayo était le chef de la communauté séfarad de Hébron -vient de mourir. Né juif palestinien il était un indigène, un ibn el balad et cette identité lui a servi de boussole toute sa vie. Afin ne pas être enterré dans le cimetière des colons juifs de Hébron -Al Khalil, sa ville de naissance, il avait demandé et obtenu des autorités palestiniennes de la ville l’autorisation de l’être dans le cimetière musulman. La crainte des représailles de colons a fait surseoir à cette idée pour l’instant, mais un jour, Haïm Hanegbi trouvera sa place auprès de ses frères hébronites indigènes .

 

3 – UN ESPACE ANTIRACISTE RESPIRABLE

Et nous juifs d’ici , quelle issue décoloniale pouvons-nous rechercher aux tentatives d’ingestion des juifs par l’État néoconservateur clivant et oppressant ? Deux événements viennent de se succéder et de nous secouer : L’assassinat d’une vieille dame par deux petits délinquants, pour lequel le parquet a retenu en 48h la qualification d’antisémitisme. Cet assassinat dont nous ne savons encore a peu près rien de ses motifs autres que crapuleux (9) a donné lieu à une récupération politique ignoble et coutumière. Le CRIF s’est empressé d’exclure de la marche blanche qu’il avait organisée, la France Insoumise coupable d’antisionisme donc d’antisémitisme en plaçant ce mouvement sur le même plan que le Front national et l’extrême droite antisémite. Cet amalgame entre antisionisme et antisémitisme est, il faut le rappeler, assumé aujourd’hui par le Président de la République.

Quelques semaines plus tard, l’acte deux de cette sinistre affaire était publié dans Le Parisien : une tribune rédigée par Philippe Val et signée par 300 personnalités contre l’antisémitisme…mais surtout contre l’islam et les musulmans. Les attentats y sont instrumentalisés contre toute la population musulmane, la gauche radicale y est traitée d’antisémite parce que antisioniste, et la politique israélienne de destruction de la Palestine à l’oeuvre en ce moment même contre la marche du retour, y est exemptée de toute responsabilité . En d’autres termes cette tribune participe activement du dispositif de production de ce qu’elle prétend condamner : l’antisémitisme. Il y a des amis dont on préfère se passer quand on est juif.

L’antisémitisme nous concerne et nous inquiète, tous les crimes racistes et les attentats terroristes nous concernent et nous inquiètent, mais leur instrumentalisation au service d’un racisme islamophobe , et au service de la politique israélienne en Palestine est productrice de racisme antisémite. La bataille contre la Palestine se mène indubitablement aux États Unis en Europe et en France. Le fait que les deux communautés juives et musulmanes les plus importantes d’Europe se trouvent en France a rapporté ici le front Israël Palestine, en l’inscrivant dans le paradigme néoconservateur de l’affrontement occident/ islam. Dès lors les juifs ne pouvaient rester à l’abri dans cet affrontement pour deux raisons : parce qu’Israël avait besoin d’eux pour museler l’Occident contre toute critique envers sa politique, et parce que l’Occident avait besoin d’eux pour justifier sa lutte contre l’islam. Juifs et Israël se sont donc mis à ne faire qu’un, comme le voulait le sionisme, et les juifs blanchis pour la première fois de leur histoire sont entrés de plein pied dans l’Occident , comme le voulait le sionisme.

Toute atteinte à un juif ont déclamé tous les ministres et présidents de la République, depuis 20ans est une atteinte à la France et à la République, ce qu’ils n’ont jamais dit pour les innombrables agressions racistes envers les Musulmans, Arabes Noirs Rroms, Asiatiques .. établissant ainsi division entre les minorités , et hiérarchie dans le racisme envers ces différentes communautés. Il est donc urgent de reconstruire une figure décoloniale juive qui rejoigne les autres minorités pour coexister et co-résister .

C’est encore le texte de Viveiros de Castro qui nous ouvre l’horizon .
Et poursuivant le parallèle transnational rendu possible par lui, je relaterai ici sa conclusion : évoquant le nom d’une rue de Rio : la rue des Volontaires de la Patrie, il rappelle que lors de la guerre de l’empire contre le Paraguay , l’appel à des volontaires n’ayant pas trouvé de patriotes blancs brésiliens, on envoya des milliers d’esclaves noirs comme « Volontaires » à leur place . Viveiros de Castro nomme alors les indiens indigènes comme les premiers Involontaires de la patrie et il affirme comme une proclamation :« Nous ici nous sentons comme les indiens comme tous les indigènes du Brésil : comme si nous formions un énorme contingent d’Involontaires de la patrie… D’un gouvernement qui ne nous représente pas et ne nous a jamais représenté… nous sommes les Involontaires de la patrie parce qu’Autre est notre volonté ».

Ressurgissent alors les Afro – descendants américains, les Mizrahim, qui viennent s’inscrire dans cette lignée magnifique des Involontaires de la patrie, et nous même ici, y trouvons notre place . Pour que nous puissions respirer , nous les Involontaires de la patrie, juifs, arabes musulmans noirs rroms asiatiques, migrants, exilés, sans papiers, blancs, nous tous qui ne nous reconnaissons pas dans la forme de l’État oppresseur, et colonial, qui dirige nos vies, joue nos destins les uns contre les autres, il nous faut construire un espace antiraciste respirable, c’est ainsi que nous l’appelons, un espace qui nous ressemble, égalitaire, pluriel, qui ne hiérarchise pas entre nous, qui ne nous instrumentalise pas au service d’une quelconque politique autre que celle que nous déciderons de construire nous même. Après l’assassinat de Mireille Knoll, nous nous sommes jurés que plus jamais nous ne serions pris au piège de l’urgence médiatico-politique , des injonctions à des déclarations d’anti-racisme par ceux là même qui fabriquent et promeuvent le racisme, ni d’une quelconque instrumentalisation d’un crime antisémite ou non, raciste ou non. Nous sommes entrain de construire ensemble notre propre espace antiraciste à la fois autonome, décolonial, pluriel , et ouvert… à tous les « Involontaires de la patrie ».

 


Notes

1) Le générique des 10 clips vidéo de l’ujfp « paroles juives contre le racisme » que je vous invite à aller regarder, montre cette inscription juive continue dans les luttes antiracistes et de libération coloniale. https://www.youtube.com/channel/UCojmN0_VgImHjZ7326rReDQ

(2) Une remarque d’un auditeur lors de cette intervention m’oblige à préciser que mes racines marocaines sont sans aucun doute berbères. L’usage que je fais ici de l’expression « juive-arabe » rejoint l’ usage politique fait par de très nombreux juifs avant moi, issus du monde arabe plus large que la configuration maghrébine. Un usage destiné à prendre le contre pied de ce qui a existé et que le sionisme a voulu effacer en le transformant en oxymore .

(3) « Les Involontaires de la Patrie » Eduardo Viveiros de Castro – avril 2016 à Rio de Janeiro lors de la campagne Abril Indigena – Traduction : Jérémie Bonheure

(4) Toni Morrisson : l’« origine des autres » article « l’obsession de la couleur »

(5) – Ella Shohat – The invention of the Mizrahim – journal of palestine studies XXIX – automn 1999

(6) dans le documentaire de David Déri : le péché ancestral 2017

(7) Trois commissions d’enquête constituées en 1967, 1988 et 2001 ont toutes abouti à la même conclusion : les enfants sont morts, et il ne s’est rien passé. En décembre 2016. le gouvernement autorise l’ouverture des archives de ces commissions à nouveau sans résultat .
https://www.jonathan-cook.net/2017-01-02/israel-urged-to-apologise-for-disappeared-babies/

(8) extraits d’interviews réalisés en juin 2016 par Eyal Sivan et Michèle Sibony

(9) voir l’ Express du 4 avril « Ce que révèle l’enquête sur le meurtre de Mireille Knoll » écrit à partir de la consultation du procès verbal de synthèse des investigations sur le meurtre.
https://www.lexpress.fr/actualite/societe/fait-divers/ce-que-revele-l-enquete-sur-le-meurtre-de-mireille-knoll_1996747.html

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