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Emmanuel Macron, une incertaine idée de l’Afrique (Mondafrique)

par Shanda Tonme 11 Juin 2018, 14:00 Macron Françafrique France Afrique Libye Cameroun Franc CFA néocolonialisme Francophonie

Emmanuel Macron, une incertaine idée de l’Afrique
Par Jean-Claude Shanda Tonme
Mondafrique

Jean-Claude Shanda Tonme

Jean-Claude Shanda Tonme

Jean-Claude Shanda Tonme, Camerounais, diplomate de carrière, Juriste-Consulte international et Directeur Exécutif du Centre Africain de Politique Internationale, dresse un bilan sévère de la politique africaine du président français.

 

Mondafrique. On vient de voir le Président français Emmanuel Macron s’activer sur la situation en Libye, notamment un certain forcing pour ramener la paix au plus vite, en mettant tout en œuvre pour réconcilier les frères ennemis, dans un pays qui a deux gouvernements. Que doit-on en déduire pour toute l’Afrique ?

Jean Claude Shanda Tonme: Sauf meilleur avis, vous n’êtes pas seul à vous poser cette question. Il y a effectivement lieu de s’interroger plus profondément sur la grande kermesse organisée récemment à Paris entre les frères ennemis Libyens.

En somme, il faut situer la démarche de Macron dans un contexte très limité d’une sous-région, ensuite il convient de cerner les motivations de base de façon précise. A ce propos, nous ne sommes pas en présence de quelque chose pensée pour toute l’Afrique ou exprimant un intérêt général pour le continent. La France a peur, et l’Europe toute entière a peur. Cette peur c’est celle qui découle de la menace de l’invasion par l’immigration sauvage. Or les côtes libyennes sont depuis l’assassinat du guide Kadhafi, le principal point de départ en méditerranée vers l’Europe.

 

Mais alors, pourquoi l’Italie et l’Espagne qui accueillent l’essentiel de ces migrations, ne s’activent pas comme la France ?

Ecoutez, vous avez bien suivi la trajectoire de ce malien qui a grimpé le mur d’un immeuble pour sauver un gamin. Il est passé par l’Italie, mais pour se retrouver en France comme point de destination. Ce sont les avatars de la colonisation française et il faut bien assumer. Il n’y a rien à faire contre cette réalité. C’est la France qui est venue chez nous et non l’inverse, et c’est vers la France que nous lorgnons d’abord, parce que quoi que l’on dise, il y a un certain nombre de paramètres qui constituent des acquis incontournables sur lesquels on capitalise tout de suite, par exemple la langue, la présence des souches identitaires d’accueils sur place.

 

Vous dites donc que le président français ne s’active pas en réalité pour le bien-être des libyens, mais plutôt pour la protection des français contre l’invasion des immigrés ?

C’est exact, et je vous invite à ne pas rêver. Il n’y a aucune volonté humaniste derrière la démarche, mais bien un savant calcul selon lequel, plus vite on rétabli l’ordre en Libye avec un régime fort, un gouvernement effectif, une armée qui contrôle le territoire, mieux on sera certain de freiner voire de limiter radicalement les flots des migrants qui empruntent des bateaux de fortune clandestins à partir des nombreux zones de la côte qui échappent à tout contrôle étatique. Sans Etat, point d’ordre et sans ordre, tout est permis, et l’Europe va payer à prix fort par des flots de misérables et de fuyards économiques.

A vous entendre, le problème est devenu une question importante pour la France?

Mais ce n’est qu’un début, parce qu’au regard de la désintégration lente mais certaine des Etats francophones condamnés par des régimes totalitaires et sans espoirs, nous allons assister à une accentuation des départs y compris à partir des ports qui ne sont plus seulement libyens. Dans ma propre famille, je ne compte plus le nombre de jeunes entre 20 et 35 ans qui sont partis, dont certains très récemment. Promenez-vous dans les quartiers des grandes villes et on vous montre des familles où des enfants sont partis récemment. La situation s’aggrave au lieu de s’arranger.

 

Pensez-vous donc que Macron devrait s’occuper de mettre de l’ordre partout ?

On ne lui demande pas de mettre de l’ordre, mais on ne lui demande pas de fermer les yeux non plus. Vous savez, la conduite des dirigeants français est directement responsable du renforcement des régimes de dictature, particulièrement en Afrique centrale. Or ces régimes en plombant la démocratie et en tuant l’espoir, poussent les jeunes, même les adultes à l’exil. Il ne se passe plus un seul jour sans que je reçoive quelqu’un qui me dit qu’il en a marre et qu’il ne songe plus qu’à quitter le pays, souvent même sans aucune destination dans la tête.

 

Pensez-vous qu’Emmanuel Macron a une vision pour l’Afrique ?

Je vois certains parler d’un jeune président qui sera un président de rupture avec les anciens de la Françafrique. Mais oh, tenez, souvenez-vous de Mitterrand, de Hollande, de Sarkozy. A chaque fois, on remet une couche, et à chaque fois, on entretient les mêmes combines, le même langage, les mêmes routes. Il n’existe aucune sortie possible du carcan colonial, ni aucune possibilité réelle de rupture du cordon esclavagiste, en dehors des révolutions, mais encore faut-il adopter la bonne démarche, choisir le bon moment, avoir de bons leaders nationalistes. Macron a mis sur pied un vrai-faux machin-truc appelé « Conseil présidentiel pour l’Afrique ». C’est pour tromper les naïfs et se donner des airs de seigneur sage qui écoute les conseils et les recommandations de ses savants triés sur le volet. Mais il n’y a qu’à fouiller dans le CV et le parcours des membres de cette piètre équipe de saltimbanques de cirques, pour comprendre qu’il ne s’agit que des résidus rajeunis et maladroitement maquillés de la France-Afrique.

Or il y a absolument besoin de constructions de rapports des forces nouveaux pour ébranler l’édifice granitique du couloir maudit franco-africain. Objectivement la France ne serait rien sans l’Afrique, mais l’Afrique serait une boule de cristal et un véritable paradis sans la France...

 

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