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ONPC. “L’origine nazie du nom de l’Iran” : une nouvelle Fake News de BHL [1/2] (Les Crises)

par Les Crises 4 Juin 2018, 08:30 Iran BHL Origine nazie Fausse information France 2 ONPC Médias Propagande

Aujourd’hui, démontage d’une énorme Fake News de BHL, visant à manipuler l’opinion publique et à attiser les tensions contre l’Iran.

ONPC. “L’origine nazie du nom de l’Iran” : une nouvelle Fake News de BHL [1/2] (Les Crises)

 

I. 07/04/18 : BHL chez Ruquier

BHL invité par Ruquier (sans véritable contradicteur) a pu se livrer à un incroyable récit, que voici :

(copie de la vidéo ici)

Ruquier : Puisque vous avez cité parmi les cinq rois l’Iran. Or, il y a quelque chose que j’avais oublié. Que j’avais appris, mais que j’avais oublié : le fait que l’Iran s’appelait la Perse. Mais on oublie le moment du changement de nom : 1935. Et ça, vous estimez que c’est important.

BHL : C’est une histoire surtout incroyable, et en effet que très peu de gens savent, et, en tout cas, je ne l’ai lue nulle part. Je la raconte en détail. Je l’ai découverte d’ailleurs au Kurdistan.

Le 21 mars 1935, la Perse décide de changer de nom et de s’appeler l’Iran sur ordre de l’Allemagne.

Pourquoi ? Parce que Iran, en persan, en farsi, ça veut dire “le pays des Aryens”. Et, comme elle est à l’époque en pleine ascension, l’Allemagne nazie propose aux Persans “le deal du siècle”. L’Allemagne nazie dit aux Persans : « On va faire, vous les Aryens de l’Est, nous on fera les Aryens de l’Ouest, on va faire une chouette aventure commune, on va dominer le monde ! » Et les Iraniens acceptent le deal, et on a cette espèce de “coup d‘État sémantique” incroyable !

Parce que la Perse ce n’est pas rien. La Perse c’est une poésie, c’est des porcelaines, c’est un art extraordinaire, c’est tellement de choses, c’est une civilisation immense, c’est la civilisation achéménide, c’est un passé glorieux, La Perse décide ce jour-là de tirer un trait sur ce passé-là pour s’aligner sur l’Allemagne nazie.

Et ce qui est très intéressant, c’est que bien sûr, ça ne passe pas comme une lettre à la poste, je raconte tout ça en détail.

Ruquier : Vous dites que les Alliés, en 1941, quand ils entrent à Téhéran forcent le shah à abdiquer, tentent bien quelque chose et disent au fils et successeur du shah déchu que la plaisanterie a assez duré, et qu’il est urgent de révoquer ce décret scélérat. Le Shah n’en fait rien, et tout ce qu’obtiennent les alliés, c’est un ni-oui ni-non, qui permette qu’on dise indifféremment Perse ou Iran – sauf qu’on a continué à dire Iran.

BHL : en 1958, il y a un débat national qui se déroule en Iran avec des tas de gens qui disent attendez, ça va on s’est appelé pendant 2000 ans la Perse, ça fait 20 ans qu’on porte ce nom terrible, on va revenir au nom ancien ! Ça n’a pas marché, les dirigeants ont choisi de le garder.

Et au moment de la Révolution islamiste, et c’est encore le plus intéressant. Là encore la question s’est posée. On a dit, voilà, en 1979 revenons à la Perse, revenons à cette grandeur de civilisation extraordinaire ! Et pour d’autres raisons, alors des raisons philosophiques, parce qu’il y avait dans l’entourage des ayatollahs, des jeunes ou moins jeunes philosophes qui étaient Heideggériens – le philosophe nazi Heidegger – , et qui trouvaient toujours très très bien d’être islamistes et aryens, et qui trouvaient formidables de faire un Aryanisme Islamiste, ou un Islamisme Aryen. Et donc la révolution islamiste fonde « la République islamiste d’Iran ».

Et cette histoire est intéressante parce que c’est rare qu’un truc comme ça arrive, parce qu’elle est extravagante. Mais surtout parce qu’elle donne le vrai décor, ce qu’on sent bien à propos de l’Iran, on sent bien ce fond obscur, non dit, sur lequel se déploie l’islamisme, la vague brune !

La vague brune dont sont victimes les femmes iraniennes qu’on oblige à se voiler, dont sont victimes les homosexuels iraniens qu’on met en prison, dont sont victimes les femmes adultères iraniennes qu’on lapide ou qu’on menace de lapider comme Sakineh Mohammadi Ashtiani, et tant d’autres.

Et ça nous dit beaucoup de choses aussi sur l’islamisme radical et sur ce qu’on appelle le djihadisme. Parce que ça, c’est l’islam chiite, mais il y en a autant du côté de l’islam sunnite.

Ce djihadisme c’est deux choses, c’est le croisement de deux éléments. Bien sûr l’islam : ces gens, les djihadistes, les islamistes radicaux, sont des musulmans. il faut prendre très au sérieux le fait qu’ils prétendent parler au nom du Coran.

Mais c’est aussi des gens qui n’ont pas liquidé le passé noir et tragique et atroce du XXe siècle ; ce sont les derniers à ne pas s’être dénazifiés.

Le monde entier c’est dénazifié, l’Allemagne a fait un travail sur elle-même, un travail de mémoire extraordinaire, la France dans les années 80 avec (André) Harris et (Alain) Sedouy, avec le travail de Simone Veil et beaucoup d’autres, s’est dénazifiée, le Japon s’est dénazifié…

Le seul endroit où la dénazification ne s’est pas opérée, c’est le monde chiite, la Perse, et puis le monde sunnite avec les Frères musulmansle grand-père de Tariq Ramadan, c’était un nazi, pas un nazi par image...

 

II. Extrait du livre de BHL Les cinq rois

Voici ce que dit BHL dans son livre sur ce sujet (c’est même en 4e de couverture – je cite pour ne pas être accusé d’avoir dénaturé son propos) :

À quoi pensaient les Iraniens quand ils rebaptisèrent l’ancienne Perse, en 1935, pour lui donner un nom nazi ?

Autre exemple. Il est peu connu et c’est l’extraordinaire épisode du changement de nom, en 1935, de l’empire perse.

Reza Chah, fondateur de la dynastie Pahlavi, se trouve être l’ami de l’Allemagne dont il soutiendra l’Anschluss, le coup des Sudètes et la croisade antibritannique. Il pense, comme les futurs baasistes arabes, comme le Grand Mufti de Jérusalem, qu’un nouvel empire allemand est en train de naître qui ne sera ni saint, ni romain, ni seulement germanique, mais aryen.

Il sait, par ailleurs, que ce mythe aryen est, au même moment, en Allemagne, au centre d’une intense agitation intellectuelle qui enfièvre les universités, redynamise les écoles d’archéologie, divise les académies de linguistique comparée et de philologie.

Il sait que, dans ces discussions, est en train de s’imposer l’idée que le « berceau », de cette langue, de cette civilisation et de cette race « aryennes » se situerait quelque part entre l’Euphrate et l’Himalaya, c’est -à-dire, selon certains, ô miracle, au coeur de la Perse actuelle.

Et le voilà qui, voulant complaire à ces nouveaux cousins que les sciences reines de l’époque sont en train de lui découvrir, prend par décret royal, en date du 21 mars 1935, la décision inouïe de débaptiser son pays qu’on ne devra plus, dans les capitales étrangères, les relations internationales, les livres, la presse, appeler « la Perse», mais « l’Iran », c’est-à-dire, littéralement, en farsi, le « pays des Aryens ».

Bien sûr, les descendants des Achéménides se sont toujours aussi appelés, en farsi, « iraniens », c’est-à-dire « Aryens ».

Bien sûr, le mot « Ariaoi » apparaît, dès Hérodote, pour désigner le coeur de cet empire qui s’étend entre le Danube et le Nil.

Et lui-même, Reza Chah, dix ans plus tôt, lors de sa cérémonie de couronnement, avait tenu à ce qu’un crieur annonce, dans la plus pure tradition perse : « Enfin un homme appartenant à la race aryenne est arrivé à la tête de notre Etat ».

Mais il faut se mettre dans la tête d’un diplomate en poste à Téhéran, puis d’un responsable d’une grande chancellerie, recevant, en ce jour de mars 1935, la nouvelle qu’il est devenu interdit de dire « Perse » et que seul « Iran » sera, désormais, recevable.

Il faut lire, en France, la presse d’extrême droite de l’époque et, par exemple, dans l’édition de Je suis partout du 6 juillet, le reportage enthousiaste, tonitruant, triomphant, signé du fasciste belge Pierre Daye, intitulé « La Perse qui devient l’Iran » et consacré, pour une grande part, à ce changement de nom.

Il faut savoir enfin que cette brillante idée était venue de la légation iranienne à Berlin qui se l’était vu, elle-même, suggérer par les autorités allemandes – et en douterait-on que Radio Zeesen, l’antenne en persan de la radio nazie, ce média de propagande qui ne cesse de prêcher, à Téhéran, l’alliance entre « les Aryens du nord » et « la nation de Zoroastre » et qui présente Hitler comme le douzième imam qu’attendent les chiites depuis huit siècles, ne manque pas une occasion de le rappeler.

Il ne fait de doute pour personne, ce jour-là, que la décision s’inscrit, pour les uns comme pour les autres, dans le cadre d’un rapprochement de grande ampleur; qu’il s’agit d’être le plus nombreux possible à crier, à l’unisson, « Aryens de tous les pays unissez-vous » ; et que c’est l’occasion, pour les Persans-Iraniens, de se hisser à la hauteur du destin qui leur est offert par l’hitlérisme et qui leur permet de s’aligner sur ce qui semble être alors la combinaison gagnante de l’Histoire.

Mais ce n’est pas tout. Car arrive 1945.

Les nazis et leur idéologie, que l’on pensait sur le point de régner mille ans, ont été jetés aux poubelles de l’Histoire.

Tout le monde s’attend à ce que les « Iraniens », comme tant d’autres, disent : « voilà, la parenthèse se referme, la Perse sera toujours la Perse – que pèsent, face à deux mille cinq cents ans de gloire et de splendeur sans tache, ces pauvres dix années où, sous la nocive influence d’une poignée de fils indignes, les descendants de Darius et de Xerxès se sont malencontreusement alignés sur l’étoile noire de l’Europe ? reprenons notre bien ; réhabilitons notre beau nom « Perse ».

Or, étrangement, cela n’est pas dit. Or, plus exactement, cela n’est pas fait.

Les Alliés, en 1941, quand ils entrent à Téhéran et forcent le shah à abdiquer, tentent bien quelque chose et disent au fils et successeur du souverain déchu que la plaisanterie a assez duré et qu’il est urgent de révoquer le décret scélérat : le Shah n’en fait rien et tout ce qu’ils obtiennent est un « ni oui ni non » permettant que l’on dise, indifféremment, « Perse » et « Iran ».

Le Premier ministre du nouveau shah, Mohammad Ali Foroughi, qui se trouve être aussi un grand lettré, auteur de fins commentaires de Hafez, Rûmî ou Saadi et, par ailleurs, de traductions en persan de Descartes, a renchéri en s’indignant que l’on ait, « d’un trait de plume », transformé un pays légendaire en une sorte de nouveau pays, au nom inconnu, que le reste du monde confondra avec l’Irak : il n’est pas davantage écouté et meurt, l’année suivante, désolé de ce qui lui apparaît comme le suicide d’une grande nation.

Le problème devenant brûlant et des voix s’élevant, de plus en plus nombreuses, dans le monde et en Iran même, pour dire qu’il est plus que temps, en effet, de revenir à la situation qui prévalait avant ce funeste coup d’Etat sémantique, on va, en 1959, jusqu’à réunir une commission de lettrés, écrivains, consciences morales, constitutionnalistes, politiques. Elle recommande, elle aussi, cette commission, de refermer la parenthèse et de revenir, une fois pour toutes, à ce noble nom de Perse qui, dans l’esprit du monde, est associé à la poésie, aux miniatures, aux porcelaines, aux grands textes, voire aux chats ou aux tapis persans – tout un humble et prestigieux héritage dont on a pris le risque de se couper en ne se présentant plus, urbi et orbi, que comme le « pays des Aryens ». Le pouvoir résiste toujours. Le pouvoir s’obstine encore. Et l’on ne parvient, là non plus, qu’à imposer un usage « optionnel » des deux noms.

Et quand, en 1979 enfin, les islamistes chiites renversent le régime, il reste des Iraniens pour se souvenir de la folle mutilation infligée, quarante-quatre ans plus tôt, à leur pays ; il reste des voix qui, lorsqu’on leur dit que l’Iran doit s’appeler « l’Iran » car c’était aussi l’ancien nom persan de la Perse, répondent que c’est comme si la Grèce s’avisait, tout à coup, de se faire appeler « Hellas », l’Egypte d’imposer son nom arabe de « Misr » ou la Chine celui, mandarin, de « Zhongguo » ; il reste des érudits pour objecter qu’à ce compte-là il faudrait également appeler « Iraniens » toute une foule de territoires qui couvrirent historiquement le Kurdistan, le Baloutchistan, I’Ossétie, le Tadjikistan, l’Afghanistan, la Sogdiane, et on en passe ; mais ce sont là des considérations qui, parce qu’elles ne peuvent que réanimer les cendres d’un passé pré-islamique, n’intéressent guère les ayatollahs en marche vers le pouvoir ; ils semblent parfaitement à l’aise, eux aussi, avec leur « nom de pays » hérité du national-socialisme ; et c’est ainsi que la boucle se boucle et que l’Iran s’appelle, jusqu’aujourd’hui, « République islamique d’Iran ».

La dénazification nominaliste n’a pas eu lieu.

La dénomination « pays des Aryens », avec tout ce qu’elle charrie forcément, dans l’oublieuse mémoire collective, du coup de force de 1935, a effacé l’usage du nom de Perse.

En sorte que, si l’on croit, tant soit peu, à l’inconscient des langues et à la puissance de leurs noms, il faut bien conclure qu’un spectre hante l’Iran et que c’est celui, encore, de ce que le xxe siècle européen a produit de plus désastreux.

D’ailleurs, est-il si certain que cette affaire ait paru dénuée d’intérêt aux ayatollahs?

Et ne savaient-ils pas très bien ce qu’ils faisaient en persistant, comme l’ancien régime, à préférer une appellation inspirée par les nazis lors du putsch nominaliste, encore très proche, de 1935 à celle que leur léguait leur tradition nationale ?

P.S. afin de donner toute la publicité méritée à BHL, nous avons réalisé une traduction en anglais de ces propos, consultable dans ce billet.

III. Un premier Factchecking par CheckNews de Libération

Le service CheckNews de Libération (qu’on peut chaleureusement féliciter) a fort heureusement réalisé une enquête de grande qualité :

“Pour vérifier les propos de BHL (rapportés du Kurdistan et qu’il dit n’avoir jamais lus ailleurs), CheckNews a contacté plusieurs chercheurs du laboratoire pluridisciplinaire «Mondes Iranien et Indien», qui relève des tutelles du CNRS, de l’Université Sorbonne nouvelle, de l’École Pratique des Hautes Études et de l’Institut National de Langues et Civilisations Orientales. Nous avons pu joindre les historiens Yann Richard, Florence Hellot, Denis Hermann ainsi que le géographe Bernard Hourcade.

Tous nous ont fait part de leur surprise, voire de leurs ricanements en découvrant l’histoire racontée par Bernard-Henri Lévy sur France 2. Aucun n’estime que le changement de nom de Perse en Iran, qui a bien eu lieu en 1935, n’est lié à un «ordre de l’Allemagne» nazie.

[… suivent les intéressants témoignages, à lire ici…]

En résumé: CheckNews a contacté plusieurs historiens français spécialistes de l’histoire de l’Iran. Aucun ne confirme la thèse énoncée par BHL selon laquelle, la Perse serait devenue l’Iran à cause de l’Allemagne nazie. Les historiens interrogés notent que le nom Perse était employé par les Occidentaux, alors que les habitants du pays utilisaient déjà le nom Iran. C’est pour s’affirmer en tant que pays moderne, détaché de l’exotisme que provoque le nom Perse, que le dirigeant Rezâ Shâh aurait décidé, en 1935, d’appliquer le nom Iran à son pays.”

 

 

IV. Éléments d’explication

Alors qu’en est-il ?

 

4-1 Un peu de Géographie

L’Iran se situe au confluent de plusieurs plaques tectoniques : l’arabique, l’indienne et l’euro-asiatique

De telles tensions se traduisent d’ailleurs par des séismes fréquents :

Mais elles ont surtout permis la création du plateau Iranien ou plateau Aryen. C’est une formation géologique importante située entre le Moyen-Orient et l’Asie centrale. Il couvre la plus grande partie de l’Iran (environ les 2/3 du pays depuis les monts Zagros en allant vers l’est), toute la région de l’Azerbaïdjan, l’Afghanistan (principalement les parties occidentales et méridionales du pays), le Pakistan occidental (dans le Baloutchistan) ainsi que les parties méridionales et orientales du Turkménistan.

De la Caspienne au nord-ouest jusqu’au Baloutchistan au sud-est, le plateau iranien s’étend sur près de 2 000 km. Sur un quadrilatère formé par les villes de Tabriz, Shiraz, Peshawar et Quetta, il a une superficie d’environ 3 700 000 km², soit plus de 6 fois la France.

Bien qu’appelé “plateau”, il est loin d’être plat, mais contient plusieurs chaînes de montagnes, le plus haut sommet étant le Damavand dans l’Alborz à 5610 m, le Dasht-e Lut à l’est de Kerman dans le centre de l’Iran tombant en dessous de 300 m.

Notons que tout le trait caractéristique du pays est l’immense désert de son plateau central, qu’encerclent en amphithéâtre des pâturages et des cimes alpestres :

4-1 Un peu d’Histoire

Il y a 3000 ans environ, les Perses et les Mèdes, peuples d’origine et de langue indo-européennes quittèrent leur territoire d’origine, situé près de l’Oxus en Asie centrale et nommé Aryavidge dans l’Avesta pour émigrer vers le plateau iranien et s’y installer.

Ces peuples se divisèrent en deux groupes lors de leurs déplacements :

  • le groupe indien, ou indo-aryen, qui a pénétré dans le sous-continent indien ;
  • le groupe iranien qui occupa au second millénaire av. J.-C., l’Asie centrale, le plateau iranien, l’Afghanistan, l’Ukraine et les plaines méridionales de la Russie actuelle.

Ces peuples se définissaient par le terme proto-indo-iranien Arya – francisé en aryen -, venant du sanskrit ārya qui signifie « excellent, honorable, noble » par opposition aux peuples voisins. Les Iraniens d’aujourd’hui sont issus de ces premières ethnies aryennes.

Les langues indo-iraniennes (ou aryennes) sont apparentées à celles des Latins, des Celtes, des Slaves, des Germains, ou des Grecs. Elles forment une famille qualifiée d’indo-européenne. Les peuples qui parlent ces langues sont appelés les Indo-Européens.

Au milieu du VIe s. av. J-C, ces ethnies s’allièrent afin de vaincre les États sémites de l’époque et fondèrent un grand État, parfois nommé Iran, contraction du perse Iranshahr : le “pays des Aryens”. La première forme est Aryanam désignant chez les premiers Perses toutes les terres habitées alors par les peuples aryens.

Ainsi naquit l’Empire perse achéménide, le plus vaste de l’Antiquité, s’étendant de l’Inde à la mer Égée.

L’empire chute en 330 av. J.-C., conquis par Alexandre le Grand, sous Darius III. Les généraux d’Alexandre établissent la dynastie des Séleucides, qui s’effondre à son tour en 60 av. J.-C., sous l’assaut des Romains. L’empire parthe leur succède jusqu’en 224, quand le roi Artaban IV est défait par un de ses vassaux perses. Une nouvelle dynastie naît : les Sassanides, qui donnent naissance au second empire perse (226 – 651).

Les Sassanides sont les premiers à appeler officiellement leur empire Iranshahr ou Eranshahr. Il s’agit d’une des périodes les plus importantes de l’histoire de l’Iran : la civilisation perse s’accomplit dans de nombreux domaines, et influence considérablement le monde romain, les deux empires étant perpétuellement en guerre. L’Iran est ensuite conquis par les musulmans.

On le voit par exemple dans cette vieille inscription datant de la fin du IIIe siècle :

(source : Revue archéologique, 1898)

(source : Ancient Persia From 550 BC to 650 AD 2001 de Josef Wiesehofer)

Dénomination de deux rois sassanides évoqués sur une stèle d’époque (sources : Histoire de la Perse de Sir John Malcolm, 1821, Wikipedia 1 et Wikipedia 2)

Il est à noter que la Perse (en grec ancien ἡ Περσίς / hê Persís) est le nom métonymique qu’utilisaient les Grecs de l’Antiquité pour désigner le territoire gouverné par les rois achéménides. Il fait en effet référence à une région de l’Iran, le Fars ou Pars :

La région de Fars

Cependant, les Grecs désignaient aussi la région sous le terme d’Ariana (terre des Aryens), terme introduit par le géographe grec Ératosthène, (-276 – -195), comme ici sur sa carte :

Carte d’Ératosthène, vers , employant les termes d’Ariana et Persis (vers -194 av. JC)

L’utilisation du terme Aryen a décliné durant la première moitié du XXe siècle. Les nazis reprirent cette appellation pour bâtir une entreprise idéologique et raciste à partir de deux hypothèses. La première avait été avancée par le comte Joseph Arthur de Gobineau, dans son Essai sur l’inégalité des races humaines, publié en 1855. Il émit l’hypothèse qu’un peuple dit “Aryen” aurait constitué une race présumée biologiquement pure ayant vécu en Asie, dont la langue aurait été le sanskrit, imaginé comme langue-mère de toutes les autres langues indo-européennes. La deuxième hypothèse, formulée par Ludwig Geiger en 1871 et par Karl Penka vers 1885, situait l’origine de ce peuple imaginaire en Allemagne.

Les propagandistes nazis empruntèrent le terme d’Aryen et lui donnèrent une couleur biologique dans le but d’en faire un concept idéologique. Ils associèrent ce terme à une « race germanique » qu’ils considéraient comme supérieure aux autres, et qu’il fallait prémunir de tout mélange génétique. Évidemment dépourvue de tout fondement scientifique, cette théorie stupide et paradoxale entraîna à l’époque de nombreuses moqueries :

Le type aryen : « blond comme Hitler, mince comme Göring, grand comme Gœbbels »..
4-2 Le changement de 1935

Le 31 décembre 1934, l’empereur Reza Shah Pahlavi (de 1925 à 1941) publie un décret demandant à toutes les relations étrangères du pays de le désigner sous le nom d’Iran dans leur correspondance officielle, et non plus de Perse, et ce à compter du 21 mars 1935, date du Nouvel An iranien.

Il est à noter que, de tout temps, les Iraniens appelaient bien leur pays, dans leur langue, “Iran”. Ce sont les étrangers qui l’appelaient Perse, nom historique en Occident, mais qui était seulement celui d’une région. C’est un peu comme si les étrangers appelaient l’Allemagne “Prusse”.

4-3 L’origine du changement est trouble

Sous le règne de Reza Shah Pahlavi, la Perse accélère sa modernisation : fondations d’universités, constructions de chemins de fer et industrialisation massive, nouveau système monétaire, nouvelle structure de l’État, nouvelle armée, nouveau calendrier, reconstruction de nombreux sites historiques en Iran. Il bouleverse l’ordre social établi en accélérant les réformes et en essayant de faire passer l’Iran au XXe siècle. Il fonde la première université moderne du pays, l’université de Téhéran (1934), instaure l’usage des noms de famille et du livret d’état civil, modernise la justice et l’armée et entreprend un effort considérable pour moderniser le système éducatif. En 1935, il interdit le port du voile pour les femmes et oblige les hommes à se vêtir « à l’occidentale ».

Selon certaines sources, la modification de la dénomination occidentale du pays aurait peut-être été inspirée par l’ambassadeur iranien en Allemagne, Abdol Ghassem Nadjm, mais cela semble peu sûr. En tout cas, les experts ne parlent jamais d’une influence du gouvernement allemand nazi (source).

Ce changement s’inscrit cependant dans une dynamique de très nombreuses modifications – des villes iraniennes ont également été renommées par exemple (source).

Il est vrai que Reza Shah Pahlavi essaya de développer les relations avec l’Allemagne – ce qui finit par provoquer une intervention anglaise qui le renversa, mais il n’en fut jamais un allié (sources 1 et 2).

Enfin, on ne saurait trop conseiller à BHL de lire plus régulièrement le site du Musée Mémorial de l’Holocauste de Washington. Il rappelle que le nom Perse était négativement connoté en raison de l’impérialisme anglo-russe, et l’article ne traite en rien des théories fumeuses de BHL :

Si les élucubrations de BHL avaient eu le moindre fondement, il est probable que l’Encyclopédie de l’Holocauste en aurait parlé…

4-4 Pour le reste, c’est une pure invention de BHL

Ainsi, aucune source sérieuse ne vient corroborer les affirmations de BHL :

“la Perse décide de changer de nom et de s’appeler l’Iran sur ordre de l’Allemagne.”

l’Allemagne nazie propose aux Persans “le deal du siècle”. L’Allemagne nazie dit aux Persans : « On va faire, vous les Aryens de l’Est, nous on fera les Aryens de l’Ouest, on va faire une chouette aventure commune, on va dominer le monde ! » Et les Iraniens acceptent le deal, et on a cette espèce de “coup d‘État sémantique” incroyable !”

4-5 Il suffisait à BHL de lire… des dictionnaires !

Nous conclurons cette partie par ces éléments tirés de l’encyclopédie Universalis, et rédigés par deux des plus grands iranologues français – Henry Corbin et Robert Mantran :

Nos deux sommités ne font évidemment aucune référence aux élucubrations avancées par BHL…

Mais on peut aussi lire le Larousse édition… 1901 :

qui faisait suite au Grand Dictionnaire Universel de Pierre Larousse de 1873 :

Qui faisait suite à ce qu’en disait l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert de 1765 :

On a ceci aussi dans les livres (source) :

Mais le meilleur restait à venir, car BHL a réagi à la polémique… A lire dans ce second billet

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