Bolton tente de convaincre Trump d’abattre l’Iran.
Par Gareth Porter
Consortium News
John Bolton a peut-être renoncé à vouloir bombarder l’Iran, disant que ce n’est pas lui qui décide, mais il n’a pas vraiment renoncé à essayer de convaincre Trump de remplacer le régime de Téhéran, comme l’explique Gareth Porter.
Maintenant que l’administration Trump a fait dérailler l’accord nucléaire iranien, la vieille question du changement de régime en Iran est de retour. Le conseiller à la sécurité nationale John Bolton est évidemment le principal défenseur du changement de régime au sein de l’administration, et il y a toutes les raisons de croire qu’il a commencé à faire avancer cette politique auprès de Donald Trump au cours de son premier mois à la Maison-Blanche.
Bolton faisait partie de la puissante faction néoconservatrice des responsables de la sécurité nationale dans l’administration de George W. Bush qui avait un plan pour soutenir le changement de régime en Iran, pas très différent de celui que Bolton favoriserait maintenant. Mais il s’agissait d’un stratagème farfelu qui impliquait l’organisation terroriste exilée moudjahidin du peuple iranien [Mujaheddin-e-Khalq ou MEK, NdT] qui n’a jamais eu le soutien de Bush.
Bolton pourrait voir l’histoire se répéter, et Trump résister à son plan de changement de régime, tout comme Bush l’a fait en 2003.
Trump appelle au changement
Trump a semblé flirter avec l’idée d’un changement de régime iranien dans le passé. Lors des manifestations de décembre en Iran, il a déclaré sur Twitter qu’il était temps pour un changement, notant : « Le grand peuple iranien est réprimé depuis des années ».
La liquidation par Trump de l’accord nucléaire, cependant, s’est arrêtée avant que la rhétorique ne signale l’objectif de renverser la République islamique. Au lieu de cela, Trump a suggéré que les « dirigeants iraniens » vont « vouloir conclure un accord nouveau et durable, un accord qui profite à l’ensemble de l’Iran et au peuple iranien ». Il a ajouté : « Quand ils le feront, je suis prêt, disposé et capable ».
Quelques jours après l’annonce de Trump, un fonctionnaire anonyme du Conseil de Sécurité Nationale (NSC) a évité toute allusion à un changement de régime, disant au journal néoconservateur Washington Free Beacon : « Notre politique déclarée est de changer le comportement du régime iranien ».
Maintenant, Bolton a émis un déni encore plus explicite, disant à ABC News : « Ce n’est pas la politique de l’administration. La politique de l’administration est de s’assurer que l’Iran ne se rapproche jamais d’une action nucléaire délivrable ».
Et dans l’émission L’État de l’Union sur CNN, il a dit : « J’ai écrit et dit beaucoup de choses quand j’étais un agent complètement libre. Je me tiens certes à ce que j’ai dit à l’époque, mais c’était mon opinion à l’époque. Ma situation actuelle est que je suis le conseiller du président en matière de sécurité nationale. Je ne suis pas le décideur en matière de sécurité nationale ».
Il n’est pas difficile de lire entre les lignes : le message implicite est que son point de vue sur le changement de régime n’a pas prévalu avec Trump – jusqu’à présent.
Bolton : Bombarder l’Iran
Bolton a longtemps été l’un des plus ardents partisans d’une telle politique, bien qu’il soit mieux connu comme le principal défenseur des bombardements en Iran. Il a été l’un des membres les plus enthousiastes parmi les anciens fonctionnaires américains qui se sont associés à la MEK, qui cherche à renverser le régime de Téhéran avec le soutien des États-Unis.
Bolton n’est pas seulement apparu aux rassemblements de la MEK à Paris, avec d’autres anciens fonctionnaires américains ayant la mainmise sur cette organisation paramilitaire bien dotée. En juillet 2017, il a déclaré que l’administration Trump devrait adopter l’objectif de changement de régime en Iran, qualifiant la MEK d’alternative « viable » au régime. Et sa dernière phrase, prononcée en haussant dramatiquement le ton, indique que « avant 2019, nous qui sommes ici feront la fête à Téhéran ».
Il semble que Bolton promouvait encore l’idée au sein de l’administration plus tôt ce mois-ci. The Washington Free Beacon a rapporté le 10 mai qu’un document de trois pages décrivant une stratégie de changement de régime d’une petite organisation d’extrême droite appelée le Security Studies Group, avec lequel Bolton aurait des liens étroits, a été distribué aux responsables du NSC. Les citations du journal dans l’article montrent clairement que la stratégie est basée en grande partie sur l’exploitation des conflits ethniques et religieux en Iran.
Le journal ferait valoir que les minorités ethniques – comme les Kurdes, les Azéris, les Arabes Ahwazi et les Baloutches – représentent un tiers de la population iranienne, et soutient que l’oppression du régime iranien à l’égard de ses minorités ethniques et religieuses a créé les conditions d’une campagne efficace pour scinder l’État iranien en plusieurs composantes.
Il ajoute : « Le soutien des États-Unis à leurs mouvements indépendantistes, tant ouvertement que secrètement, pourrait forcer le régime à se concentrer sur eux et limiter sa capacité à mener d’autres activités malveillantes ».
Ces minorités ont toutes des organisations qui ont mené des actions violentes, y compris des attentats à la bombe et des assassinats contre des responsables iraniens, au cours de la dernière décennie, et une telle stratégie impliquerait vraisemblablement de soutenir une intensification de ces activités – en d’autres termes, le soutien des États-Unis aux activités terroristes contre des cibles du gouvernement iranien.
« Pas de bon terroriste »
Mais rien de tout cela n’est nouveau. C’était la ligne officielle de la puissante alliance entre les néoconservateurs et l’axe Cheney-Rumsfeld au sein de l’administration Bush. En 2003, Douglas Feith, l’ancien sous-secrétaire à la défense pour la politique, avait développé un plan pour donner aux MEK, dont l’armée avait été capturée par les troupes américaines en Irak, un nouveau nom et les utiliser pour une opération paramilitaire secrète en Iran.
Pendant ce temps, l’Iran proposait de fournir des noms et d’autres données sur les responsables d’Al-Qaïda qu’il avait capturés en échange d’informations américaines sur la MEK. Lorsque l’ancien secrétaire à la défense Donald Rumsfeld a cherché à protéger la MEK d’un tel accord, la réponse de Bush a été : « Mais nous disons qu’il n’y a pas de bon terroriste ».
Malgré la fixation néoconservatrice sur le soutien à la MEK, la CIA et les Israéliens ont longtemps considéré comme ridicule l’idée qu’elle pourrait être un instrument de changement de régime en Iran. Après que l’organisation a aidé le régime de Saddam Hussein à réprimer les soulèvements chiites et kurdes, elle a perdu tout semblant de légitimité à l’intérieur de l’Iran. Après sa relocalisation en Irak, elle a d’ailleurs été transformée en un culte autoritaire.
L’ancien ambassadeur d’Israël en Iran, Uri Lubrani, à qui on a donné carte blanche pour organiser un programme de déstabilisation de l’Iran, a reconnu il y a longtemps, comme il l’a dit à deux journalistes israéliens, que la MEK n’a aucune capacité à faire quoi que ce soit à l’intérieur du pays.
C’est Lubrani qui a été le premier à avancer l’argument selon lequel environ un tiers de la population iranienne totale était constitué de minorités ethniques et que la promotion de leurs activités anti-Téhéran pourrait contribuer à déstabiliser le gouvernement. Ces groupes ont mené des attentats terroristes à la bombe et d’autres actions armées dans diverses parties de l’Iran au fil des ans, et il est bien documenté qu’Israël soutenait et conseillait l’organisation extrémiste baloutche Jundallah sur de telles opérations. Mais les Israéliens ont surtout utilisé la MEK pour diffuser de la désinformation sur le programme nucléaire iranien.
Le document d’orientation Bolton pousserait explicitement les États à inclure dans la politique de changement de régime le recours à la force militaire contre l’Iran si nécessaire. C’était les prémices du plan Cheney-Bolton pour le changement de régime en Iran, comme l’ancien conseiller du vice-président Dick Cheney pour le Moyen-Orient, David Wurmser, l’a révélé plus tard. Et c’est le jeu auquel Bolton, le passionné de bombardements de l’Iran, semble toujours jouer.
Cet article a été publié à l’origine sur Middle East Eye.
Gareth Porter est un journaliste d’investigation indépendant et lauréat du Prix Gellhorn 2012 pour le journalisme. Il est l’auteur de la nouvelle publication Manufactured Crisis : The Untold Story of the Iran Nuclear Scare. [Les Crises fabriquées : L’histoire inédite de la peur du nucléaire iranien, NdT]
Source : Gareth Porter, Consortium News, 23-05-2018
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.
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