«C’est un enfer» Comment le Vietnam a subi les attaques chimiques des États-Unis
Par Andreï Vesselov
Sputniknews
Dans les années 1960, les forces armées américaines qui menaient l’opération Ranch Hand ont contaminé à la dioxine 10% du territoire du Vietnam du Sud. Ce fut l’emploi le plus vaste d’armes chimiques. L’objectif officiel consistait à réprimer les partisans Viet Minh mais ce sont essentiellement des civils qui en ont été victimes. Il y a eu beaucoup de cas. Ceux qui ont survécu ont eu des lésions irréversibles. Leurs enfants avaient des malformations. Notre correspondant a interviewé des Vietnamiens qui ont subi les bombardements à la dioxine.
Le SIDA chimique
L’agent orange recélant la dioxine était l’arme de destruction massive principale des États-Unis pendant cette guerre. Il était transporté dans des tonneaux orange, d’où son nom. L’agent était fourni par la compagnie Monsanto, sous-traitant du ministère américain de la Défense qui compte actuellement parmi les principaux fournisseurs de graines pour les aliments génétiquement modifiés.
L’agent orange était employé pour brûler la jungle du Vietnam du Sud afin de priver les partisans de la possibilité de se cacher.
Les Américains ont dispersé pendant dix ans depuis les avions plus de 80 millions de litres d’agent ayant contaminé le sol et les rivières.
La dioxine provoque chez l’homme des troubles métaboliques, des maladies oncologiques, affaiblit le système immunitaire, entraîne une sorte de SIDA chimique et exerce un effet catastrophique sur l’hérédité. Les enfants des Vietnamiens ayant subi l’attaque chimique avaient des crânes déformés. Ils sont nés sans yeux, sans nez ou sans membres et dans le meilleur des cas étaient atteints d’oligophrénie.
«Dès le début, les Américains n’ignoraient pas les conséquences tout en prétendant que l’agent n’était pas nocif pour l’homme, qu’il ne détruisait que la jungle», raconte à notre correspondant le général en retraite Nguyen Van Rin, président de l’Association des victimes de l’agent orange/dioxine siégeant à Hanoï. «Ils se rendaient bien compte que des paysans en seraient essentiellement victimes. Les partisans quittaient les régions contaminées alors que les paysans ne pouvaient abandonner leurs foyers, leurs familles, leurs champs de riz. C’était une action de dissuasion», poursuit Nguyen Van Rin.
«Le sang coulait de partout»
Nguyen Dan Chi était officier subalterne dans l’armée. Il a participé aux combats contre les Américains. Un jour, ses soldats ont fait prisonnier un pilote des forces de l’air américaines. Celui-ci s’est éjecté d’un avion abattu et s’est cassé les jambes et la colonne vertébrale lors de l’atterrissage. Les soldats vietnamiens lui ont prodigué les premiers soins et l’ont amené à l’État-major de l’armée.
«Nous ne lui avons pas fait de mal bien que plusieurs soldats soient enfiellés», raconte-t-il.
Dan Chi a reçu sa dose de dioxine lorsqu’il a regagné son village natal. «J’ai été victime de délire pendant plusieurs semaines. Ma peau était couverte de chancres, de pu, de mucus. Le sang coulait de partout, de tous les trous. Je n’étais pas blessé quand j’étais au front. C’est chez moi que je me suis empoisonné», se souvient-il.
Ensuite commence le plus effrayant.
«Ce fut un enfer», dit un militant de l’Association des victimes de l’agent orange/dioxine qui nous accompagne.
Son troisième enfant, Tuan, a une quarantaine d’années mais ne sait ni marcher ni parler. Ses membres faibles et fragiles sont rigides. Le plus souvent il passe son temps sur un matelas près du lit de ses parents. Il n’est même pas capable de se nourrir lui-même.
«Je suis très reconnaissant envers ma femme. Thi aurait pu me quitter pour un homme en bonne santé et avoir des enfants. Mais elle est restée avec moi», confie cet ancien officier.
Son quatrième enfant est aussi vivant. Kui est adulte mais son niveau de développement intellectuel est celui d’un enfant. Incapable de se concentrer pendant plus d’une minute, il baguenaude dans le village. En souriant en permanence. Après un thé, Thi Nguyen nous offre un sac avec des tomates de son jardin. «Elles sont très bonnes», nous assure-elle.
«Mon mari ne supportait pas de voir ça»
Pham Thi Hang est venu nous chercher à la porte de sa maison. Son mari a été lui aussi contaminé à l’agent orange. Le couple a eu quatre enfants et tous ont des malformations. Leurs trois fils, Bao, Van et Dang, ne savent ni marcher ni parler, comme le fils aîné du couple Nguyen. Durant des journées entières, ils fixent le regard droit devant eux, se balancent d’arrière en avant et n’émettent que des sons inintelligibles. Il faut les nourrir, les laver, les habiller, veiller à ce qu’ils ne se blessent pas. Le mari de Thi Hang Bin a été contaminé par la dioxine en travaillant dans les champs. Selon ses voisins, après la naissance de son troisième enfant atteint de malformations, il a fait plusieurs tentatives de suicide. Ila abandonné son travail et s’est mis à battre sa femme alors qu’auparavant, c’était une personne considérée comme gentille et calme.
«Il buvait, s’absentait pendant longtemps, il ne voulait pas voir ça. Ensuite il a beaucoup bu et il a fini par mourir», explique Thi Hang.
Leur quatrième enfant, une fille prénommé Zung, est née elle aussi avec des malformations mais a réussi à apprendre à lire et à écrire. Elle a même eu son bac et a travaillé comme vendeuse dans un marché.
Zung qui est morte très tôt, a donné naissance à deux enfants: une fille Fyong et un fils Vuy qui eux n’ont pas de pathologies.
«Ils sont l’avenir de notre famille, mon avenir, l’avenir de mon défunt mari. C’est pour eux que chaque jour je me lève», pleure Thi Hang.
Nous revenons à Hanoï où se trouve l’Association des victimes de l’agent orange/dioxine. Le président de l’association Nguyen Van Rin montre des recueils de statistiques. «Trois millions de Vietnamiens ont été victimes de ce poison! Aujourd’hui il y a un million de personnes handicapées. Vous comprenez que les organisations internationales n’ont jamais reconnu ça comme un crime de guerre ou un crime contre l’humanité», dit-il avec indignation.
«Nous sommes en contact avec les vétérans américains victimes de la dioxine», poursuit-il. Et d’ajouter: «Le juge a ordonné de leur verser des dommages-intérêts.
C’est-à-dire que les crimes sont juridiquement reconnus et tout est prouvé! Mais les juges américains ont rejeté la demande des Vietnamiens: pour eux nous sommes des sous-hommes.»