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Crimes de guerre au Vietnam. Jour 4: Les démons du passé obsèdent les vétérans de la Tiger Force (Toledoblade)

par Michael D. Sallah & Mitch Weiss 3 Juillet 2018, 05:43 Vietnam Crimes de guerre Armée US USA Colonialisme Impérialisme

Crimes de guerre au Vietnam. Jour 4: Les démons du passé obsèdent les vétérans de la Tiger Force (Toledoblade)

 

Pour Barry Bowman, les images reviennent chaque nuit.

Le vieil homme prie à genoux. L’officier pointe son fusil sur la tête de l’homme.

Le coup de feu.

Ce coup de feu assourdissant.

Avant que cela soit fini, le vieil homme s’écroule sur le sol – son corps est agité de convulsions dans l’herbe souillée de sang.

Encore et encore, M. Bowman revit l’exécution du villageois vietnamien connu sous le nom de Dao Hue.

Malgré des années de thérapie, l’ancien soldat de la Tiger Force est toujours profondément bouleversé par la tuerie la plus brutale qu’il ait vu en tant que médecin dans la vallée de la Song Ve.

Il n’est pas le seul.

Sur les 43 anciens membres du peloton interviewés par The Blade en 18 mois d’investigation sur la Tiger Force, une douzaine expriment des remords pour avoir commis ces atrocités, ou n’avoir pas pu à les arrêter.

Ils ont en commun les mêmes symptômes – des flashbacks ou des cauchemars – et ils ont tous cherché un suivi psychologique durant les 36 dernières années, disent-ils.

Neuf d’entre eux ont été diagnostiqués comme ayant un stress post-traumatique, ou PTSD , un état psychiatrique qui arrive à la suite d’expériences qui ont menacées la vie même.

A ce jour, ils sont aux prises avec des souvenirs du massacre de la Tiger Force commis dans 40 hameaux des Hauts Plateaux du Centre du Sud Vietnam en 1967.

M. Bowman qui se tenait près de M. Dao quand il fut tué par une balle dans la tête par un chef de peloton, a dit qu’il est encore secoué par l’attaque gratuite sur le vieil homme de 68 ans qui implorait pitié.

« C’était dévastateur », a-t-il déclaré.

Pour beaucoup, les images ne s’effacent pas.

Quand Douglas Teeters ferme les yeux, il voit les villageois se faire tuer alors qu’ils agitent des tracts garantissant leur sécurité.

Il prend des antidépresseurs et des somnifères, mais il n’arrive jamais, semble-t-il, à se reposer vraiment, déclarait-il.

M. Teeters fait parti des 1/6ème des vétérans du Vietnam – environ 500 000 – qui sont traités pour PTSD.

La plupart des gens qui surmontent ce syndrome sont capables de se rappeler l’horreur des événements sans ressentir de traumatisme. La fréquence des cauchemars diminue et en même temps les patients arrivent à mieux contrôler leur vie.

Mais cela peut être plus compliqué pour ceux qui ont commis – ou n’ont pas réussi à arrêter – des atrocités, disent les cliniciens.

En plus du traumatisme, ils sont souvent aux prises avec un fort sentiment de culpabilité qui peut compliquer les sentiments plus profonds de peur et d’isolement, dit la docteure Dewleen Baker, directrice d’une clinique de recherche sur le PTSD à Cincinnati.

« C’est une autre couche à laquelle il faut s’attaquer », a-t-elle dit. « Ce n’est pas si facile. Comment assumer le fait d’avoir tué des civils ? C’est dur, surtout quand on a un profond système de valeurs. »

Parfois, les patients hésitent entre justifier leurs actes et condamner ce qu’ils ont fait, a déclaré le Dr David Manier, professeur de psychologie à la City University of New York qui traite les anciens combattants atteints du PTSD.

Quand les attaques contre les villageois sont des exécutions – et non des fusillades dans la frénésie et la confusion de la bataille – « il est plus difficile de donner un sens aux choses », a-t-il dit.

M. Teeters a expliqué qu’il se démène avec ses propres actions – l’exécution de soldats capturés – et les actions d’anciens membres du peloton lors de la mort de villageois.

« La tuerie me hante chaque minute de ma vie », a-t-il dit lors d’une récente interview. « Pour survivre, il fallait dire : “Le massacre ça ne veut rien dire. “C’est comme ça que tu t’en es sorti, mec. Mais en fin de compte, tout vous rattrape”. »

L’ancien sergent Ernest Moreland refuse de parler de son rôle dans la mort par arme blanche d’un détenu près de Duc Pho, en disant qu’il craint d’être poursuivi. Mais il a dit qu’il essayait toujours de rationaliser le meurtre.

« Les choses que tu as faites, tu y repenses et tu dis : “Je n’arrive pas à croire que j’ai fait ça.” À l’époque, cela semblait correct », dit-il. « Mais maintenant, tu sais que ce que tu as fait était mal. Le crime vous atteint. Les cauchemars te gagnent. Tu ne peux pas y échapper. Tu ne peux pas échapper au passé. »

Il fait partie des neuf vétérans interrogés qui ont dit s’être tournés vers la drogue ou l’alcool pour soulager leur douleur après leur retour du Vietnam.

« J’ai beaucoup trop bu. J’ai participé à beaucoup de bagarres », a dit M. Moreland, qui vit maintenant en Floride.

Ce n’est qu’il y a quatre ans qu’il a demandé de l’aide. « J’ai failli me suicider », a-t-il dit.

Un autre soldat de peloton, Sam Ybarra, buvait souvent plusieurs jours d’affilée, quittant rarement sa caravane en Arizona, selon ses proches.

Tandis qu’il présentait des symptômes classiques du SSPT, avec de longs épisodes de dépression, il mourut en 1982 avant d’être diagnostiqué. Dans les années qui ont suivi la guerre, il a exprimé des remords pour avoir tué des civils, a dit sa mère, Therlene Ramos, 78 ans.

« Il a buvait pour oublier ce qu’il avait fait », dit-elle. « C’était une personne normale avant d’aller au Vietnam. Quand il est revenu, il était alcoolique, il fumait. Il n’était pas la même personne. Il était vivant, mais mort. »

Regarder ailleurs

fait payer un lourd tribut aux anciens combattants

Plusieurs anciens combattants ont déclaré qu’au moment où ils se sont enrôlés dans la Tiger Force, l’unité était déjà impliquée dans des pratiques qui violaient les règlements de l’armée et le droit international.

Pour survivre, ils ont senti qu’ils devaient regarder ailleurs.

L’un d’entre eux était Rion Causey.

L’ingénieur nucléaire de 55 ans a déclaré qu’il avait participé à des groupes de soutien psychologique une décennie après avoir été témoin de l’assassinat de villageois au nord-ouest de Chu Lai. « Je me réveillais la nuit avec des sueurs », dit-il.

« Je n’ai pas condamné ce qui se passait à l’époque », a dit l’ancien médecin. « J’avais 19 ans, mais je savais que ce qu’ils faisaient était mal. C’était mal. »

Deux autres ont déclaré avoir des remords d’être restés les bras croisés pendant que les membres du peloton s’attaquaient aux villageois.

« Je regrette de n’avoir rien signalé », a déclaré l’ancien médecin Harold Fischer, âgé de 54 ans. « J’étais jeune. Je n’en savais pas plus. »

Vivant maintenant au Texas, il était avec la Tiger Force pendant la campagne militaire près de Chu Lai. Il a dit qu’il savait que le massacre de civils était mal moralement, mais qu’il craignait des représailles de la part des membres du peloton s’il parlait.

« Nous devions vivre avec ces types sur le terrain », a-t-il dit. « Ils étaient armés, dangereux et motivés. Ils avaient énormément de testostérone. Ils étaient jeunes. Qui sait ce qu’ils auraient fait ? Vous vous engagiez dans une fusillade et vous pouvez recevoir un proverbial “ceux qui sont concernés”. »

Plusieurs anciens membres de peloton ont dit avoir passé par des stades – d’abord perturbés par la brutalité à l’encontre des villageois non armés, puis s’habituer. Finalement, ils ont admis avoir participé à des crimes de guerre.

Barry Bowman, qui vit maintenant à Rhode Island, a dit qu’il avait rejoint la Tiger Force pour sauver des vies.

Dans l’une des atrocités ayant fait l’objet d’une enquête de l’armée de 4 ans et demi, il a refusé l’ordre d’un sergent de tuer un prisonnier blessé dans la vallée de Song Ve. Mais quatre mois plus tard, il a dit qu’il n’a pas hésité à tuer un villageois blessé, vêtu de la robe grise d’un disciple bouddhiste.

« C’était contre tout ce que je défendais », a-t-il dit récemment. « Ma mission de base était de sauver la vie des gens en tant que médecin et je le prenais comme ça. Mais ensuite, j’ai pu constater que plus je restais longtemps au combat, plus cela changeait. »

Une culture existait au sein de la Tiger Force qui incluait les exécutions de prisonniers et de civils – une culture encouragée par les officiers et les sergents.

Un ancien sergent qui est maintenant traité pour PTSD a déclaré qu’il voulait que ses hommes tuent sans hésitation.

« Peu importe qu’il s’agisse de civils. S’ils n’étaient pas censés se trouver dans une zone, nous leur avons tiré dessus », a déclaré William Doyle, 70 ans, du Missouri. « S’ils ne comprenaient pas la peur, je leur ai appris. »

Il a dit que lui et d’autres ont également coupé les oreilles de nombreux Vietnamiens morts pour effrayer les soldats ennemis.

Les experts disent que les mutilations corporelles sont des symptômes classiques des soldats aux stades secondaires du PTSD dans lesquels la peur se transforme en colère, a déclaré le Dr Baker, qui traite les anciens combattants au Cincinnati Veterans Affairs Medical Center. « Ils entrent dans une deuxième étape – un stade rage. »

L’ancien médecin de peloton Joseph Evans, qui vit à Atlanta, a déclaré dans une récente interview qu’il avait coupé des oreilles. « Vous tombez dans cette incroyable frustration », a déclaré M. Evans, 59 ans, qui a été traité pour le SSPT. « Vous êtes brûlés et vous êtes grillés et vous avez peur, et vous le faites pour alléger le fardeau que vous portez. »

Un ancien soldat dit

il veut s’excuser.

William Carpenter a dit qu’avant de mourir, il veut retourner dans la vallée de Song Ve.

L’ancien spécialiste de peloton de 54 ans veut se rendre dans la rizière où les soldats de la Tiger Force ont tué quatre fermiers âgés.

Il veut s’excuser auprès de leurs familles.

Trente-six ans plus tard, il a expliqué que l’agression contre 10 paysans reste un souvenir vivace. « Je veux leur dire à quel point je suis désolé que cela se soit produit », a déclaré M. Carpenter, de Rayland, en Ohio, qui a été traité pour PTSD.

Les experts disent qu’une façon de surmonter le trouble est de reconnaître ouvertement les actions passées.

M. Carpenter a dit qu’il n’a pas tiré sur les paysans, mais qu’il n’a jamais signalé les atrocités aux commandants.

Comme d’autres anciens membres de la Tiger Force, il a dit qu’il peut justifier beaucoup des actions agressives envers les villageois, mais il a dit que c’est « au milieu de la nuit quand les démons viennent que l’on se souvient. Que tu ne peux pas oublier. »

Source : Toledoblade, Michael D. Sallah & Mitch Weiss, 22-10-2003

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.

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