Débat : De Zizou à Mbappé, la victoire des Bleus masque une France tendue par les discriminations raciales
The Conversation
La France entière célèbre le retour de ses champions, unie sous le drapeau tricolore depuis que l’équipe nationale a vaincu 4-2 la Croatie lors d’une finale haletante.
Le pays en liesse semble presque oublier un autre tricolore, le slogan « black-blanc-beur », si célébré lors de la première victoire des Bleus en 1998 et désormais décrit par certains comme un idéal malmené.
Vingt après « Zidane Président » et l’espoir d’une société multiculturelle portée par une ferveur qui se voudrait aussi sportive que politique, où en est-on ?
Zinedine Zidane, l’ex-meneur des Bleus, avait récemment déclaré à propos de la victoire de 1998 :
« On parle pas de la religion, on parle pas de la couleur de la peau, nous on s’en fiche de tout ça… on est ensemble et on profite de ce moment. »
Son discours faisait ainsi écho aux passions de l’époque et à l’idée qu’une équipe aux origines ethniques et sociales diverses était la preuve que l’intégration à la française n’était pas une utopie.
Zidane, la star de 1998, né de parents berbères algériens en 1972 a grandi à Marseille dans le quartier de la Castellane, connu pour son béton, sa drogue, ses CRS et ses caïds.
Deux décennies plus tard, l’idole de la France s’appelle Kylian Mbappé.
À 19 ans le plus jeune buteur français en Coupe du monde est la fierté de Bondy, ville de Seine Saint-Denis.
Zidane, Mbappé sont deux représentants involontaires de cette France aux origines modestes construite sur le multiculturalisme et qui a longtemps alimenté les discours sur l’unité « black-blanc-bleur », jusqu’à l’agacement.
Les deux joueurs forment aujourd’hui le duo le plus visible d’une certaine intégration à la française. Mais il ne faut pas oublier que durant les vingt années qui les séparent, et même avant, la fabrique ethnique de l’équipe nationale a été minutieusement décortiquée, critiquée, jaugée à l’aune d’un racisme à peine dissimulé.
On pense ainsi aux commentaires de Jean‑Marie Le Pen, alors chef du Front national, qui raillait en 1996 :
« Il est artificiel que l’on fasse venir des joueurs de l’étranger en les baptisant équipe de France. »
En 2002, alors qu’il se présentait à l’élection présidentielle, certains des joueurs célébrés au mondial de 1998 comme Marcel Desailly, appelaient à faire barrage contre le leader de l’extrême droite, donnant l’illusion d’une équipe soudée, unie, socialement et politiquement engagée.
Pourtant en 2010, l’équipe de France s’est effondrée au mondial se déroulant en Afrique du Sud lors des premiers matchs de poules, ne remportant aucun match.
En coulisse, les relations avec les coachs sont exécrables, des obscénités sont proférées de la part des joueurs, Nicolas Anelka interdit de jouer. L’incompétence des deux entraîneurs, blancs, a été peu remise en question au regard de la violence du blâme subi par les joueurs dont la loyauté à l’équipe nationale a été questionnée.
Les critiques sur ces joueurs « gâtés », « surpayés » ont pris un tour plus sombre lorsque le philosophe Alain Finkielkraut a qualifié l’équipe de France de « bande de voyous avec une morale de mafia », associant par sous-entendu les joueurs aux délinquants vivant dans les banlieues dont beaucoup sont par ailleurs issus. Certains ont ainsi dénoncé ces propos comme implicitement racistes, puisque bon nombre des résidents de ces banlieues sont d’ascendance maghrébine ou d’Afrique subsaharienne.
L’argument fait mouche auprès de Marine Le Pen – bientôt leader du FN, depuis renommé Rassemblement national – qui fustige ainsi « l’autre nationalité de cœur » des joueurs de France.
Depuis, des accusations ont miné le débat avec l’affaire de quotas révélée par Médiapart invoqués pour limiter le nombre de joueurs d’origine maghrébine ou africaine. Certes l’argument de la bi-nationalité a été utilisé comme justificatif de cette mesure. Mais Médiapart a aussi publié les retranscriptions de discours de responsables de la Fédération française de football qui évoquaient la possibilité de mettre en place des quotas basés sur des critères à connotation raciale et physique pour sélectionner les futurs joueurs. Les joueurs « blancs » seraient plus cérébraux, avec un meilleur esprit d’équipe que leurs collègues « africains » et « arabes » plus rapides et plus musculaires.
La douloureuse association entre racisme et politique a continué de miner les affaires de l’équipe de France, incarnée par Karim Benzema, star internationale du Real Madrid, qui a été continuellement sur la touche depuis 2015, écarté de l’Euro 2016. Il avait alors accusé son sélectionneur, Didier Deschamps, d’avoir « cédé à la pression d’une partie raciste de la France ».
Benzema avait été mis en examen pour tentative d’extorsion de fonds en 2015. Toujours en froid avec Deschamps depuis, il n’était pas non plus dans l’équipe de 2018 – ce qui ne l’a pas empêché de féliciter ses anciens co-équipiers pour leur victoire.
Officiellement l’équipe de France avait justifié son choix évoquant des raisons sportives. D’autres joueurs, comme Samir Nasri, Eric Cantona ou des personnalités publiques telles que l’humoriste Jamel Debbouze ont cependant dénoncé une décision prise dans un environnement raciste.
La débâcle de 2010 a souligné les limites de l’idéal « black-blanc-bleur ». Elle a montré qu’à la moindre faiblesse, l’intégrité et la loyauté des « étoiles » peuvent être remises en question à travers le prisme de leurs origines, ethniques, sociales et spatiales. En effet, à travers le foot français se pose la question des banlieues, un stigmate, constate le sociologue Stéphane Beaud, cité dans un article du journal Le Monde qui poursuit :
« Le football apparaît donc comme un révélateur des fractures françaises, un indicateur aussi du rapport crispé qu’entretient la France avec ses banlieues. »
Les déséquilibres structurels demeurent ainsi massifs dans ces zones urbaines françaises.
Depuis que « Zizou » a soulevé la précieuse coupe, le quartier de la Castellane n’a pas beaucoup changé. Tout comme d’autres grandes banlieues françaises, foyer de nombreuses familles issues de l’immigration, La Castellane reste ravagée par la violence et le business de la drogue.
Certes, depuis 1998, plusieurs joueurs ont acquis une notoriété et un métier les propulsant au-devant de la scène nationale. C’est le cas de Lillian Thuram, qui a créé sa Fondation contre le racisme et les discriminations, se payant même le luxe de refuser une position au sein du gouvernement Sarkozy en 2009 à la suite des propos polémiques tenus par l’ex-président français.
La nouvelle victoire des Bleus semble ainsi faire naître de nouveaux espoirs chez de nombreux commentateurs qui n’hésitent pas à parler d’« union sacrée » entre les joueurs et le pays.
Les partis politiques eux, se sont réfrénés de tout commentaires, y compris à l’extrême droite.
Seul un homme politique français a, pour l’instant, côtoyé de près les « étoiles ». Alors qu’il est critiqué pour ses mesures anti-migratoires et qu’il a enterré le Plan banlieue, Emmanuel Macron a-t-il les épaules assez solides pour lutter contre les formes complexes de discrimination raciale qui minent la France ?
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