Egypte, une répression made in France !
Mondafrique
En sept ans, les livraisons d’armes et de systèmes de surveillance de la France à l’Egypte ont été multipliées … par 33 alors que le maréchal Sissi a intensifié la répression contre tout ce qui bouge encore dans son pays.
L’auteure de ce papier est Rabha Attaf, grand reporter spécialiste du Maghreb et du Moyen-Orient qui a écrit « Place Tahrir, une révolution inachebée », éditions Workshop 19.
Il était grand temps que les ONG de défense des droits humains tapent du poing sur la table concernant les relations franco-égyptiennes ! C’est désormais fait, depuis le 2 juillet dernier, jour de la visite officielle à Paris de Mohamed Zaki, le ministre Egyptien de la Défense, quelques jours après celle du ministre français des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian au Caire, le meilleur VRP des ventes d’armes depuis l’ère Hollande. La FIDH, la LDH, l’Observatoire des armements et the Cairo Institue for human rights studies ont, en effet, rendu public un rapport détonnant sur les ventes d’armes de la France à l’Egypte. Et lancé dans la foulée une campagne intitulée « Exportons nos valeurs, pas nos armes ».
A lui seul, le titre de ce rapport donne le ton : « Egypte, une répression made in france ». L’accusation est grave mais justifiée !
Une répression implacable
Depuis le coup d’état militaire de juillet 2013 orchestré par le maréchal Abdel Fattah Al Sissi, l’Égypte est en proie à une répression implacable. Le bilan est accablant : dispersions de manifestations avec des moyens militaires (plus de 1 000 morts pour la seule dispersion du sit-in de Rabaa Al Adawiya, le 14 août 2013 au Caire) ; incarcération d’au moins 60 000 prisonniers politiques depuis 2013 ; des milliers d’exécutions extra-judiciaires et disparitions forcées (entre juillet 2013 et juin 2016, 2 811 cas de disparition forcées aux mains des services de sécurité sont parvenus aux ONG ) ; recours systématique à la torture ; augmentation vertigineuse des condamnations à mort (le 25 décembre 2017, 15 personnes ont été collectivement pendues malgré les protestations internationales, suivies de 5 personnes en janvier 2018 !)
« Alors que le Conseil Européen annonçait la cessation des exportations de matériel militaire et de surveillance pour condamner la dérive dictatoriale en Égypte, la France gagnait des parts de marché et réalisait des exportations records ! » remarque ainsi Dimitris Christopoulos, Président de la FIDH. Au moins huit entreprises françaises – encouragées par les gouvernements successifs – ont au contraire profité de cette répression pour engranger des profits records. Entre 2010 et 2016, les livraisons d’armes françaises vers l’Égypte passent de 39,6 millions à 1,3 milliards d’euros. Ainsi, depuis 2013, la France est devenu le premier exportateur d’armes lourdes vers l’Egypte !
Certaines entreprises françaises ont vendu des armes conventionnelles à une armée responsable de la mort de centaines de civils au nom de la guerre contre le terrorisme, notamment dans le Sinaï : navires de guerre Mistral (DCNS) ; frégates Fremm (DCNS) ; corvettes (Gowind) ; avions de combat Rafale ; véhicules blindés (Arquus) ; missiles air-air Mica et de croisière SCALP (MBDA) ; missiles air-sol 2ASM (SAGEM). D’autres ont livré des véhicules blindés (200 Renault Trucks Defense vendus entre 2012 et 2014) et des machines-outils à fabrication de cartouches (Manurhin) à des services de police qui n’hésitent pas à disperser des manifestations au fusil mitrailleur, voire même à les écraser avec des véhicules blindés.
Surveillance généralisée de la population
Plus grave encore : des sociétés ont vendu aux services de sécurité des technologies de surveillance individuelle (AMESYS/NEXA/AM Systems) ; d’interception de masse (SUNERIS/ERCOM) ; de collecte des données individuelles (IDEMIA) et de contrôle des foules (drones Safran, satellite AIRBUS/THALES, blindés légers Arquus ex-RTD, adaptés au milieu urbain). Ce faisant, elles ont toutes participé à la construction d’une architecture de surveillance généralisée et de contrôle des foules, visant à empêcher toute dissidence ou mouvement social, et ayant conduit à l’arrestation de dizaines de milliers d’opposants, de militants et de bloggers. Aucune communication en Egypte n’échappe à la surveillance électronique, y compris le système Telegram -très prisé des égyptiens- pourtant réputé comme inviolable.
L’une des dernière arrestation en date est celle d’Amal Fathy, l’épouse de Mohamed Lotfy, l’un des dirigeant de la Commission Egyptienne pour les Droits et les Liberté, une ONG égyptienne spécialisée, par la force des choses, sur les disparitions forcée. Le 9 mai 2018, elle avait posté sur sa page Facebook un message vidéo dénonçant le harcèlement sexuel qu’elle avait subi le jour même et l’atteinte aux libertés en général. S’en était suivi un véritable lynchage médiatique à son encontre ainsi qu’une avalanche de menaces. Finalement, deux jours après, les forces de police sont venus la cueillir à son domicile de Maadi au Caire, en pleine nuit, à 2h30. Son mari et Zinedine, leur fils agé de trois ans, ont été emmenés en même temps qu’elle, puis relâchés quelques heures après. Amal Fathy a été incarcérée et est poursuivie pour « appartenance à organisation interdite » et « incitation au terrorismes ». Précisons que depuis juin 2015, Mohamed Lotfy est interdit de voyage, de même qu’une dizaine d’autres responsables d’ONG en Egypte.
« Si la révolution égyptienne de 2011 avait été portée par une « génération Facebook » ultra-connectée ayant su mobiliser les foules, la France participe aujourd’hui à l’écrasement de cette génération via la mise en place d’un système de surveillance et de contrôle orwellien, visant à écraser dans l’œuf toute expression de contestation. » a déclaré Bahey Eldin Hassan, Directeur du Cairo Institute for Human Rigths Studies. Résultat, communiquer avec des correspondants en Egypte est devenu un vrai casse-tête !
Bien sûr, les ONG signataires de ce rapport demandent aux entreprises et aux autorités françaises la cessation immédiate de ces exportations mortifères. Elles exigent non seulement l’ouverture immédiate d’une enquête parlementaire sur les livraisons d’armes à l’Égypte depuis 2013, aussi une totale refonte du système français de contrôle des exportations d’armes et de matériel de surveillance. Caractérisé par son opacité et sa trop grande dépendance au pouvoir exécutif, c’est ce système lacunaire qui permet aujourd’hui la livraison de matériel contribuant à de graves violations des droits humains en Égypte.
Pour télécharger le rapport : https://madeinfrance.fidh.org/