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La Révolution française refoulée (Monde diplomatique)

par Daniel Bensaïd 24 Juillet 2019, 09:32 Révolution française Bourgeoisie 1789 1794 Histoire France

La Révolution française refoulée
Par Daniel Bensaïd
Monde diplomatique

La Révolution de 1789 s’est achevée en 1794 sur l’échafaud de Thermidor. Après, ce n’est plus la Révolution, mais la République bourgeoisante sans la Révolution.

La Révolution française refoulée (Monde diplomatique)

Malgré ses célébrations officielles et ses légendes scolaires, la Révolution française tend à disparaître dans un trou noir. En 1989, la célébration du Bicentenaire n’a pas peu contribué à cette amnésie provoquée. Présidant la Mission préparatoire, Edgar Faure réclamait déjà « une ecclésiale réconciliation » Blancs et Bleus bras dessus bras dessous, dans une communion consensuelle du juste milieu et de « la République du centre » chère à Jacques Julliard, François Furet et Pierre Rosanvallon (1). La couleur était annoncée : celle du défilé bariolé et dépolitisé de Jean-Paul Goude. Terminus de l’histoire, fin de la politique, que la fête commence et dure pour l’éternité marchande. En ces temps thermidoriens (2) de contre-réforme libérale, la Révolution était passée de mode.

Elle reste pourtant une affaire jamais classée, sur laquelle, aurait dit Péguy, « on ne se réconcilie pas » car ce serait n’y plus rien comprendre. Officiellement, il y aurait donc eu une Révolution bien élevée, bien peignée, fréquentable, celle de 1789, ressuscitée en 1795 après la fâcheuse parenthèse de la Convention jacobine. Si républicaine se prétende-t-elle, l’idéologie historique dominante frappe ainsi d’infamie certains « terroristes » (déjà), mais n’hésite pas à baptiser les lycées du nom des grands terroristes repentis, les Fouché et les Carnot.

Ce détournement de l’histoire au profit du mythe, de l’événement au profit de l’ordre rétabli, manifeste une confusion néfaste entre République et Révolution. Certes, à l’origine, elles furent jumelles, inextricablement mêlées. Avec Thermidor, cependant, la République a pris ses distances. Au fil des ans, elle s’embourgeoise, s’étatise, se bureaucratise, jusqu’à son institutionnalisation sous la IIIe République. La République, c’est ce qui reste quand on a retranché la révolution, enlevé le haut (la souveraineté populaire) et le bas (l’audace révolutionnaire) : une citoyenneté d’autant plus invoquée qu’elle dépérit, une laïcité minimaliste réduite à un espace de cohabitation tolérante, un Etat gestionnaire. Et, au bout du chemin une République de marché qui fait bon ménage avec la nostalgie d’une République positiviste, d’ordre et de progrès, judiciaire et policière, autoritaire et fouettarde. Les vaincus de 1848 avaient expérimenté cette fracture. Imaginaire, le peuple rêvé indivisible s’était fendu sous leurs yeux en classes antagoniques. Désormais, les rescapés de Juin ne parleraient plus de République tout court, mais de République sociale...

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