Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le Pentagone a remanié le rapport de l’ère Obama pour retirer les risques liés au changement climatique (Washington Post)

par Chris Mooney et Missy Ryan 24 Août 2018, 11:46 Réchauffement climatique Pentagone Manipulation

Le Pentagone a remanié le rapport de l’ère Obama pour retirer les risques liés au changement climatique (Washington Post)

Le Washington Post a eu accès à un document non publié qui révèle que des corrections apportées à un projet de rapport du ministère de la Défense ont minimisé les menaces que le changement climatique fait peser sur les bases et les installations militaires, en atténuant, voire en supprimant les références au changement climatique dans l’Arctique et aux risques potentiels liés à la montée des océans.

La version précédente du document, datée de décembre 2016, contient de nombreuses références au « changement climatique » qui ont été supprimées ou transformées en « météo extrême » ou simplement en « climat » dans le rapport final, qui a été soumis au Congrès en janvier 2018. Alors que l’expression « changement climatique » apparaissait 23 fois dans le projet de rapport, la version finale ne l’a utilisée qu’une seule fois.

Cette révision et d’autres suggèrent que le Pentagone a adapté son approche du débat public sur le changement climatique sous la présidence de Trump, qui a exprimé des doutes sur la réalité d’un phénomène qui, de l’avis des scientifiques, présente un danger croissant pour la planète. Alors que les chefs militaires ont déclaré qu’ils considèrent le changement climatique comme un facteur d’instabilité dans le monde entier, ils ont également cherché à rester en dehors d’un débat politiquement lourd sur ses causes.

Heather Babb, porte-parole du Pentagone, a refusé de commenter l’ébauche du rapport, qui présente les résultats de la toute première enquête du ministère auprès des responsables de différentes installations sur les effets du changement climatique. Le Post n’a pas été en mesure de vérifier qui a apporté les changements contenus dans les deux documents.

« Comme le souligne le rapport, les effets du climat sont une question de sécurité nationale avec des impacts potentiels sur les missions, les plans opérationnels et les installation », a déclaré M. Babb dans un communiqué. « La Défense continue de veiller à ce que ses installations et son infrastructure résistent à un large éventail de menaces, y compris le climat. Le Département a fait ses preuves en matière de planification et de préparation à de telles menaces ».

Selon John Conger, qui était haut fonctionnaire du Pentagone sous l’administration Obama et qui faisait partie des fonctionnaires à l’origine de l’enquête à bases multiples qui constitue la source du rapport, les employés d’une douzaine de bureaux différents du ministère de la Défense auraient pu apporter des changements au texte au fur et à mesure qu’il traversait le processus d’approbation de la bureaucratie, ce qui donne souvent lieu à des documents au « plus petit dénominateur commun ».

Conger, qui est maintenant directeur du Centre pour le climat et la sécurité, a déclaré que les modifications « changent le sentiment d’urgence dans le rapport, mais pas sa conclusion fondamentale – que nos installations militaires subissent clairement des impacts climatiques ».

Le document final, un rapport de 32 pages pour le Congrès, a été publié plus d’un an après le projet initial. Comme dans sa version précédente, il constate que sur plus de 3 500 sites militaires dans le monde, 782 ont déclaré avoir été touchés par la sécheresse, 763 par des vents violents et 706 par des inondations, ainsi que d’autres problèmes – des résultats qui ont attiré une attention considérable lorsqu’ils ont été présentés à la fin janvier.

Mais le projet de décembre 2016 était beaucoup plus direct dans sa discussion sur le changement climatique et en particulier sur la question de l’élévation du niveau de la mer – un problème bien connu auquel sont confrontés de nombreux sites militaires dans les zones côtières, de l’immense base navale de Norfolk au site d’essai de défense antimissile balistique Ronald Reagan dans les îles Marshall éloignées du Pacifique. Les mers augmentent actuellement d’environ 3,2 millimètres par an et les scientifiques craignent que cette augmentation ne s’accélère dans les décennies à venir.

Le document final du Pentagone omet même, dans plusieurs cas, la simple observation que la prise de connaissance de la vulnérabilité des bases à l’élévation du niveau de la mer était au cœur de l’enquête qui fait l’objet du rapport. Cette enquête elle-même demandait à chaque site militaire quelle proportion de sa superficie était située à des altitudes comprises entre 0-3, 0-6, 0-9, 0-9 ou 0-12 pieds [NdT : entre 0 et 4 mètres] au-dessus du niveau de la mer.

Avant et après : le comparatif de la façon dont les différentes versions du document du Pentagone décrivent le contenu des questions de l’enquête. (The Washington Post.)

Le document final supprime également une carte montrant « les sites qui ont déclaré que des effets possibles pourraient se produire en raison de l’élévation du niveau moyen de la mer entre 0 et 92 centimètres ». (Quelques références à l’élévation du niveau de la mer demeurent dans la version finale du rapport et dans les questions d’enquête elles-mêmes, regroupées en annexe).

« Le fait qu’il n’y ait pas le mot “climat”, cela ne serait pas un problème pour moi », indique Dennis McGinn, un vice-amiral de la marine à la retraite qui a servi en tant que secrétaire adjoint de la marine pour l’énergie, les installations et l’environnement dans l’administration Obama, lorsque certaines des modifications lui ont été décrites. « Mais écarter les cartes des zones critiques d’inondation, c’est vraiment fondamental. Et l’Arctique, c’est énorme, pour de nombreuses raisons, non seulement pour le ministère de la Défense, mais aussi pour la Garde côtière et les entreprises de navigation commerciale ».

Le rapport est le fruit d’un processus entamé par l’administration précédente, alors que les responsables de Washington cherchaient à comprendre comment les phénomènes liés au climat pouvaient affecter les installations militaires qui parsèment le globe. L’accent mis par le président Barack Obama sur les changements climatiques a créé un sentiment d’urgence pour les organismes fédéraux, y compris le ministère de la Défense, afin de se préparer à ses effets.

La version publiée supprime une référence à l’évaluation nationale du climat, que le gouvernement américain, par la loi, effectue tous les quatre ans. Il omet également plusieurs références au recul de la glace en mer arctique, un phénomène continu qui a été fortement imputé au changement climatique. L’un de ces cas se trouve être une description des conditions à la station radar du cap Lisburne sur le versant nord de l’Alaska.

L’affirmation selon laquelle « les dernières décennies ont vu une baisse tendancielle liée au climat dans l’étendue de la couverture de la glace en mer arctique » n’apparaît pas dans le rapport final, pas plus qu’une description des événements météorologiques extrêmes « rendus plus destructeurs par une réduction de la glace marine et une augmentation des périodes sans glace », car sans glace marine protectrice, de grandes vagues peuvent frapper les côtes arctiques fragiles pendant les tempêtes.

Et lorsque le projet de rapport indique que l’érosion des rives sur le site est causée par une « réduction de la couverture de glace de mer », le document final attribue plutôt les dommages aux « fluctuations de la glace sur la mer ».

Les versions avant et après d’une analyse sur les effets du changement arctique pour un site du Pentagone en Alaska. (The Washington Post.)

Dans une autre section omise, le projet de document traite des mécanismes induits par un changement climatique qui pourraient affecter la capacité à entraîner des troupes.

« Le changement climatique pourrait accroître le risque pour les 420 espèces en danger qui vivent sur nos installations, ce qui pourrait entraîner des restrictions en matière de formation et d’exploitation », peut-on lire dans la section omise.

« L’augmentation du nombre de jours de chaleur élevée limite les activités de formation et de tests que notre personnel peut effectuer en toute sécurité sans périodes de repos appropriées », poursuit-il.

L’enquête au centre du rapport, dans ses différentes versions, posait une batterie de questions détaillées aux installations militaires sur les différents événements extrêmes qui les ont affectés, ainsi que des informations sur la position des installations et leur vulnérabilité à l’élévation du niveau de la mer.

Parmi les questions posées, il y avait :

  • « Votre installation a-t-elle été affectée par le vent ? »
  • « Votre installation a-t-elle été affectée par des températures extrêmes, chaudes ou froides ? »
  • « Qu’est-ce qui pourrait être affecté/dégradé par une augmentation de 0 à 3,5 mètres du niveau moyen de la mer ? »

Les responsables actuels et anciens ont déclaré que la formulation et le contenu du rapport n’avaient probablement pas d’incidence sur la façon dont les services militaires réagissent – ou ne réagissent pas – au changement climatique. D’une certaine manière, l’armée a été perçue comme proactive dans son attitude face aux questions climatiques, cherchant à protéger les infrastructures dans des endroits comme Norfolk contre les changements climatiques, à produire une solide « feuille de route » du changement climatique et à planifier les changements dans l’Arctique.

Par ailleurs, cependant, l’armée n’a pris que des mesures modestes, alors qu’elle exploite un vaste réseau de bases à forte consommation d’énergie ainsi que des flottes aériennes, navales et de véhicules, et fournit de la nourriture et des logements à son personnel dans le monde entier.

« Je pense qu’au DOD [NdT : Département of défense], il y a une conviction générale qu’il est plus important de faire ce qu’on fait que de se battre sur la façon d’en parler », a déclaré Jeffrey Marqusee, ancien directeur de la recherche et du développement en matière d’environnement et d’énergie au bureau du secrétariat à la défense.

« Ce n’est pas comme s’ils étaient systématiquement dans le déni », a déclaré Sherri Goodman, qui a été sous-secrétaire adjointe à la défense pour la sécurité environnementale au sein de l’administration Clinton. « Ils ont généralement été assez coopératifs ».

Chris Mooney couvre les changements climatiques, l’énergie et l’environnement. Il a rendu compte, entre autres, des négociations climatiques de Paris en 2015, du passage du Nord-Ouest et de la calotte glaciaire du Groenland, et a écrit quatre livres sur la science, la politique et le changement climatique. Suivre @chriscmooney

Missy Ryan écrit sur le Pentagone, les questions militaires et de sécurité nationale pour le Washington Post. Elle a rejoint The Post en 2014 après avoir travaillé pour Reuters, où elle était reporter sur les questions de sécurité nationale et de politique étrangère des États-Unis. Elle a été reporter sur l’Irak, l’Égypte, la Libye, le Liban, le Yémen, l’Afghanistan, le Pakistan, le Mexique, le Pérou, l’Argentine et le Chili. Suivre @missy_ryan

 

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.

Les articles du blog subissent encore les fourches caudines de la censure cachée via leur déréférencement par des moteurs de recherche tels que Yahoo, Qwant, Bing, Duckduckgo... Si vous appréciez notre blog et notre dénonciation du (néo)colonialisme, de l'impérialisme et du racisme, soutenez-le, faites le connaître ! Merci.
-
Contrairement à Google, Yahoo & Co boycottent et censurent les articles de SLT en les déréférençant complètement !
- Censure sur SLT : Les moteurs de recherche Yahoo, Bing et Duckduckgo déréférencent la quasi-totalité des articles du blog SLT !

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Haut de page